L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) en déclin
Rendre gratuite la scolarité des élèves français de l'étranger était une mesure généreuse. Au-delà des défauts objectifs qui se sont révélés, comment dynamiser réellement l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) que certains disent sur le déclin ?
2007. Campagne présidentielle. Nicolas Sarkozy qui n'était alors que candidat propose de rendre gratuite la scolarité des élèves français de l'étranger. Mesure électoraliste diront certains, promesse irresponsable enchériront d'autres. Au-delà de ces jugements téméraires, la mesure n'était-elle pas logique ? Pourquoi les enfants français de l'étranger devraient-ils payer leurs scolarités quand leurs camarades de métropole bénéficient de l'école « gratuite » (« laïque et obligatoire » selon le credo républicain) ? Pourquoi l'Etat finance-t-il à hauteur de 7 milliards d'euros les établissements privés français et n'est pas capable d'aligner 40 millions pour assurer la gratuité de la scolarité des lycéens français de l'étranger ? Questions légitimes…
La plupart des établissements (écoles, collèges, lycées) d'enseignement en français à l'étranger sont affiliés à l'AEFE (un établissement public administratif créé par la loi du 6 juillet 1990).« La mission laïque » est une association reconnue d'utilité publique qui gère son propre réseau d'établissements scolaires. Les établissements de cette association peuvent également signer des conventions avec l'AEFE.
Les « Alliances françaises » ne gèrent pas d'établissement scolaire mais se concentrent sur la diffusion de la langue et de la culture françaises par différents moyens (cours de français, organisation de spectacles, échanges et rencontres des différentes cultures du monde).
Une fois élu, Nicolas Sarkozy tient sa promesse et la gratuité commence à être mise progressivement en place à la rentrée 2007/2008 dans les établissements rattachés au réseau de l'Agence de l'Enseignement Français à l'Etranger (AEFE). Rapidement les défauts de cette « prise en charge » des frais de scolarité (PEC) apparaissent. Les parlementaires égrènent les dysfonctionnements de cette mesure au fil de leurs rapports : alors que les frais de scolarité étaient pris en charge dans les contrats de travail des expatriés, par un effet d'aubaine, les entreprises commencent aujourd'hui à supprimer leur soutien à la scolarité des enfants des expatriés. Ce désengagement du privé, dû à une décision politique, se fait au détriment du contribuable français qui doit désormais assumer le coût de scolarisation des enfants des expatriés…
Un autre problème réside dans le fait que cette mesure ne bénéficie qu'aux ressortissants français : les parents d'enfants non français auront donc tendance à retirer leurs enfants des établissements du réseau AEFE. En effet, l'augmentation des frais de scolarité a été constatée : les établissements, sachant que « l'Etat rembourse », n'hésitent plus à augmenter leurs tarifs aux détriments des étrangers qui eux ne bénéficient pas de la gratuité. Conséquence : une baisse du rayonnement de la langue française puisque les étrangers quittent les établissements de l'AEFE. De plus, dans les pays de l'UE, la Cour de Justice de l'Union Européenne pourrait juger discriminatoire une telle mesure… Devant ces effets collatéraux inattendus, l'élargissement de la gratuité a été suspendu. La "prise en charge" ne concerne donc que les élèves des classes de lycées.
Mais au-delà du feuilleton de cette mesure, se pose la question de la modernisation du financement de cette structure importante qu'est l'AEFE. Comment donc rendre efficace ce financement et le diversifier ? Répondre à ces questions est d'autant plus urgent que la situation financière de l'AEFE se complique, d'une part à cause de la baisse tendancielle de la subvention de fonctionnement de l'Etat et d'autre part par le transfert de compétence (à sa charge) en matière de gestion immobilière de certains établissements.
Un préalable à toute réforme semble s'imposer : il faut simplifier la tutelle de cette agence. Théoriquement la tutelle est assurée par le ministère des affaires étrangères. En pratique, elle dépend de deux ministères et de cinq directions et sous-directions rendant « la cohérence de la politique d'enseignement français ou du français à l'étranger (…) rien moins qu'incertaine ». Cette tutelle redéfinie permettrait au passage de clarifier les circuits de financement qui « comme beaucoup d'autres structures dépendant du ministère des affaires étrangères (…) rendent quasiment impossible la réalisation d'un tableau exhaustif retraçant l'ensemble des flux » [1].
Autre champ d'une éventuelle réforme : les établissements français de l'étranger peuvent être rattachés au réseau de l'AEFE de plusieurs manières. Sur 451 établissements dépendant de l'AEFE, 77 écoles sont des établissements en gestion directe, 166 conventionnés et 208 homologués. Un établissement en gestion directe coûte en moyenne 20% de plus à l'AEFE. Ces gestions directes sont « la pire des solutions » confie à l'iFRAP Olivier Cadic, un élu de l'Assemblée des français de l'étranger. L'élu poursuit : « elles relèguent en toute dernière place sa mission essentielle, la coopération avec le pays d'accueil, pour n'être plus qu'un service rendu à certains privilégiés du système ». Olivier Cadic soulève le fond du problème en dénonçant dans ces gestions directes une AEFE à la fois « opérateur et régulateur du réseau ». Les cas de gestions directes doivent donc être revus à la baisse.
Il faut également revenir sur la gratuité dans l'enseignement afin de réinvestir dans le financement des établissements les entreprises qui expatrient du personnel. L'investissement de ces dernières représenterait actuellement 10% du budget global (soit environ 100 millions d'euros) de l'AEFE. Un comble : le cercle Magellan (un réseau de directeurs de ressources humaines internationaux de 200 multinationales s'occupant de mobilité internationale) affirme que « les entreprises ne sont pas demandeurs de la gratuité de la scolarité, dont elles mesurent les risques pour l'équilibre financier des établissements » [2].
Les entreprises sont donc très sensibles aux conditions de scolarisation des enfants de leurs expatriés (qualité de l'enseignement, conditions matérielles correctes, encadrement rigoureux…) Il est donc grand temps de donner les moyens au secteur privé d'investir dans l'enseignement français à l'étranger par la création d'une fondation centralisant pour l'AEFE les dons et legs et en suscitant la naissance d'associations locales pour les entreprises souhaitant orienter leurs dons vers un établissement en particulier. Les Alliances françaises ne poursuivent pas les mêmes buts mais il serait bénéfique pour l'AEFE de s'en inspirer. 1085 Alliances françaises sont présentes dans 134 pays. Elles s'autofinancent à hauteur de 75% principalement grâce à des cours de langue, des fonds privés, des dons et legs [3].
Le cas de « la fondation Alliance française » (créée en 2007 et qui gère depuis Paris le réseau international des Alliances françaises) est significatif : « des entreprises françaises ont été sollicitées pour doter la fondation en capital. Après deux ans d'efforts, l'Alliance française de Paris a obtenu 5 millions d'euros des entreprises et des particuliers et 2 millions d'euros d'usufruit » [4]. L'ensemble du réseau des Alliances françaises reçoit 40 millions d'euros de subventions publiques sur un budget total de 238 millions d'euros [5]. Un exemple à suivre pour l'AEFE.
[1] Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) sur l'enseignement français à l'étranger, 2009
[2] Rapport de la commission sur l'avenir de l'enseignement français à l'étranger, 2008
[3] Rapport du Sénat sur le Projet de loi de finances pour 2010 : Action extérieure de l'État : rayonnement culturel et scientifique
[4] Jean-François MANCEL, rapport sur la mission « action extérieure de l'Etat » dans le PLF 2008
[5] Jean-François MANCEL, rapport d'information sur la modernisation de l'outil diplomatique (22/07/2008). Pour prolonger la comparaison AEFE/Alliance française, notons que d'autres structures publiques et para-publiques chargées de promouvoir la culture française ne s'en tirent pas aussi bien que les Alliances françaises : CulturesFrance peine à atteindre l'équilibre et les centres culturels et instituts culturels bénéficient respectivement de 56 millions d'euros et de plus de 100 millions d'euros de subventions.