Le Figaro | Intermittents du spectacle : à quand la réforme ?
[( Cette tribune a été publiée dans l'édition du 6 juin du Figaro et sur le site Figaro.fr. Elle est signée par Agnès Verdier-Molinié, directeur de la Fondation iFRAP. )]
Le dossier des indemnités chômage des intermittents du spectacle est bien épineux. Le paradoxe de ce système d'assurance chômage dérogatoire est que les intermittents en question perçoivent des indemnités s'ils travaillent 507 heures sur 10 mois. Avec un mode de calcul très flou qui permet de prendre en compte les périodes de formation et les heures d'enseignement. L'indemnisation généreuse des intermittents, motivée par le caractère discontinu de leur activité, est excessive comparée à la situation de certains salariés du régime général comme les intérimaires, soumis à une précarité aussi grande sans bénéficier des mêmes avantages. Une usine à gaz maintes fois dénoncée mais jamais réformée.
Le coût de l'indemnisation des 100.000 intermittents du spectacle est disproportionné : en 2009, 1,3 milliard d'euros d'allocations a été versé, pour seulement 225 millions de cotisations recueillis. La Cour a calculé que 10% des intermittents ont perçu en moyenne 39.867 euros par an d'allocations en 2010. Le déficit a été d'un milliard d'euros, soit « un tiers du déficit total de l'assurance chômage, alors que les intermittents ne constituaient que 3% des demandeurs d'emploi » en 2010 nous dit la Cour des comptes [1].
Depuis la réforme de 2003, le statut d'intermittent est réservé aux techniciens et aux artistes remplissant des conditions définies aux annexes 8 et 10 de l'Unedic : soit 100.000 personnes environ, qui sont rattachées au régime général de l'assurance-chômage géré par Pôle Emploi. Malgré un durcissement des conditions d'accès au statut d'intermittent depuis 2003, le nombre d'intermittents indemnisés par l'assurance-chômage ne cesse d'augmenter, en moyenne d'1% par an, passant de 102.223 en 2007 à 106.619 en 2010 d'après la Cour des comptes.
Trop d'intermittents sont indemnisés pour de mauvaises raisons : la Cour a dénoncé le phénomène de « permittence », où employeurs et salariés s'entendent pour déguiser des emplois permanents en emplois précaires et déclencher l'accès aux allocations. Au moins 15% des intermittents statutaires seraient concernés. La Cour a vivement critiqué la permissivité actuelle face à ces situations de fausse précarité. La « permittence » est, il est vrai, encouragée par l'incohérence du système, qui n'accorde d'indemnisation chômage aux intermittents que lorsque ceux-ci travaillent.
Aurélie Filippetti, nouvelle ministre de la Culture a affirmé la semaine dernière vouloir ouvrir au plus vite ce dossier. Quant à François Hollande, il s'est montré prudent en avril dernier, répondant au Parisien : « Ce qui est contesté par un certain nombre de partenaires sociaux, c'est que [le statut des intermittents] repose essentiellement sur les cotisations chômage. Il faut donc peut-être aller vers un financement plus diversifié. » Il est vrai que les critiques se concentrent sur le système d'indemnisation, ultra-déficitaire et financé essentiellement par l'assurance-chômage, c'est-à-dire grâce aux cotisations de l'ensemble des salariés.
Si le scandale du financement des intermittents est bien connu, nul n'ose s'y attaquer depuis les troubles de 2003 en réaction à une tentative de réforme. C'est donc un vaste chantier qui attend Mme Filippetti dans les mois à venir. Certains syndicats comme la CFDT ont manifesté leur désir de revenir sur un régime jugé « aberrant ». D'autres seront sans doute moins partants, comme la FNSAC-CGT (Fédération nationale des syndicats du spectacle, de l'audiovisuel et de l'action culturelle), qui contrôle plusieurs importants fonds de soutien et la caisse de retraite complémentaire des artistes et techniciens, Audiens.
Une fois passé le barrage des syndicats, il conviendrait de prendre des mesures énergiques, non dans un esprit de « répression » mais d'équité. Fixer un objectif de réduction du déficit est indispensable et rapprocher au plus vite les conditions d'indemnisation des intermittents des conditions communes s'impose. En augmentant les cotisations des employeurs et en les indexant sur le nombre de journées d'indemnisation générées.
Pour tenir cet objectif, les conditions d'indemnisation des intermittents devront être revues, comme le recommande la Cour qui en souligne le caractère « très favorable au regard du droit commun de l'assurance chômage ». Il faudra accepter de réduire le nombre de personnes bénéficiant du statut d'intermittents, nombre qui n'a pas cessé de croître. La Fondation iFRAP propose de réserver ce statut aux seuls artistes ce qui permettrait, selon nos estimations, de réduire le déficit à terme de 500 millions d'euros par an. Et ce d'autant plus que ce serait une réforme juste : les intermittents-techniciens sont en moyenne mieux payés et ont un temps de travail plus élevé que les artistes ; leur situation est globalement bien plus avantageuse que celle des intérimaires, alors qu'ils peuvent plus facilement que les artistes se reconvertir, le cas échéant, dans d'autres milieux professionnels.
[1] voir le rapport annuel de la Cour des comptes 2012