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Témoignage d'un enseignant sur la nécessaire réforme du statut des professeurs

Un professeur dans un lycée, qui a souhaité l'anonymat, a contacté la Fondation iFRAP afin de nous livrer quelques réflexions sur la nécessité de réformer le statut des enseignants pour le bien des enseignants eux-mêmes ainsi que pour celui des élèves qu'ils doivent conduire à la réussite scolaire et personnelle. En se basant sur son expérience personnelle, cet acteur de l'Éducation nationale souligne, ici, les défauts et effets pervers du système actuel et nous livre ses propositions de réformes. La Fondation iFRAP publie ce témoignage en exclusivité.

Comme tout service public, l'Éducation nationale doit répondre aux principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité. Cela est vrai du contenu des enseignements, puisque les programmes sont révisés en fonction du progrès des connaissances et s'adaptent aux nouveaux besoins qui émergent, comme la sécurité routière, la maîtrise de l'informatique, etc. Mais cela est également vrai du statut des enseignants qui date de 1950 et qui doit être adapté aux évolutions du service public. Car, depuis 1950, la société et le monde éducatif ont bien changé. Ainsi, parle-t-on de « massification scolaire » pour désigner l'accroissement du nombre de jeunes poursuivant des études secondaires : en 1950 on comptait 30 000 bacheliers, soit 5 % d'une génération, alors qu'en 2012 il y en avait plus de 500 000 soit près de 75 % d'une classe d'âge. Cette massification s'est accompagnée de la création de nouvelles sections, dans l'enseignement général (la section B en 1969 devenue ES en 1992), dans l'enseignement technologique et professionnel. Ce qui a conduit à un recrutement massif de professeurs. Il y a désormais près de 840 000 enseignants dont 700 000 dans le public.

Il convient donc de réformer un statut qui est inadapté parce que trop rigide et peu incitatif, parce que source d'inégalités entre salariés et entre usagers. Le statut actuel crée de la frustration et ne permet pas un réel progrès de l'efficacité du travail des enseignants dans l'intérêt des élèves, de leurs familles et de la société.

Voici donc quelques propositions argumentées qui sont soumises à votre réflexion.

PROPOSITION n° 1 : Aligner le statut des professeurs sur celui des enseignants du privé sous contrat d'association pour favoriser la mobilité du corps enseignant par un statut plus souple.

  • Le service public d'enseignement ne correspond pas à un service régalien justifiant d'un statut rigide. C'est ce que nombre de gouvernements ont déjà compris, comme celui du socialiste portugais José Sócrates qui a modifié le statut des enseignants en CDI. * Les professeurs de l'enseignement public ont un statut trop rigide qui rend plus difficile la mobilité professionnelle. Changer d'emploi est à la fois difficile parce qu'il faut soit passer un nouveau concours pour accéder à un autre emploi de la fonction publique (alors qu'on en fait déjà parti et qu'on a fait ses preuves), soit parce qu'il faut obtenir une autorisation administrative pour congé sabbatique et rejoindre le secteur privé. Dans tous les cas, le risque de perdre définitivement son poste, son emploi, et de devoir éventuellement repasser un concours pour pouvoir éventuellement enseigner plus tard, suffit à décourager ceux qui voudraient faire une pause (par lassitude, par fatigue) dans leur métier et qui pourraient pourtant retrouver de la motivation en vivant une autre expérience professionnelle pour un temps. Faute de pouvoir vivre autre chose, nombre d'enseignants font une pause de type médicalisée, sous forme d'arrêts maladie à coup de dépressions. Cela a un coût pour la société, financier certes, mais aussi moral puisque les élèves trouvent en face d'eux des adultes parfois fatigués, découragés et peu productifs.
  • De nombreux assimilés fonctionnaires, à commencer par les professeurs de l'enseignement privé, bénéficient d'une sécurité de l'emploi, d'un cadre juridique protecteur et en même temps d'une souplesse du statut qui favorise leur mobilité professionnelle.

PROPOSITION n° 2 : Il faut rendre l'évaluation des enseignants par les inspecteurs plus juste, plus transparente et plus efficace en faisant précéder les inspections d'une ou deux visites de mise au point où l'inspecteur ferait ses remarques et pourrait voir l'évolution du travail effectué.

  • Les inspections pédagogiques sont trop rares, entre 5 et 10 ans, voire plus, certains professeurs sont même amenés à demander une inspection lorsque celle-ci tarde trop.
  • Les inspections sont trop opaques : les professeurs ne sont pas évalués selon une grille précise et connue à l'avance, ils ne savent pas comment est déterminé leur note (ou plutôt quels éléments ont conduit à l'augmentation de leur note de tant de points). La notation peut sembler aléatoire, d'autant qu'elle n'est connue que plusieurs mois après avoir reçu le « rapport d'inspection ». C'est comme si un élève recevait sa copie avec quelques remarques et sans note, note qu'il recevra avec son bulletin mais sans savoir sur quel barème il a été évalué. Les professeurs ne peuvent donc pas vraiment progresser d'une inspection à l'autre, ils peuvent au mieux essayer d'appliquer quelques recommandations, mais sans être sûr que cela suffise à améliorer leur évaluation dans l'avenir.
  • Le système d'évaluation n'est pas incitatif car il ne permet pas de récompenser les mérites et les efforts de chacun, il ne distingue qu'une minorité (20 %) qui bénéficie d'un avancement d'échelon plus rapide. L'évaluation est donc relative : même si tous les professeurs travaillent mieux, il y aura toujours une minorité qui sera récompensée (les 20 % qui avancent au « petit choix ») et une minorité qui sera pénalisée (les 30 % qui avancent à l'ancienneté »).
  • L'inspection devrait être précédée d'une « visite conseil » de l'inspecteur ou alors, ce qui revient au même, être faite en deux fois sur deux classes différentes et sur deux points du programme différent, pour que les recommandations faites lors de la première inspection puissent être mises en application avant la seconde. L'inspection doit viser d'abord et avant tout l'amélioration du service éducatif.

PROPOSITION n° 3 : Aligne le temps de travail de tous les enseignants qui doit être le même quel que soit le statut, en ne maintenant qu'une pondération selon le niveau d'enseignant.

  • Dans la fonction publique, tous les fonctionnaires qui assurent le même type d'emploi ont toujours la même durée de travail, même si des différences de salaires peuvent exister du fait de la différence de grade. Ainsi, un Proviseur 2e classe (issu du corps des Certifiés) est astreint au même temps de travail qu'un Proviseur 1ere classe (issu du corps des Agrégés). De même, un commandant de Groupement de gendarmerie travaille autant d'heures qu'il soit Lieutenant ou Capitaine, qu'il soit un ancien sous-officier ou un ancien Saint-Cyrien. Il faut donc en finir avec l'avantage horaire dont bénéficient les Agrégés sur les Certifiés et PLP. Les Agrégés méritent un salaire plus élevé, mais pas une décharge horaire supplémentaire car cela n'existe nulle part ailleurs [1].
  • Il doit y avoir une pondération horaire qui ne soit attaché qu'au seul poste de travail, autrement dit aux niveaux d'enseignement. Le plus simple est d'aligner tous les professeurs sur le temps de travail des professeurs des écoles, en pondérant le temps de cours selon le niveau d'élèves : le temps devant élève serait donc toujours moins important en lycée qu'au primaire, en classe préparatoire qu'en lycée.
  • Le temps de travail des professeurs doit être annualisé, en particulier pour les professeurs du supérieur court (BTS, classes préparatoires) comme cela se fait à l'Université car il n'est pas normal qu'un professeur agrégé en BTS, par exemple, travaille moins de temps qu'un PRAG à l'Université du fait, notamment, de l'absence d'élèves durant leurs périodes de stage. En effet, les professeurs en STS se retrouvent parfois plusieurs semaines sans élèves du fait de leur obligation de stage en entreprise. Pendant ce temps, les professeurs sont rémunérés sans avoir d'autres obligations de service, tandis que le PRAG est obligé d'assurer un certain nombre d'heures de cours et de TD ainsi que des tâches administratives.

PROPOSITION n° 4 : Mieux distinguer les postes d'agrégés et de certifiés dans les établissements en créant pour les emplois de catégories A+, des postes à profil comme cela existe dans les autres corps de catégorie A+, par rapport aux catégories A.

  • Les Agrégés coûtent, en moyenne, à l'Etat, 30 % de plus que les Certifiés. Il convient donc d'employer ce personnel qualifié là où leurs compétences sont les mieux employés à savoir l'enseignement supérieur en priorité (Université, IUT, STS…). Cela se fait déjà mais il conviendrait de l'assurer de façon plus systématique en réservant ces emplois aux Agrégés de façon statutaire [2].
  • Comme tous les agrégés ne peuvent être employés dans le supérieur, il convient de créer des « postes à profil » également dans le secondaire pour supprimer la possibilité pour eux de travailler en collège. Ensuite, il faudrait créer des postes d'agrégés en priorité dans les lycées où il y a des classes préparatoires et dans les lycées ZEP qui en ont besoin (dans le cadre du recrutement de Science Po Paris par exemple).
  • Il faudrait engager moins d'Agrégés et revaloriser les Certifiés, par exemple en créant une « classe exceptionnelle » (comme cela a été fait pour le corps des « Attachés d'administration ») qui récompenserait les mérites (à définir) en fin de carrière de certains enseignants. Car un grand nombre d'entre eux atteint l'échelon maximum au bout de 30 ans de carrière, alors qu'ils leur reste encore 12 ans à faire avant la retraite.
  • La multiplicité des corps enseignants est injuste pour les usagers. Car si on considère que les Agrégés sont « meilleurs » que les Certifiés alors l'Éducation nationale fait preuve d'inégalité envers les élèves en mettant des professeurs plus qualifiés dans certaines classes et de moins qualifiés dans d'autres. Les élèves devraient disposer de professeurs également qualifiés au même niveau d'enseignement. Le principe d'égalité est donc bafoué pour l'utilisateur du service public.

PROPOSITIONS n° 5 : La formation continue doit être rendu obligatoire, s'exercer hors du temps scolaire et le nombre de jours ou d'heures de formation doit être précisé dans le statut.

  • La formation continue est en grande partie facultative, ce qui laisse penser qu'elle est accessoire donc peu utile. Pourtant elle est coûteuse.
  • La formation doit être rendue obligatoire : il faudrait que dans le statut des professeurs soit inscrit en plus du nombre d'heures de cours devant élèves, le nombre de journées de formation obligatoire pour tout enseignant. Par exemple, 5 jours de formation, y compris la journée de prérentrée.
  • Les Académies devraient choisir entre des journées de formation étalées sur les périodes de vacances (1 jour ou 2 pendant les vacances de la Toussaint, 1 ou 2 pendant les vacances de Printemps…) ou en les concentrant sur une période (1 semaine à la Toussaint…).
  • Ce temps de travail supplémentaire pourrait être en partie rémunéré en augmentant la prime « ISOE » que touchent les enseignants sachant que le Ministère réaliserait déjà des économies en ne rémunérant plus des professeurs pour remplacer leurs collègues en formation voire pour s'auto suppléer en heures supplémentaires (cas des lycées).

PROPOSITION n° 6 : La formation continue doit être mutualisée entre Académies sous forme de MOOC accessible par tous les professeurs et être organisée de façon complémentaire et progressive, ce qui suppose un plan de formation pluriannuel.

  • Une partie des modules de formation doit être mutualisée entre académie via un site internet dédié sur le modèle des MOOC et accessible à tous les professeurs.
  • Il faut organiser les formations de façon pluriannuelle de sorte qu'il y ait une certaine cohérence dans les modules proposés d'année en année. Il faut qu'au moins les contenus des séquences de formation soit articulées et soient cohérentes pour donner sens à la formation. Une durée de 3 ans parait adéquate.

PROPOSITION n° 7 : La formation continue doit être réalisée par des intervenants aux profils variés et être évaluée par les professeurs dans une perspective d'amélioration permanente.

  • Des formateurs extérieurs à l'Éducation nationale doivent être intégrés, pour donner un autre regard sur certains thèmes et parce qu'ils ont une autre approche pédagogique. Les universitaires ne doivent pas être les seuls acteurs de la formation même s'ils y ont leur part. Le recours à des professionnels doit être développé.
  • Les formations ne doivent pas prendre la forme de conférences universitaires mais doivent consister en étude de cas et en mise en situation qui permettent d'acquérir des savoirs et savoir-faire réutilisables dans sa classe. La formation doit avoir une visée pratique c'est-à-dire d'améliorer la façon de faire cours (de le construire et de le conduire), de manager sa classe et d'évaluer les élèves.
  • Les formations doivent être mieux évaluées, il faut que ceux qui sont formés puissent donner leur avis sur la qualité de la formation c'est-à-dire non sur la qualité du formateur (s'il est sympa, s'il a bien travaillé…) mais sur l'utilité de la formation. Cette évaluation doit servir à améliorer la formation.

Conclusion

Un État moderne doit être un État qui se mette vraiment au service du public pour lequel il est fondé, un État qui s'adapte à la demande de la société, qui soit plus efficace pour atteindre les missions qui lui sont confiées et qui, donc, réforme son fonctionnement bureaucratique. Que l'État arrête de fonctionner pour lui-même, selon les intérêts de ses salariés : l'administration doit être au service de ses usagers, et non l'inverse.

[1] Voir les précédents articles de la Fondation, Statut des enseignants et temps de travail, Le temps de travail des agrégés et sa proposition pour augmenter de 2 heures, le temps de travail des enseignants.

[2] Voir les propositions de la Fondation en matière d'Éducation pour annualiser le temps de travail des enseignants, dans notre étude de septembre 2013.