Taxer les œuvres d'art à l'ISF ? Quelle absurdité !
Parce que l'on a (trop ?) bien expliqué qu'il était idiot de taxer plus les entrepreneurs et les investisseurs que les œuvres d'art (des années de pédagogie et un vol de pigeons) et plutôt que d'aligner la fiscalité des créateurs d'emplois sur celle des collectionneurs et amateurs d'art, la nouvelle idée en vogue est de taxer les œuvres d'art jusque là épargnées par l'ISF. La « Justice fiscale » exigerait que les œuvres d'art, refuge jusqu'à présent inviolé des fortunes [1] soient taxées comme tout ce qui a de la « valeur ». La Culture s'émeut de la disparition programmée de l'un des plus beaux patrimoines mondiaux. Nos déesses s'opposent mais ont toutes trois raison, puisqu'elles partent de points de vue différents… sauf qu'on peut se demander si l'État est justifié à mettre la main sur toutes les « valeurs ». N'entrons pas dans ce débat hautement philosophique.
Mais cet interlude intellectuellement rafraîchissant (il ne rapportera quasiment rien à l'État) permet d'enfiler une à une les perles du collier des absurdités. La première, la Culture nous dit à juste titre que les œuvres d'art et le marché vont fuir la France. Ah bon, cela nous change du discours sur les entrepreneurs dont on nous dit contre toute évidence qu'il n'est pas prouvé que beaucoup ont émigré. Cachez ce sein…
La seconde, on sait qu'à l'origine de l'IGF une des sages raisons pour lesquelles les œuvres d'art n'avaient pas été incluses est l'impossibilité de leur évaluation, ou tout au moins la certitude de conflits interminables entre contribuables et administration, ainsi que l'intrusion administrative insupportable. Cela n'a bien entendu pas changé. Chaque année les œuvres changent de valeur dans de considérables proportions. La spéculation, n'est-ce-pas. Merci pour les experts et les avocats en tout cas.
Justement, parlons de la toujours immorale spéculation, puisque cet anathème est brandi dans les discussions entre parlementaires : mais enfin, la spéculation, c'est-à-dire le plaisir de se dire que l'on a raison de distinguer un artiste, voire de l'aider par mécénat, est la base même de la recherche du collectionneur. Comme l'entrepreneur d'ailleurs, le collectionneur « se plante » plus souvent qu'à son tour. Et celui qui ne fait qu'acheter non pas par goût et connaissance de l'art mais parce qu'on lui a dit que « cela aura de la valeur » est presque sûr de se planter. C'est cela, la hideuse spéculation ?
Mais rassurons-nous paraît-il, les collectionneurs ne sont pas visés. Mais qui donc alors ? Le pauvre hère qui découvre un Rembrandt sous la poussière de son grenier ? Sait-on définir ce qu'est un collectionneur ? On voit d'ici la brave personne qui, par hasard ou héritage, se trouve propriétaire d'un tableau de plus de 50.000 euros (la limite semblerait-il). On lui conseillerait d'aller immédiatement s'acheter en complément trois ou quatre croûtes place du Tertre : bien malin le contrôleur qui pourrait lui refuser devant les tribunaux la qualification de collectionneur ! Des goûts et des couleurs, Monsieur le Président…
Ceux qui « montrent leurs œuvres au public » seraient aussi exonérés. Là, on imagine facilement qu'il va se constituer un réseau parisien de galeries spécialisées dans la « montre » d'œuvres (comme autrefois des ours), où chaque propriétaire pourra pendant quinze jours faire admirer les siennes, et même faire payer l'entrée. Assez drôle de penser que le désir d'échapper à l'impôt fera naître un commerce lucratif, et lui aussi imposé.
Mieux vaut en rire. Ce qui fait moins rire, c'est qu'au final cette taxe qui ne rapportera rien va (encore) emm… les Français et nécessiter l'embauche à Bercy de brigades de contrôleurs, qu'il faudra payer fort cher avec les escouades d'experts de haute volée et rémunérations dont ils devront s'entourer. Alors là, nous disons : de grâce, arrêtez la plaisanterie ! Et par la même occasion, supprimez l'ISF…
[1] Mais n'oublions pas quand même les droits de succession qui nous ont par exemple valu le plaisir d'admirer la collection Walter à l'Orangerie…