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Le musée national du sport critiqué par la Cour des comptes

Qui connaît le musée national du sport, à Paris ? Pas grand monde, à en croire la Cour des comptes qui vient d'y consacrer une partie de son rapport public annuel. Avec un budget de 900.000 euros chaque année pour une cinquantaine de visiteurs par jour [1] et un nombre d'objets exposés ridicule, ce musée du sport ressemble fort à un « machin » inutile et coûteux, et de surcroît très mal géré.

Des collections chères et peu visibles

Le rapport 2011 de la Cour des comptes évoque « un musée largement virtuel ». En effet, le musée n'a pu présenter sa collection de façon permanente que pendant 10 ans (de 1988 à 1997), alors qu'il existe depuis 1963. Après la fermeture d'espaces d'exposition permanente en 1997, le musée a été rouvert en 2008 au rez-de-chaussée de l'immeuble où sont installés le secrétaire d'Etat et les services chargés des sports. Les travaux pour aménager cet espace muséal, appelé la « vitrine », ont coûté 4.4 millions d'euros (soit un coût total de 12.000 euros par objet exposé), avec un retard de 2 ans dans la livraison du chantier. Pire, on sait désormais que ces coûteux travaux sont inutiles car le musée prévoit de déménager prochainement à Nice. Le coût des futurs travaux d'aménagement est estimé à 5 millions d'euros (estimation du Ministre des Sports).

Malgré les coûteux aménagements du musée à Paris, la « vitrine » ne permet d'exposer que 350 objets, soit seulement 0.05% des 600.000 objets que contiendraient les collections du musée, deuxième du monde en volume d'objets, après le Musée olympique de Lausanne (voir ci-dessous). Les directeurs successifs de ce musée ne semblent cependant pas vouloir se contenter de ce grand nombre d'objets (pour l'instant entreposés dans des réserves, inaccessibles aux visiteurs !). En effet, le « projet scientifique et culturel » (PSC) du Musée, adopté en novembre 2010, stipule que « la première urgence en ce qui concerne l'enrichissement des collections, consiste à renforcer les fonds consacrés aux sports les plus populaires afin de pouvoir témoigner des grandes étapes marquantes de chaque discipline à travers les champions qui s'y sont illustrés [2]. » Bref, que les collections du musée soient ou non visitées ne semble pas beaucoup perturber le directeur du musée et son conseil d'administration, qui pensent visiblement nécessaire d'alimenter davantage les réserves, inaccessibles aux visiteurs. Et ce, alors même que la spéculation touche fortement les ventes d'objets liés aux stars du sport [3].

Une gestion défaillante

Un autre aspect inquiétant du musée du sport, c'est l'insuffisance chronique de sa gestion. Par exemple, en 2006, le musée n'a établi ni budget, ni compte financier. En cause, les «  retards, lourdeurs et errements qui ont affecté le fonctionnement du nouvel établissement public après sa création en mars 2006. Il fallut attendre une année pour que le nouvel établissement public soit en état de fonctionner ». En effet, alors que l'agent comptable a été installé en juillet 2006 (tout de même 4 mois après la création de l'établissement public), la comptabilité n'a été opérationnelle qu'au printemps 2007 « du fait de l'implantation tardive d'un logiciel ». Le rapport pointe d'autres défaillances, notamment en 2005-2007, lors de la délégation à un prestataire extérieur de la location d'expositions itinérantes.

Comment un tel musée a-t-il bien pu être conservé ? En grande partie grâce à des financements publics. La Cour des comptes recommande donc de faire « appel à des modes de financements innovants permettant de ne pas accroître la charge pesant sur les finances publiques nationales ou locales. » Bref, du mécénat.

A lire la réponse du directeur du musée à cette recommandation, on sent bien que la bataille du mécénat est loin d'être gagnée : « les responsables du Musée, ainsi que l'association créée en 2010 pour le soutenir, s'efforcent de trouver des partenaires ou des mécènes (…) Je voudrais cependant attirer l'attention de la Cour sur le rôle positif que joue cette « vitrine » depuis juin 2008, non seulement par le nombre significatif de ses visiteurs (plus de 1.000/mois), mais surtout parce qu'elle a permis à un musée enfermé dans ses murs depuis plus de dix ans de retrouver une visibilité, une notoriété et une crédibilité nécessaires pour intéresser des partenaires à son avenir ». Quand on sait que le Musée olympique de Lausanne en accueille plus de 16.000 chaque mois, le musée du sport de Berne 18.000 (en 2008) et le musée des sports de New York plus de 10.000, on peut douter de la crédibilité d'un musée qui n'attire, à Paris, que 1.000 visiteurs avec pourtant 600.000 objets dans ses collections…

Quelques musées du sport en Europe et dans le monde

Le musée olympique de Lausanne a accueilli plus de 3,3 millions de visiteurs en 17 ans, soit près de 200.000 visiteurs par an ces dernières années. Il possède plus de 55.000 objets liés aux Jeux : affiches, œuvres d'art, équipements sportifs, documents, souvenirs, vêtements et accessoires, médailles, drapeaux, épinglettes, mobilier, sans compter près de 517.000 photographies et plus de 21.500 heures d'images filmées.

Le Musée suisse du sport a été fondé en 1945, ses collections contiennent près de 130.000 objets (chiffre 2009). Il est administré par la Fondation Musée suisse du sport. Il présente les jeux de ballons et de boules, le cyclisme, la gymnastique et les sports d'hiver et organise depuis 2005 des expositions et divers projets dans toute la Suisse. Il a accueilli près de 75.000 visiteurs en 2007 et 215.000 visiteurs en 2008. En 1996, ce musée était en crise : « La Musée suisse du sport à Bâle se trouve actuellement dans une situation de crise dont il est en partie responsable. Toutes les sources de financement sont actuellement épuisées ou bloquées. Il y a lieu de craindre que cet établissement ne puisse même faire l'objet d'une fermeture dans les règles, de sorte qu'on pourrait en venir à une vente forcée de ses collections [4]. » Ses collections rassemblaient alors plus de 100.000 objets, de toutes périodes. Ces dernières années, le nombre de visiteurs a fortement augmenté [5] grâce au concept du « musée mobile », mais on peut se demander si les finances du musée sont tout à fait rétablies, vu que le Parlement a décidé (en 2009) de lui accorder de nouveaux financements publics pour 2010.

Le musée du sport new-yorkais a été un échec. Créé par Philip Schwalb (auparavant PDG de TPC Holding Company et président de Centerprise Information Solutions), il est resté ouvert moins d'un an, et a fermé ses portes en février 2009. Il n'a attiré « que » 125.000 visiteurs par an (plus de 340 par jour en moyenne), alors qu'il était prévu pour en accueillir 1 million et qu'il lui en aurait fallu 275.000 par an pour survivre [6]. Ce qui a surtout pesé dans ses comptes, c'est le coût de sa construction (93M$).

Conclusion

Le musée du sport à Paris est un échec. L'exemple du musée de Berne montre que ce n'est pas une fatalité, et qu'un musée du sport peut intéresser le public, à condition d'aller le chercher. Cependant, le musée français du sport doit aussi revoir la gestion de sa collection (quitte à se séparer d'une partie des objets qui y sont avant d'en acheter de nouveaux), et à mener une politique active de mécénat. La non-gestion actuelle ne peut continuer. Dans son rapport, la Cour conclut d'ailleurs sur une menace à peine voilée : « Si les avancées annoncées ne se matérialisaient pas, la Cour considère qu'il conviendrait de s'interroger sans délai sur l'avenir de ce musée ». Sans recherche active et de mécénat et de visiteurs, il vaudrait mieux fermer ce musée le plus rapidement possible.

En savoir plus : Cécile Méadel et al., « Le musée national du sport », Le Temps des médias 2007/2 (n° 9), 2007

[1] Et c'est sans compter le fait que ce musée est peu souvent ouvert (seulement 324 jours par an au maximum) : il est fermé le lundi, 3 dimanches sur 4 et la moitié du samedi. Un temps d'ouverture relativement faible, au vu de la concurrence des autres musées parisiens.

[2] Source : Rapport de la Cour des comptes 2011.

[3] « Les acquisitions du musée se situent aussi dans un contexte marchand concurrentiel et confronté à une spéculation croissante. Les ventes publiques consacrées au thème du sport ou les galeries d'antiquités spécialisées se sont fortement développées. De multiples transactions sont effectuées quotidiennement sur les sites Internet de ventes aux enchères, ce qui atteste l'existence de nombreux collectionneurs d'objets liés au sport. Ces facteurs spéculatifs posent la question des critères objectifs de fixation des prix des objets, ainsi que celle des limites dans lesquelles un musée national peut se porter acquéreur. » Rapport public annuel 2011 de la Cour des comptes.

[4] Postulat 96.3489, « Sauvetage du musée suisse du sport », déposé par Reimann Maximilian le 03.10.1996 au Conseil des Etats suisse. Source : Parlement suisse.

[5] Cf. site Internet du Sportsmuseum

[6] Source : New York Times