Apprendre autrement à l'ère du numérique
Le rapport de la mission conduite par Jean-Michel Fourgous [1], député des Yvelines, « Apprendre autrement à l'ère du numérique », est le deuxième acte d'une réflexion que le député-maire d'Élancourt avait déjà entamée en 2010 avec un premier rapport intitulé « Réussir l'école numérique » ; il se concentre aujourd'hui sur les intérêts au niveau pédagogique des TICE (Technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement) dont les potentialités ont été négligées en France depuis une quinzaine d'années.
L'enjeu pour notre système éducatif est de rattraper un retard croissant. Le rapport énonce un grand nombre de propositions, nous en avons relevé quatre qui nous paraissent essentielles :
une gouvernance rationalisée en matière d'éducation numérique ;
le développement de l'enseignement mixte (à la fois devant l'enseignant et chez soi) ;
la rénovation du métier d'enseignant ;
l'assouplissement de la propriété numérique.
Jean-Michel Fourgous revient abondamment tout au long de son rapport sur le retard de la France par rapport à ses partenaires en matière numérique. Il cite notamment l'étude PISA 2009 qui montre que les performances moyennes des élèves français en lecture électronique sont inférieures à la moyenne OCDE. Paradoxalement les TIC ont sans cesse accru leur place dans le quotidien, 97% des jeunes de 12 à 17 ans ont accès à Internet à leur domicile. Mais ceci n'a cependant pas eu d'impact sur les formations pour le moment : les jeunes ont un usage davantage récréatif que formateur des nouvelles technologies.
Pendant ce temps, dans le monde on assiste à un développement exponentiel des technologies numériques dédiées à l'éducation. Jean-Michel Fourgous relève par exemple des projets comme Kahn Academy qui offre des cours et des exercices en vidéo, ou TED (Technology, Entertainment, Design) qui diffuse des conférences sur les innovations. Il cite l'exemple des États-Unis qui prévoient de créer en 2013, une agence pour l'innovation pédagogique avec le numérique, dotée d'un budget de 150 millions de dollars.
Le rapport s'attache donc à formuler un nombre important de propositions pour accélérer la transformation de notre système éducatif. Voici celles que nous avons retenues :
Rationalisation de la gouvernance des politiques éducatives
Aujourd'hui de nombreux acteurs sont superposés, le rapport propose donc la création d'une agence nationale unique dédiée à l'éducation numérique. Elle aurait pour tâche de coordonner les politiques nationales, académiques et locales dans le domaine, et d'évaluer leur mise en place. Elle regrouperait enfin en son sein les CNDP (Centres Nationaux de Documentation Pédagogiques), le CNED (Centre national d'enseignement à distance), le CIEP (Centre international d'études pédagogiques), et le l'IFE (Institut Français de l'éducation).
Cette mesure de rationalisation est en effet indispensable. Il faudra envisager aussi comment s'articule concrètement le rapport de cette agence avec les services des ministères qui remplissent des missions sur les nouvelles technologies [2]. Au niveau des établissements, le rapport souligne la nécessité de mieux former les cadres de direction et en particulier les chefs d'établissement au leadership et au management des ressources humaines. Bien souvent issus de l'enseignement eux-mêmes, ils n'ont que peu de connaissances en matière de gestion. Il apparaît impératif de les former aux TICE, car c'est par eux que pourra se faire la mise à jour numérique de notre système éducatif.
Développer l'enseignement mixte
Il s'agit d'un enseignement qui associe cours en classe et cours ou exercices au domicile via le Net. L'enjeu est de réduire les inégalités scolaires, et de permettre aux élèves et aux étudiants ou à ceux qui sont les plus éloignés des centres, de bénéficier des enseignements qui ne peuvent être délivrés partout faute d'effectifs suffisants. Les élèves en situation de handicap ou à mobilité réduite peuvent aussi profiter avantageusement du téléenseignement. Le Web se présente alors comme un excellent moyen de garantir une continuité du service public éducatif avec des coûts moindres.
L'enseignement mixte présente aussi des avantages importants en matière de formation professionnelle, pour les chômeurs disposant d'une mobilité réduite.
Le rapport souligne enfin le rôle que peuvent jouer les entreprises dans le cadre de partenariats public privé, étant plus en avance dans le domaine des formations à distance.
Rénover le métier d'enseignant pour l'adapter aux potentialités des nouvelles technologies
Cela passe tout d'abord par une meilleure formation des enseignants-formateurs eux-mêmes. En France, seulement 37% d'entre eux déclarent se sentir à l'aise avec les TICE, contre plus de 90% aux Pays-Bas ou en Norvège.
Parallèlement, le député avance plusieurs règles qui permettraient l'assouplissement le statut d'enseignant. « Il serait nécessaire de s'interroger réellement sur le statut des enseignants […] afin de l'adapter à la réalité : aujourd'hui, de trop nombreuses activités […] sont exclues de la définition réglementaire du service des enseignants ». Il s'agirait par exemple d'introduire un quota de travail en ligne dans la durée légale de travail, prenant la forme de tutoriaux web ou bien du développement de ressources pédagogiques. Cet assouplissement du statut devrait permettre ensuite de mieux rémunérer les professeurs en instaurant des primes incitatives à l'innovation.
Le système de recrutement n'échappe pas à l'analyse de la mission, qui montre l'intérêt que peut représenter le recrutement personnalisé, en local, par les chefs d'établissement eux-mêmes : « les systèmes scolaires les plus efficaces sont ceux qui ont donné le plus de responsabilités (et donc d'autonomie) aux établissements scolaires, notamment pour le recrutement des enseignants » (rapport p.201). Ce qui transparaît à l'arrière-plan, est donc la nécessité de revoir le statut et la place de l'enseignement. « Si on ne veut pas que l'École devienne caduque aux yeux des nouvelles générations, le métier d'enseignant n'a d'autres choix que d'évoluer » (p.186). Le développement des TICE n'est pas le ressort unique de la rénovation du système éducatif, la révision des statuts des enseignants depuis le primaire jusqu'au supérieur semble de plus en plus impérative.
Assouplir les règles en matière de propriété intellectuelle numérique
Le rapport propose la création d'un éduc-pass numérique qui, sur le modèle du fair-use américain, offrirait une exception pédagogique au droit d'auteur. Les enseignements pourraient recourir à des contenus normalement protégés par un copyright dans leurs enseignements (photocopies d'ouvrages, …). Parallèlement à l'ouverture de contenus protégés, le député souhaite encourager le développement de produits pédagogiques numériques sous licence libre creative commons. Il s'agit ainsi de favoriser l'accessibilité des ressources, leur mise à jour par les différents acteurs (enseignants, professeurs, chercheurs,…) et le travail en réseaux.
**Conclusion
Au-delà de l'importance légitime que le rapport accorde aux TICE, celui-ci pointe à l'arrière-plan des problématiques plus larges : le statut des enseignants, le rôle des chefs d'établissement ou encore la question de la propriété numérique. La « mise à jour » de notre système éducatif passera donc nécessairement par une meilleure prise en compte des potentialités offertes par le numérique, mais donc aussi par la résolution de ces autres enjeux que sont l'autonomie et la liberté scolaire.
[1] En plus de ces fonctions politiques, Jean-Michel Fourgous est membre du conseil d'administration de la Fondation iFRAP
[2] En particulier au ministère de l'enseignement supérieur : la délégation aux usages d'Internet, et au ministère de l'éducation nationale : la sous-direction des programmes d'enseignement, de la formation des enseignants et du développement du numérique