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Du rififi à l’enfance : a-t-on vraiment besoin d’un Haut-commissaire sur le sujet ?

Les 29 organisations réunies dans le collectif La Dynamique pour les droits des enfants » ne décolèrent pas, le gouvernement Bayrou n’a pas nommé de ministre de plein exercice ou de secrétaire d’État à l’enfance… « seul capable, à leurs yeux, de « mettre en œuvre une stratégie globale de l’enfance » et de « répondre efficacement et simultanément aux problématiques et urgences » du secteur. » Aussi, pour réparer cet oubli, le président de la République a annoncé le 28 décembre son désir de voir créer en janvier 2025 un Haut-Commissariat à l’enfance. Bien évidemment, cette « nouvelle » structure à vocation interministérielle et à compétence nationale devrait se voir dotée d’un budget à la hauteur de l’ancien secrétariat d’État qui l’a précédé soit 300 millions d’euros minimum. On voit ainsi avec ce cas d’école, pourquoi il est si difficile de supprimer des structures administratives et de simplifier les architectures ministérielles : chaque grande cause veut disposer d’un représentant ad hoc et ne pas être ravalée à une simple attribution au sein du portefeuille plus conséquent… Pour que les stratégies d’influences des ONG et autres structures (advocacy) puissent s’exercer, il faut des interlocuteurs désignés et spécialisés. Il serait bienvenu pourtant que le gouvernement Bayrou passe outre la volonté présidentielle et fasse la sourde oreille à cette demande… sans pour autant délaisser la politique de l’enfance per se

La politique de l’enfance, une équation à 158 milliards ou 26 milliards d’euros ?

Le suivi de la politique de l’enfance par l’État a fait l’objet d’attentions particulières depuis le gouvernement d’Edouard Philippe qui a créé en 2019 un secrétariat d’État chargé de la protection de l’enfance placée sous l’autorité de la ministre des Solidarités et de la santé. Cela résulte de la volonté présidentielle exprimée le 20 novembre 2018, lors de la 29ème journée internationale des droits de l’enfance « qu’une personne en charge de la protection de l’enfance, soit nommée pour incarner cette politique.[1]»

Cette action sera ensuite prolongée sous le gouvernement d’Élisabeth Borne avec la nomination auprès du Premier ministre d’un ministre en charge de l’enfance, qui dirige le Comité interministériel à l’enfance, installé à compter de novembre 2022[2]. Celui-ci se réunira à 3 reprises jusqu’en novembre 2023[3]. Le gouvernement Attal remplace Charlotte Caubel nommée en juillet 2022 par Elisabeth Borne, par Sarah El Haïry ancienne secrétaire d’État chargée de la Biodiversité qui devient ministre déléguée chargée de l’Enfance, de la jeunesse et des familles[4]. Désormais la ministre déléguée est placée sous la double autorité de la ministre de l’Éducation nationale et du ministre de la Justice[5]. Le gouvernement de Michel Barnier déplacera le poste de ministre délégué chargé de la Famille et de la Petite enfance, sous l’autorité plus traditionnelle du ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Egalité entre les femmes et les hommes[6]

S’agissant des financements, les éléments sont beaucoup plus flous et dispersés car extrêmement transversaux. Si l’on en croit les chiffres publiés par le 3ème comité interministériel à l’enfance de novembre 2023, les politiques de l’enfance représenteraient près de 158 Md€ soit 10,5% du total des dépenses publiques. Ce montant se composerait des dépenses de l’ASE (aide sociale à l’enfance) des collectivités territoriales pour 8,7 milliards d’euros, des dépenses de sécurité sociale pour 56 milliards d’euros et de dépenses de l’État (dont d’éducation nationale) à hauteur de 92,6 milliards d’euros. 

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Source : CIE III, novembre 2023. Données 2020.

Mais lorsque l’on regarde plus spécifiquement les dépenses strictement consacrées à l’enfance, les montants sont beaucoup plus réduits de l’ordre de 26,4 milliards d’euros, dont les dépenses d’ASE des départements pour 8,6 milliards d’euros[7], les dépenses de la CNSA (handicap) sur le champ de la sécurité sociale pour 7,4 milliards d’euros[8] et des dépenses de l’État de 10,4 milliards d’euros dont 250 millions d’euros de contractualisation.

Sur le champ de l’Etat, ces dépenses de 10,4 milliards se répartissent entre :

  • Justice des mineurs pour 1,4 milliards d’euros, dont 1,15 Md€ pour la protection judiciaire de la jeunesse et 285 millions d’euros pour la Justice des mineurs stricto sensu (dépenses de personnel et frais de justice) ;

  • Le logement pour 0,811 Md€ (hébergement d’urgence des familles et accompagnement des enfants mal logés ;

  • Enfin, 7,9 milliards d’euros de dépenses de l’Éducation nationale dédiées aux mineurs vulnérables, dont 4,1 milliards pour le handicap et 3,7 milliards s’agissant des autres besoins spécifiques des élèves ;

Problème de suivi : il n’y a pas de permanence des méthodes en matière d’évaluation des dépenses publiques consacrées à la politique de l’enfance

Il n’existe de « jaune » budgétaire relatif à la politique de l’enfance que depuis le PLF 2024. Par ailleurs sa présentation est extrêmement variable sur le champ des interventions de l’État. Ainsi les crédits globaux sont-ils présentés de la façon suivante :

 Synthèse PLF 2024Synthèse PLF 2025
Dépenses de l'État (PLF 2024)

92,558

14,925

Dépenses de la sécurité sociale (2021/2022)

56,077

58,092

Dépenses de l'ASE (2021

8,76

9,486

Total

157,395

82,503

Source : « Jaunes enfance » PLF 2024 et 2025

En conséquence entre deux exercices, les périmètres ne sont pas du tout comparables. Le 1er est cohérent avec les éléments décomposés fournis par le comité interministériel à l’enfance, en revanche la synthèse 2025 semble plus resserrée.

Sur le champ de l’État entre 2023 et 2024 en présentation PLF 2024, les dépenses totales relatives à l’enfance (en CP) augmenteraient de 4,7% dont 6,1% pour celles relatives aux mineurs vulnérables. Sur ce même champ mais en présentation PLF 2025, les dépenses totales augmenteraient de 0,7%, celles relatives à l’enfance vulnérable n’étant plus suivies spécifiquement :

Norme PLF 2024 (Md€)

2023

2024

Variations

Contribution de l'Etat à la politique

de l'enfance et en faveur des mineurs vulnérables

88,43

92,56

4,7%

dont mineurs vulnérables

9,77

10,37

6,1%

Source : Annexe au PLF 2024.

Norme PLF 2025 (Md€)

2024

2025

Variations
Contributions de l'État à la politique de l'enfance

14,821

14,925

0,7%

Source : Annexe au PLF 2025.

S’agissant du champ de la sécurité sociale et des ASSO :

Organismes de sécurité sociale Md€

2020

2021

2022

2023

2024

2025

CNAF

36,808

36,843

 

44,99

  
Assurance Maladie

9,548

11,835

12,395

   
CNSA  

7,4

  

0,71

Source : « Jaunes enfance » PLF 2024 et 2025

Les dépenses sont à la fois incomplètes et non constantes s’agissant notamment de celles relatives à la CNSA. Dans ce contexte les éléments fournis ne permettent pas d’aboutir à une consolidation des dépenses pour une année donnée.

Seules les collectivités territoriales présentent une ventilation constante, mais avec 3 ans de retard :

Collectivités territoriales (Md€)

2019

2020

2021

2022

Variations 2022/2021
Dépenses brutes dont

8,574

8,896

9,137

9,885

8,2%

ASE

6,823

7,182

7,370

7,887

7,0%

Dépenses nettes

8,31

8,59

8,760

9,486

8,3%

Sources : « Jaunes enfance » PLF 2024 et 2025

On constate que les dépenses liées à l’enfance tirées notamment par le traitement des mineurs isolés, sont extrêmement dynamiques, soit près de +8,3% sur un an pour les dépenses nettes dont +7% pour la seule ASE (aide sociale à l’enfance).

Une première fusion, avec la mise en place du GIP France Enfance protégée, peut-on aller plus loin ? :

L’État et les départements ont signé une convention constitutive du groupement d’intérêt public (GIP) « France enfance protégée[9] » désormais opérationnel depuis le 5 janvier 2023[10]. Le nouvel organisme regroupe le GIP Enfance en Danger (GIPED), l’Agence française de l’Adoption (AFA), les secrétariats généraux du Conseil national de la Protection de l’enfance (CNPE), du Conseil nation pour l’Accès aux Origines personnelles (CNAOP) et du Conseil National de l’Adoption (CNA). Sa gouvernance associe l’État (14 membres), les Départements (12 membres) et des représentants du secteur associatif (15 membres) au sein de 3 collèges. L’organisme a par ailleurs lancé une « docuthèque » permettant d’accéder aux statistiques de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) hébergé par le GIP qui agrège les données issues du réseau des observatoires départementaux.

La question peut être cependant posée de l’intégration au sein du GIP de l’ensemble des comités consultatifs qui gravitent autour de la politique de l’enfance, dont au 1er chef le comité interministériel de l’enfance (qui ne s’est d’ailleurs plus réuni depuis plus d’1 an), mais aussi le Haut Conseil de la famille de l’enfance et de l’âge (HCFEA) pour sa composante « enfance » dont on ne voit toujours pas l’apport étant donné l’ensemble des structures existantes sur le sujet[11].

A-t-on donc vraiment besoin d’un nouveau Haut-Commissariat à l’enfance ? Alors même qu’une transformation progressive du GIP « France enfance protégée » pourrait constituer la structure socle ad hoc, si l’on décidait de la transformer en Agence de l’enfance avec des compétences nationales voir en l’érigeant en opérateur à compétence nationale en y faisant participer des représentants des administrations de sécurité sociale.

Conclusion :

Plutôt que de mettre en place un Haut-Commissaire à l’enfance en remplacement d’un ministre de plein exercice ou délégué pour animer cette politique publique « à géométrie variable », il vaudrait mieux poursuivre la logique de concentration et de regroupement des instances et organismes qui gravitent autour de l’enfance afin de faire émerger un périmètre stable, transversal et mature interconnectant toutes les parties prenantes de la sphère publique comme privée. De ce point de vue le GIP France enfance protégée pourrait constituer un socle permettant de faire émerger une agence unique à compétence nationale sur le sujet, où la sécurité sociale, l’Etat et les collectivités territoriales pourraient être représentées. Cette approche aurait au moins le mérite de :

  • Stabiliser le périmètre des dépenses publiques consacrées à l’enfance et aux mineurs vulnérables ;
  • Dégager un interlocuteur stable et rigoureusement transversal ;
  • Réaliser les études statistiques nécessaires pour avoir enfin une vision consolidée et à jour de la politique de l’enfance en France (ce qui visiblement n’est toujours pas le cas)

[1]https://www.info.gouv.fr/actualite/la-protection-de-l-enfance-est-parmi-les-missions-d-un-nouveau-secretariat-d-etat. Voir également Le Monde, Protection de l’enfance : un secrétaire d’Etat contre les « situations de détresse », 25/01/2019, https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/01/25/protection-de-l-enfance-un-secretaire-d-etat-contre-les-situations-de-detresse_5414623_3224.html. En pratique le 1er secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance sera M. Aurélien Taquet, placé sous l’autorité de la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn.

[2] https://solidarites.gouv.fr/le-comite-interministeriel-lenfance

[3]https://enfance.gouv.fr/sites/enfance/files/2023-11/Dossier%20de%20presse%20-%20CIE%20du%2020%20novembre%202023.pdf

[4] Sur les craintes associatives sur une éventuelle suppression du poste de ministre délégué à l’Enfance, voir Lyes Louffok, Monsieur le Premier ministre, ne supprimez pas le secrétariat d’Etat à l’Enfance !, Le Figaro, 29/01/2024, puis l’annonce de nomination le 8 février 2024, https://www.bfmtv.com/politique/gouvernement/gouvernement-attal-sarah-el-hairy-devient-ministre-deleguee-en-charge-de-l-enfance-et-de-la-famille_AP-202402080869.html

[5] https://www.education.gouv.fr/sarah-el-hairy-ministre-deleguee-chargee-de-l-enfance-de-la-jeunesse-et-des-familles-380793

[6] Entre le 21 et le 27 septembre 2024 (à cause de nominations complémentaires) : https://www.info.gouv.fr/actualite/la-composition-du-gouvernement-de-michel-barnier, ainsi que Solène Cordier, Gouvernement Barnier : Agnès Canayer, ministre déléguée à la famille et à la petite enfance, face à des chantiers urgentsLe Monde, 22/09/2024.

[7] Voir le rapport annuel de la DREES sur l’Aide sociale à l’enfance, https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/les-dossiers-de-la-drees/240723_DD_aide-sociale_Enfance_2024

[8] En extournant 12 milliards de dépenses de santé, 37 milliards de dépenses de politiques familiales, pour ne retenir que le handicap.

[9] https://enfance.gouv.fr/letat-et-les-departements-signent-la-convention-constitutive-du-groupement-dinteret-public-france

[10] https://www.france-enfance-protegee.fr/missions/

[11] Voir à ce propos notre dernière note sur le rapport du HCFEA relatif aux cantines scolaires qui en dit long sur les apports statistiques de ces structures : https://www.ifrap.org/education-et-culture/cantines-scolaires-le-mirage-de-la-gratuite-plus-de-7-milliards-deuros