Le film « Les Héritiers », ou comment réformer l'Éducation nationale
Une classe difficile d'une banlieue difficile qui remporte un concours national d'histoire sur les camps de concentration, ce quasi documentaire confirme une fois de plus ce qu'on savait déjà : à l'école, au collège ou au lycée, inutile de changer les programmes, de réformer le système de notation des élèves, ou d'imposer de nouvelles méthodes pédagogiques en mathématiques. C'est l'enseignant qui est essentiel et qu'il faut motiver, un point que nos voisins britanniques ont bien compris. Sauf qu'en France, ce sont justement les professeurs que notre Éducation nationale laisse en jachère. Et en attendant de s'occuper d'eux, on va distribuer 700.000 tablettes aux collégiens.
Des films sur l'école qui racontent la même chose (ex. Être et avoir), il y en a déjà eu beaucoup, et les responsables politiques et les milieux intellectuels ne tarissent pas d'éloges sur ces films d'auteur. Mais cela ne change rien sur le terrain. Les enseignants continuent à être recrutés sur des critères purement académiques. Avoir été un assez bon élève suffit alors qu'avoir été moniteur de colonie de vacances ou fait des stages en entreprise ne donne aucun bonus.
La raison : attention à la subjectivité. Ces professeurs sont ensuite lâchés dans la vraie vie sans être sérieusement encadrés par des collègues peut-être plus anciens mais surtout plus aguerris.
Le prétexte : l'enseignant est seul maître dans sa classe. Au lieu d'être recruté en fonction d'un projet pédagogique d'établissement commun, il y sera affecté de façon aléatoire.
La logique : les enseignants sont considérés comme des ressources banalisées que leur diplôme et leur âge suffisent à caractériser. Tout au long de sa carrière, la performance d'un enseignant sera évaluée par un inspecteur qui passe une heure tous les trois ou quatre ans dans sa classe, et n'a aucune idée de l'implication de cet enseignant dans la vie de l'établissement (élèves, collègues, parents). La logique voudrait que son chef d'établissement et un enseignant responsable par département (langues, sciences, littérature, … ) l'évaluent, le conseillent et le sanctionnent (voir encadré). Avec des conséquences sérieuses sur sa carrière et son salaire.
L'impossible : risque de favoritisme. Malgré les promesses de dizaines de ministres, les jeunes enseignants sont toujours affectés aux établissements et aux classes difficiles.
Ce qui est devenu la norme : pour récompenser les meilleurs professeurs, la seule méthode disponible est de les muter dans des régions ensoleillées, dans leur province d'origine ou au centre de Paris [1].
700.000 gadgets
700.000 tablettes à 300 euros seront distribuées pour un coût brut de 210 millions d'euros. Une mesure dont le bien-fondé peut être contesté, d'autant que, dans ce secteur surtout, ce n'est pas le « hardware » (la quincaillerie) qui coûte cher mais ce qu'on met dedans, et la logistique et les personnels nécessaires à leur entretien. Le coût total de cette annonce se monte plutôt à un milliard d'euros.
Un milliard pour rien puisque 70% des enseignants sont contre cette mesure et que rien n'est prêt pour les autres. En 1984, un autre gouvernement avait déjà lancé sans préparation un plan « ordinateur pour tous ». Cela n'a pas sauvé la filière micro-informatique nationale, ni amélioré le système éducatif français. La ministre de l'Éducation nationale peut demander à son collègue des Affaires étrangères de lui expliquer tous les problèmes qu'il avait eus à débarrasser les caves et les placards des écoles des stocks de Thomson T-07 inutilisés.
Conclusion
Au lieu de distribuer des gadgets (tablettes, changement des programmes, redécoupage des cycles de la maternelle au lycée…) et de s'écharper sur de faux sujets (comment évaluer sans noter ?), c'est des enseignants qu'il faut s'occuper d'urgence. Pour les élèves, bien sûr, mais aussi pour les professeurs eux-mêmes. On laisse actuellement les moins bons s'enfoncer dans la médiocrité, les meilleurs se résigner à ne pas exploiter tous leurs talents. Heureusement qu'une petite minorité continue à faire des miracles, comme l'enseignante dans « Les Héritiers », ou comme mon professeur d'histoire, qui tenait en haleine pendant six heures sa classe de seconde sur la seule bataille d'Austerlitz.
Pour y parvenir, la solution réside dans des établissements autonomes auxquels l'État fixerait des objectifs puis contrôlerait les résultats, établissements qui proposeraient une offre diversifiée d'enseignement. Les enseignants, les parents et les élèves pourraient ainsi choisir le type d'éducation qu'ils souhaitent prodiguer ou recevoir (strict ou ouvert, style Freinet, pratique style 'la main à la pâte" ou théorique, avec ou sans tablettes, avec ou sans notes, mixte ou pas, avec uniforme ou sans …). Tous seraient beaucoup plus satisfaits, et on éviterait ces combats stériles et à répétition.
Pourquoi les expérimentations réussissent toujours
Les nouvelles réformes proposées par la ministre de l'Éducation nationale ont remis en lumière diverses expérimentations comme celle de ce professeur qui intéresse ses élèves aux mathématiques grâce au bridge. Le résultat est brillant mais uniquement grâce à la passion et au talent de cet enseignant, et une généralisation de la méthode conduirait évidemment à un fiasco. Idem pour cet autre enseignant qui utilise le jeu d'échecs.
C'est l'enseignant qui compte, pas la méthode.
Comment les Britanniques veulent motiver leurs enseignants :
L'enseignant est essentiel et le gouvernement britannique l'a bien compris. Après plusieurs années de refonte qui a accordé plus d'indépendance aux établissements, aux directeurs et aux collectivités, le gouvernement vient d'introduire pour tous les enseignants, des salaires liés à la performance. Malgré l'opposition des syndicats d'enseignants, la mesure sera effective dès 2015, car confortée par des expérimentations déjà concluantes dans des établissements indépendants et/ou volontaires. Dans les établissements privés ou publics indépendants (ou free schools), pas de changement majeur, le directeur d'établissement gérant son budget et sa masse salariale comme il l'entend. Mais dans les établissements publics, la politique salariale est désormais la suivante :
- Les rémunérations minimale et maximale sont toujours fixées par la grille du gouvernement mais la progression sur cette grille se fait maintenant en fonction de la politique établie par l'établissement, sur la performance. Plus de progression automatique, les établissements sont libres d'édicter leur politique de progression : ils peuvent décider d'augmenter les 20% d'enseignants les plus performants, ou déterminer un bonus annuel selon la note obtenue par l'enseignant, ou encore choisir de ne récompenser que les enseignants qui en auraient fait la demande… Tous ces éléments, l'évaluation de l'enseignant et l'avis du directeur, sont ensuite transmis au governing body de l'établissement qui prendra la décision finale (il s'agit d'une sorte de Conseil d'administration qui regroupe des parents d'élèves, des membres du personnel, des représentants de la collectivité et des fondations, sponsors de l'école.)
Pour illustrer cette politique, l'équipe du journal de 20h de France 2 du dimanche 7 décembre, s'est rendue dans l'école primaire Rudyard Kipling à Brighton. La directrice, Jenny Aldridge arrivée en 2008, mise sur la création d'une équipe pédagogique motivée et efficace. Parce qu'elle contrôle l'intégralité du budget de son école, elle a pu licencier le personnel non performant et mettre en place une politique de rémunération à la performance, notamment pour récompenser des enseignants qui participent aux missions élargies (responsabilités administratives, heures supplémentaires, cours particuliers au sein de l'établissement). Autrefois établissement en bas de classement dans un quartier défavorisé, cette école fait aujourd'hui partie des 250 meilleurs établissements en termes de progression des élèves entre le début et la fin du primaire.
Lire aussi : Tribune d'Hélène Rey, économiste à la London Business School, dans Les Echos.
[1] L'application des notations par lettres dans les années 1970-1980 n'avaient pas conduit à une amélioration de la performance du système d'enseignement français