Beaupréau : un lycée supplémentaire, pour quoi faire ?
Il y a quelques semaines, le conseil régional des Pays de la Loire rendait public le projet architectural retenu pour la construction du lycée public de Beaupréau. D'une capacité de 660 élèves, le Lycée des Mauges argue de hautes performances énergétiques et devrait être livré en juillet 2015. Ce projet, dont le coût est estimé à 32 millions d'euros, est le fruit d'une ambition idéologique. La demande éducative n'est en rien saturée, Beaupréau compte aujourd'hui deux lycées privés sous contrat d'association avec l'État : un lycée général et technique et un lycée professionnel. Ce sont certes uniquement des lycées privés mais ils remplissent exemplairement leur mission de service public avec de très bons résultats. Construire un nouveau lycée risque de déstabiliser le paysage scolaire, ce que le conseil régional ne semble pas prendre en compte.
L'argument d'une pression démographique n'est pas tenable. Un coup d'œil rapide sur les données départementales fournies par l'Insee nous donne le graphique suivant. Pour le Maine-et-Loire, la population des jeunes âgés de 15 à 19 ans est en baisse légère mais continue depuis 2006. La situation dans les départements limitrophes et pour lesquels la construction d'un lycée pourrait avoir un impact, n'est pas plus tendue. Aucune pression démographique ne s'y distingue non plus, la diminution au contraire s'y confirme. Cette tendance est par ailleurs, confirmée par la démographie des 0-15 ans, elle aussi en décrue. Il paraît donc difficile de justifier par la démographie l'augmentation de l'offre de formation.
Concernant la diversité de cette offre et son accessibilité, une étude réalisée en 2007, à la demande du comité de pilotage du projet de lycée public, a montré que les « enfants du Choletais et de la région de Beaupréau n'étaient pas défavorisés pour l'accès à la plus grande partie des formations envisagées pour leur avenir » [1].
L'offre est donc adaptée à la demande, et il n'est nul besoin urgent de l'élargir. Le projet de lycée public prévoit néanmoins d'accueillir 660 élèves : 410 dans les filières générales et technologiques et 250 dans les filières professionnelles. Ces élèves seront donc nécessairement soustraits des effectifs des autres établissements : des lycées de Beaupréau d'abord (environ 940 élèves répartis entre le lycée privé sous contrat général et technologique et le lycée professionnel privé sous contrat), de Cholet et Chemillé ensuite, pour ne citer que les plus proches [2]. Les lycées publics de ces villes alentours ne sont d'ailleurs pas pleins ; celui de Vallet, à vingt minutes de Beaupréau, a déjà fermé faute d'élèves.
Parallèlement au projet bellopratain [3], la région a engagé la construction de quatre autres lycées publics en Loire-Atlantique. L'un d'entre eux se trouve à Clisson, soit à moins de 30 minutes de Beaupréau.
Quant à la qualité des formations délivrées, elle n'est plus à démontrer. Les classements réalisés par les médias placent le lycée général et technologique privé sous contrat parmi les tout premiers du département chaque année. En 2008, un classement national le positionne 25ème sur 1847 lycées publics et privés. Ce très haut niveau s'assortit d'une absence de sélection, cela dans un environnement sociologique varié. L'identité des établissements privés sous contrat de la commune ne peut donc en aucun cas leur être reprochée, puisqu'ils remplissent exemplairement et sans aucune discrimination, une mission de service public.
Le nouveau lycée public devrait coûter 32 millions d'euros selon les chiffres fournis par la région [4] ; coût qui devrait s'étaler sur toute la période de construction, c'est-à-dire jusqu'en 2015. Sur son site, le cabinet d'architecte Epicuria, dont le projet a été retenu, annonce un coût de 20 millions d'euros. La différence de 12 millions d'euros s'explique sans doute par le coût du terrain, de l'équipement, et des travaux non pris en compte par le projet architectural (voirie, jardins,…), mais malheureusement la région ne fournit aucun détail dessus.
Mais pour prendre conscience du coût réel du nouvel établissement il faut aussi prendre en compte le coût de fonctionnement une fois l'établissement construit et en activité.
En 2008, le coût annuel moyen d'un élève du second degré dans le public était de 9.989 euros au total, contre 7.201 dans le privé [5]. A partir de 2015, date de l'ouverture, le lycée des Mauges devrait donc coûter environ 6,59 millions d'euros annuellement, répartis entre l'État, la région, d'autres administrations, les ménages et les entreprises.
Pendant ce temps, l'ensemble scolaire Dom Sortais qui réunit l'enseignement secondaire privé déjà existant à Beaupréau, doit faire face à des frais importants. Il a lancé en 2004, un vaste projet de fusion des deux collèges qui existaient sur la commune, la restructuration s'est prolongée par le rapprochement des deux lycées. Pour cela, les établissements se sont endettés sur 25 ans, en tenant compte d'estimations démographiques décroissantes de l'Insee. L'arrivée d'un nouveau lycée bouleversera complètement ces prévisions, et les conséquences financières qui en découleront seront plus que catastrophiques. L'association sera contrainte au dépôt de bilan et à la liquidation judiciaire. Les établissements privés comptent aujourd'hui environ 1.700 élèves qu'il faudra alors immédiatement rediriger vers d'autres lieux.
Ils disposent par ailleurs d'un patrimoine immobilier important, fruit d'une longue tradition éducative remontant au début du XVIIIe siècle. Les aides de la région qui devraient être affectées à l'entretien et la rénovation de ces bâtiments historiques seront forcément impactées à la baisse par la construction d'un nouveau lycée.
Si la région est prête à consacrer 32 millions d'euros pour l'enseignement secondaire à Beaupréau, pourquoi ne le fait-elle pas dans les établissements déjà existants ? Au lieu de cela, elle prépare la déstabilisation éducative du secteur, par des investissements en infrastructures nouvelles inutiles, aux dépens de celles déjà existantes. Le recteur d'Académie s'est prononcé contre, et le conseil général du Maine-et-Loire a refusé lui aussi de s'associer au projet, par la construction d'un collège.
La loi Debré de 1959 avait mis fin à la guerre scolaire entre le public et le privé, certains voudraient la ressusciter aujourd'hui, en dépit de tout bon sens, dans une région où 45% des lycéens étudient dans l'enseignement privé sous contrat.
L'enjeu est de savoir s'il est raisonnable d'utiliser des fonds publics dans les conditions et les circonstances que nous avons évoquées ; il semble que non.
[1] Brochure Réfléchissons, publié sur le ce site.
[2] On peut supposer que, par ricochet, d'autres lycées soient affectés soit par le déplacement des effectifs, soit par l'attribution de filières spécifiques au nouveau lycée aux dépens de celles déjà existantes.
[3] Adjectif relatif à la ville de Beaupréau.
[4] à titre indicatif, en 2009, la région a dépensé 212 millions d'euros pour les lycées, dont 155 millions pour la construction de lycées neufs.
[5] chiffres Fondation iFRAP, SC n° 104.