Enseignement supérieur : Entretien avec Eric Froment, ancien conseiller à l'AERES
A l'occasion de la parution de notre étude "Universités : Premier bilan de l'autonomie" dans notre revue Société Civile, nous faisons paraître en intégralité un entretien avec Eric Froment. Conseiller à l'AERES (Agence d'Evaluation de la Recherche et de l'Enseignement supérieur) pour les questions internationales jusqu'en septembre 2011, il a enseigné l'économie à Lyon II, et a participé à la création de l'association européenne des universités.
Fondation iFRAP : Quelles ont été pour vous et pour l'université de Lyon II, les premières conséquences directes de la
{{Eric Froment : }} Difficile de répondre, car les équipes de direction de Lyon 2 depuis 2007 ont plus combattu la LRU qu'elles n'ont essayé de l'appliquer. Mais la LRU, du fait de ses modalités électorales, a néanmoins eu un effet : elle a contribué à la déstabilisation de l'établissement, une très courte majorité ayant donné une prépondérance excessive à la tendance la plus hostile. Aucune discussion sérieuse n'a eu lieu sur la loi, on en est resté aux préjugés et aux comportements historiques.
{{Fondation iFRAP : Quel regard portez-vous sur l'autonomie des universités en France, comparativement à celles du reste de l'Europe? Comment expliquer notre retard pointé par l'[étude de l'association de l'université européenne->http://www.eua.be/Libraries/Publications_homepage_list/University_Autonomy_in_Europe_II_-_The_Scorecard.sflb.ashx" class='spip_out' rel='external'>loi LRU (Libertés et Responsabilités des Universités ?
Eric Froment : Pour ma part, je pense que l'autonomie est la seule issue possible actuellement pour le système universitaire français. Défenseur du service public qui en est une de ses caractéristiques, je pense que le système français ne peut plus avancer par une direction centralisée. Ayant fréquenté de près depuis 1996 la DES puis la DGES, puis un peu le DGSIP, j'ai observé, en dépit de la qualité des personnes, l'impossibilité de déceler à cette distance les évolutions et les spécificités des différents établissements et, a fortiori, d'adopter des incitations, ou les mesures diversifiées et adaptées à ces derniers pour les aider à évoluer plus rapidement. Au contraire on les bride, on maintient l'uniformité, avec des ministres qui définissent une politique unique pour tous. ("Tout le monde au PRES du nord au sud et de l'ouest à l'est" !) ("la même nouvelle licence pour tous décidée selon les schémas des bureaux de Paris" etc.)
Le système ne peut plus évoluer par le centre. C'est trop complexe à suivre, comprendre et diriger. Il faut donner de la liberté aux établissements tout en maintenant des grands principes pour tous, mais des grands principes seulement. Comment prendront-ils leurs responsabilités si l'on continue à vouloir leur dicter non pas l'objectif (légitime) mais l'objectif et la méthode, discipline par discipline, du L1 au L3 (non sens).
L'autre problème sur lequel nous buttons en France vient aussi de la base, des enseignants et pas seulement du ministère, de par notre système historiquement centralisé et reposant sur l'idée du service public.
L'enseignant a l'habitude de tout attendre de Paris et du ministère. Il est désemparé lorsqu'on supprime les maquettes (exemple : mise en place du LMD en 2002). Les enseignants n'osent pas prendre des initiatives sans l'aval de Paris, ainsi sur les masters, ouvrir une discussion avec les étudiants pour se concerter et faire évoluer selon les lieux et les spécialités les questions en relation avec des établissements d'autres pays. Même la CPU est timorée.
Par ailleurs les syndicats sont peu implantés dans les établissements et sont donc en faveur du maintien de cette situation centralisée, qui leur permet de conserver un rôle ; d'autre part ils sont très peu actifs au plan européen et international (et là j'ai été bien placé pour l'observer) et ils ne peuvent donc pas saisir l'importance de l'autonomie qui existe ailleurs et qui ne doit pas être confondue avec libéralisme, dédain du service public ou mainmise du pouvoir économique.
La contractualisation n'a pas eu l'effet bénéfique, faute d'avoir été pratiquée véritablement : car le ministère a gardé ses réflexes d'une politique unique appliquée à tous et ses diverses directions sont trop éloignées du terrain pour en saisir les particularités. Donc les tentatives des établissements pour bâtir des projets d'établissement un peu différenciés n'ont pas été encouragées et l'essentiel des moyens financiers a continué à être distribué selon des règles communes à tous. On incite partout à faire la même chose au même moment. Je reprends l'exemple des PRES. Et on passe d'une réforme à une autre en oubliant la précédente : 2006 - début 2007 le PRES et le mot d'ordre « on se regroupe » ; 2007-2008 : l'autonomie et l'indication « chacun pour soi » qui perturbe la dynamique précédente et n'est pas articulée avec elle.
Comment sortir du système centralisé en donnant vraiment la responsabilité aux établissements sans faire disparaître certains principes du service public : il faudrait un changement de mentalité des enseignants et d'abord des autorités. Que celles-ci acceptent l'évaluation et le contrôle a posteriori et cessent de pratiquer le cadrage a priori (cf actuellement sur la licence). On en est loin. Du coup comment voulez-vous que les enseignants sortent de leurs attitudes françaises historiques : réagissant aux réformes plutôt qu'acteurs de réformes ? C'est cette différence historique de mentalité -on attend les décisions- qui nous différencie de beaucoup de pays européens.
Fondation iFRAP : Quels sont pour vous les points clés à améliorer pour rendre les universités en France plus performantes ? L'autonomie est-elle le seul levier à envisager ?
Eric Froment : Pour rendre les universités plus performantes et les faire évoluer en France, il me semble qu'il faudrait
1- de véritables équipes présidentielles (groupe d'enseignants et d'administratifs travaillant ensemble) et non seulement un président au pouvoir. Il faut être plusieurs pour discuter et s'adapter à la difficile situation de responsabilité stratégique, dans un environnement local et international au sein duquel il faut savoir se situer et combiner la part de chacun. C'est aussi valable en matière pédagogique (pratiquer vraiment l'équipe pédagogique face aux défis posés par la diversité du public étudiant) et de recherche (l'équipe doit exister même en SHS).
2- un projet d'établissement traçant une ligne durable pour l'établissement et non le projet temporaire d'une équipe pour 4 ans. Il faut du temps pour faire bouger un établissement et donc de la continuité issue de débats et d'une adhésion des personnels à une ligne.
3- il faut avoir au sein de l'établissement une écoute attentive et encourager les initiatives. Il ne faut pas reproduire le comportement autoritaire du ministère ou sa pratique uniforme quelle que soit la discipline ou le diplôme concerné.
L'issue est donc pour moi dans un changement profond d'attitude : du ministère d'abord, des responsables d'établissements, mais aussi des enseignants et de leur tendance à l'individualisme. Et pour tous :
a) l'attention portée à des évaluations externes a posteriori n'ayant pas un caractère contraignant, mais permettant d'ouvrir des discussions en interne et de progresser ;
b) une plus grande attention portée à ce qui se passe hors de France (par exemple le scorecard que vous mentionnez aurait dû provoquer et ouvrir un débat national à l'initiative de la CPU).