10 idées fausses sur l'enseignement public/privé
Combien de temps travaillent les enseignants ? Combien l'enseignement public coûte-t-il vraiment aux parents et au contribuable ? Qui a inventé l'école gratuite en France ? D'où viennent les bons résultats des écoles privées ? Autant de questions qui cristallisent préjugés et idéologie sur l'enseignement scolaire en France. Voici 10 idées fausses sur l'enseignement public et l'enseignement privé, et les "vrais" chiffres pour démontrer leur erreur...
1. Grâce aux professeurs remplaçants permanents (les TZR), le taux de remplacement des enseignants absents est meilleur.
Dans le public, il existe des professeurs remplaçants « professionnels » : il s'agit des TZR (titulaire zone remplacement), mais ils ne sont destinés à remplacer que des absences de plus de deux semaines. Si l'absence est plus courte, le chef d'établissement doit donc recruter un vacataire (étudiant, jeune retraité, documentaliste…) ou demander à un professeur de remplacer son collègue absent. Dans le privé, le vivier de professeurs remplaçants n'existe pas. En cas d'absence, le directeur peut donc soit recruter un suppléant, en demandant à la direction diocésaine, dans le cas de l'enseignement catholique, les coordonnées d'un candidat disponible, soit proposer à ses enseignants de remplacer leur collègue. Quel système est le plus efficace ? D'après les indicateurs de performance publiés dans le PLF 2010, le taux de remplacement des congés maladie et maternité dans l'enseignement privé s'est élevé à 99.5% en 2009, et à seulement 92% dans l'enseignement public [1]. Le système privé est donc plus efficace. En cause dans le public, la rigidité du système des TZR, qui limite de fait leur disponibilité à seulement 80% de leurs effectifs en moyenne, d'après le ministère de l'Education nationale [2].
Voir aussi le rapport sur le remplacement des enseignants absents, Juin 2011, du Ministère de l'Éducation nationale
2. Les professeurs du public et du privé sont tous fonctionnaires.
Faux : les enseignants du privé n'ont pas le statut de fonctionnaire, même s'ils sont rémunérés par l'Etat. Il est vrai que les enseignants titulaires passent un concours leur permettant d'obtenir un contrat définitif. Mais là s'arrête la ressemblance. En effet, par rapport à leurs homologues du public, les enseignants du privé bénéficient d'un « sous statut ». Pas le droit d'enseigner dans les écoles publiques, pas le droit de postuler au concours d'inspecteur (concours réservé aux fonctionnaires), quasi impossible de devenir professeur titulaire à l'université. De plus, le concours de l'enseignement privé, le CAFEP donne accès à une liste d'aptitude : libre ensuite à l'établissement de le recruter ou pas. Quant aux professeurs suppléants et aux vacataires, ils ne sont pas fonctionnaires, mais contractuels de droit public. Ils n'ont donc pas la garantie de l'emploi et, pour les vacataires, pas non plus droit au chômage à l'issue de leur contrat.
(Voir les autres différences entre les enseignants du public et les professeurs du privé.)
3. Les enseignants sont des fainéants.
Avec 16 semaines de vacances, et 14 à 18 heures de cours par semaine, les enseignants ne semblent pas surchargés de travail… Le rapport PISA 2009 rappelle qu'en France comme dans d'autres pays (Communauté française de Belgique, Finlande, Italie par exemple), « le temps que les enseignants doivent consacrer à des activités autres que l'enseignement n'est pas réglementé ». Libre à l'enseignant de s'investir ensuite plus ou moins dans la préparation de ses cours (9 heures par semaine en moyenne [3] en France), la correction des copies (6 heures) ou encore la recherche documentaire (3 heures et demie), pour une moyenne de 21 heures de travail par semaine en plus des cours dispensés aux élèves [4] (les « face à face pédagogiques » dans le jargon de l'Education nationale).
Les enseignants ne sont donc pas des « fainéants », puisqu'ils travaillent en moyenne autant que les salariés français (39.5 heures contre 39.4 heures pour les salariés, source : Eurostat). Mais c'est un métier où, curieusement, plus on est diplômé, moins on travaille. Une situation paradoxale résumée par le sociologue François Dupuy [5] : « Le bénéfice obtenu [par la réussite au concours et l'ancienneté] est avant tout celui d'enseigner le moins possible et de choisir sa classe. » En effet, un professeur n'ayant que le CAPES ou un suppléant à temps plein devra effectuer chaque semaine 18 heures de cours. Un agrégé, lui, ne doit en effectuer que 15. Le temps de préparation des cours évolue lui aussi avec l'expérience : un jeune professeur y consacrera plus de temps qu'un professeur plus expérimenté. Au contraire donc d'autres professions, où le temps de travail augmente avec l'âge et les diplômes. Pourquoi ne pas demander aux professeurs agrégés de consacrer 4 heures à la formation de leurs jeunes collègues ?
4. Les enseignants des écoles privées sont moins bien formés que ceux du public.
Faux : tous les enseignants, du public comme du privé, passent les mêmes épreuves et sont corrigés par le même jury qui ne sait pas à quel type d'enseignement se destine le candidat. De plus, depuis la rentrée 2010, les enseignants doivent obtenir un master (diplôme de niveau bac+5) pour devenir titulaires de leur poste après concours. Jusque-là, la licence suffisait (et c'est donc le seul diplôme détenu actuellement par un grand nombre d'enseignants). Elle suffit encore pour devenir suppléant, et une dispense est accordée aux parents de 3 enfants et aux sportifs de haut niveau qui souhaitent passer le concours. Cependant, pour enseigner dans les écoles privées hors contrat, seul le baccalauréat est en théorie exigé, même si les chefs d'établissement peuvent demander en sus une formation (souvent payante) à leur pédagogie.
5. Les écoles publiques contrôlent 80% de l'enseignement en France, et les écoles privées 20%.
C'est faux ! Cette règle, dite du 80/20 a été concédée par la loi de finances de 1985 à l'enseignement catholique : 20% des moyens publics lui sont attribués pour remplir sa mission. Or, dans les détails, elle n'est pas appliquée à la lettre, il s'agit plutôt d'un ordre de grandeur [6]. Quelques chiffres :
Quand on regarde les effectifs des élèves, 13% environ des élèves étaient accueillis dans le privé en 2009 et 87% formés par le public. 89% des enseignants titulaires du premier degré (école primaire et maternelle) enseignent dans le public (11% dans le privé) et 81% dans les collèges et lycées publics. Enfin, on note que l'enseignement privé est particulièrement présent dans l'enseignement agricole (63% des élèves ont étudié dans le privé), l'enseignement secondaire (40% des lycées sont privés), et beaucoup moins dans l'enseignement primaire (10% des écoles sont privées). La loi du 80/20 n'est donc plus appliquée en France, ni pour les moyens, ni pour le nombre d'élèves et d'établissements. Invoquer cette règle pour justifier des diminutions ou des augmentations de crédits n'a donc plus beaucoup de sens…
6. C'est grâce à la Révolution française et à la République que l'enseignement est devenu public et gratuit.
C'est faux : contrairement à une idée très répandue, notre pays n'a pas attendu 1789 et la République pour décréter que l'enseignement pouvait être gratuit et exister hors du giron de l'Eglise catholique. Le IIIe concile de Latran, en 1179 avait déjà formulé le principe de gratuité de l'enseignement [7], même si ce privilège était réservé en priorité aux clercs. Au XVIe siècle, les collèges jésuites proposaient également un enseignement gratuit pour les garçons (non-clercs). A la même époque, dans le sud de la France, les écoles sont principalement laïques et dominées par les municipalités [8].
La Révolution française va renverser l'avantage en faveur des écoles publiques. En 1792, Condorcet rend un Rapport sur l'instruction publique dans lequel il préconise la nationalisation et la gratuité de l'enseignement. Mais la loi fondatrice dans ce domaine, c'est la loi Falloux de 1850 qui institue la liberté de l'enseignement et distingue les écoles publiques, fondées et entretenues par les communes, des écoles libres, créées ou gérées par des particuliers. Ce n'est enfin que par la loi de 1881 que les écoles primaires françaises furent déclarées gratuites pour tous. Cependant la gratuité de l'enseignement et sa laïcité sont bien plus anciennes.
7. Les écoles privées ont de meilleurs résultats parce qu'elles renvoient les mauvais élèves avant les examens.
Faux. D'après l'enquête internationale PIRLS de 2006, les élèves de CM1 des écoles privées ont mieux réussi le test que leurs homologues du public. Le renvoi des élèves avant les épreuves du brevet ou du baccalauréat n'explique donc pas les bons résultats des écoles privées, puisque les résultats sont meilleurs bien avant cette échéance. De plus, le Ministère de l'Education nationale (peu susceptible de favoritisme envers l'enseignement privé) a mis en place un indicateur permettant de calculer la valeur ajoutée des établissements scolaires, c'est-à-dire « ce qu'un lycée a « ajouté » au niveau initial de ses élèves [9] ». Parmi les 100 premiers lycées les plus performants selon cet indicateur, 62 sont privés. Néanmoins, comme le rappelle le Ministère « Le taux de succès d'un lycée dépend fortement des caractéristiques de ses élèves, indépendamment de la qualité de l'enseignement qui y est dispensé [10]. »
8. Les écoles privées hors contrat et l'enseignement à la maison ne sont pas contrôlés : c'est la porte ouverte aux dérives sectaires.
En 2009-2010, 30 583 élèves du second degré (collège et lycée) étudiaient dans un établissement privé hors contrat [11]. D'après le Code de l'Education, « le contrôle de l'Etat sur les établissements d'enseignement privés qui ne sont pas liés à l'Etat par contrat se limite aux titres exigés des directeurs et des maîtres, à l'obligation scolaire, à l'instruction obligatoire, au respect de l'ordre public et des bonnes moeurs, à la prévention sanitaire et sociale. L'inspecteur d'académie peut prescrire chaque année un contrôle des classes hors contrat afin de s'assurer que l'enseignement qui y est dispensé respecte les normes minimales de connaissances requises par l'article L. 131-1-1 et que les élèves de ces classes ont accès au droit à l'éducation tel que celui-ci est défini par l'article L. 111-1. » [12] Si une école privée hors contrat ne respecte pas ses engagements, elle est rappelée à l'ordre et une nouvelle inspection a lieu. Si l'inspecteur confirme la non-conformité de l'enseignement dispensé, les parents sont enjoints de scolariser leur enfant dans un autre établissement. Quant à l'enseignement à la maison, il doit faire l'objet d'un contrôle chaque année par un inspecteur. Les écoles hors contrat ne sont donc pas « hors la loi ».
9. L'enseignement privé coûte trop cher pour les familles à bas revenus.
D'après un sondage de l'Institut CSA en 2009 [13], seulement 30% des Français jugent que les écoles privées sont accessibles aux populations défavorisées. Une idée fausse, si l'on prend en compte tous les frais liés à la scolarité ainsi que les aides à la scolarité. Comme dans l'enseignement public, il existe des aides et des bourses pour les collégiens et lycéens de l'enseignement privé. A la rentrée scolaire 2009-2010, 11,4% des collégiens du privé et 12.9% des lycéens du privé ont bénéficié de bourses nationales (respectivement 27.8% et 24.9% dans les collèges et lycées publics) [14]. De plus, certaines écoles privées proposent des tarifs dégressifs en fonction des revenus des parents. Par exemple, l'école primaire Saint-André à Lyon propose un tarif minimal de 620€ par an au primaire, avec des réductions de 10 à 50%, voire gratuité, sur la scolarité des autres enfants inscrits de la même famille (hors cantine et frais annexes).
Par ailleurs, une étude Le Money Mag [15] a évalué ce que coûte la scolarité de deux élèves du public, du privé et de l'enseignement hors contrat en maternelle et primaire. Le total des frais liés à la scolarité s'élevait à 1.465,41 €/an dans le public, 2.979,41 €/an dans le privé (sous contrat d'association avec l'Etat) et 10.856 €/an dans l'enseignement privé hors contrat [16]. Dans l'enseignement public, la gratuité bat de l'aile, à cause de la multiplication de frais liés à la scolarité, comme la cantine, la garderie et quelques frais facultatifs (la coopérative, par exemple), ou encore la garderie et le soutien scolaire.
10. L'enseignement privé coûte cher aux contribuables.
Les écoles privées sont financées en partie par l'Etat, mais aussi les régions, les départements et les communes. Mais qui paie quoi et combien ? Depuis la loi Debré de 1959, il est acquis que l'Etat doit subvenir aux frais de fonctionnement des établissements privés qui remplissent une mission de service public, et ont signé un contrat avec l'Etat. D'après l'article L. 442-5, “les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public”. De plus, la loi du 23 avril 2005 sur l'avenir de l'école [17] a précisé que la contribution des communes à l'enseignement privé ne pouvait dépasser le coût d'un élève étudiant dans l'enseignement public. La rémunération des enseignants est prise en charge par l'Etat.
En comparant les crédits alloués à l'enseignement public et privé dans les lois de finances, on voit qu'un élève du privé a coûté 3426 € en moyenne en 2009, et 4607 € dans le public, un coût qui augmente dans le public. Ces crédits permettent de financer les « dépenses de personnel », les « dépenses de fonctionnement » et les « dépenses d'intervention ». Pour quelles raisons un élève du public coût-t-il plus cher qu'un élève du privé, hors dépenses d'investissement (prises en charge par les parents dans l'enseignement privé) ? Une asymétrie d'autant plus difficile à justifier que, alors que le coût d'un élève du privé tend à stagner, celui d'un élève du public augmente régulièrement.
2007 | 2008 | 2009 | |
---|---|---|---|
Privé + public | 4 233 | 4 330 | 4 408 |
Privé | 3 378 | 3 398 | 3 426 |
Public | 4 409 | 4 519 | 4 607 |
Source : estimations iFRAP, à partir des : Lois de Finances 2007, 2008, 2009, statistiques du Ministère de l'Education nationale |
Au niveau des régions, la disparité est encore plus marquée et la plupart des collectivités territoriales sont loin d'inonder l'enseignement privé de financements publics. En effet, en 2009, les régions ont dépensé en moyenne 3062€ par lycéen du public, et 933€ par lycéen du privé, une moyenne pouvant cacher de fortes disparités (par exemple, le Limousin a dépensé 4374 par lycéen du public, et 585 par lycéen du privé [18]).
L'enseignement privé coûte donc moins cher au contribuable que l'enseignement public. Si on peut critiquer le fait qu'un enseignement dit privé soit de fait devenu en partie financé par de l'argent public (parce qu'il exerce des missions de service public), on ne peut l'accuser en tout état de cause de ruiner l'Etat…
[1] Cf. Annexe au projet de lois de finances pour 2010 .
[2] Cf. Interview du journal Libération en janvier 2010 : « Nous ne parvenons à mobiliser que 80% du potentiel des TZR, explique-t-on au ministère. Ce qui veut dire que 10.000 personnes ne sont pas utilisées, pour des questions de frontières entre zones de remplacement notamment. Il ne semble pourtant pas aberrant qu'un professeur de maths de Créteil puisse par exemple aller faire un remplacement à Paris. »
[3] Source : Dossier du Ministère de l'Education nationale, « Enseigner en collège et lycée en 2008 », 2009.
[4] Sur ce sujet, voir aussi le rapport Pochard de 2007 : "Livre vert sur l'évolution du métier d'enseignant".
[5] François Dupuy, Le client et le bureaucrate, 1998.
[6] Député Nicolas Perruchot : « Au Nouveau centre, nous pensons qu'il faut accompagner l'évolution des effectifs dans le privé. Le rapport de 80-20 est aujourd'hui dépassé : eu égard à la mission de service public assumé par l'enseignement privé sous contrat, il faut revoir ce ratio, sans pour autant rallumer la guerre scolaire. Or 20 % des emplois retirés dans l'enseignement public le sont dans l'enseignement privé, sans tenir compte ni des besoins réels, ni des effectifs, ni du taux d'encadrement. » Source : Assemblée nationale, compte-rendu intégral de la première séance du 15 novembre 2010
[7] « L'Église étant obligée, comme une bonne mère, de pourvoir aux besoins corporels et spirituels des pauvres, le concile ordonne qu'il y aura, pour l'instruction des pauvres clercs, en chaque église cathédrale, un maître à qui l'on assignera un bénéfice suffisant, et qui enseignera gratuitement ; que l'on rétablira les écoles dans les autres églises et dans les monastères, où il y a eu autrefois quelque fonds destiné à cet effet ; qu'on n'exigera rien pour la permission d'enseigner, et qu'on ne la refusera pas à celui qui en sera capable, parce que ce serait empêcher l'utilité de l'Église. » Source : http://catho.org/9.php?d=bq1#bb.
[8] Source : Jacques Georgel, Anne-Marie Thorel, L'enseignement privé en France, du VIIIe au XXe siècle, Dalloz, 1995.
[9] Source : Le Monde, jeudi 15 avril 2010.
[10] Cf. liste des lycées et de leurs indicateurs sur le site du Ministère de l'Education nationale.
[11] Source : Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche2010 (RERS 2010).
[12] Article L442-2 du Code de l'Éducation.
[13] « 50 ans après la loi Debré, quel regard les Français portent-ils sur la liberté d'enseignement ? », sondage CSA pour l'appel et La Croix, novembre 2009, n°0901529D.
[14] Source : Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche2010 (RERS 2010).
[15] Source : http://www.lemoneymag.fr/v5/fiche/s_Fiche_v5/0,6171,15329,00.html
[16] D'après Anne Coffinier (Fondation pour l'école), les frais de scolarité dans les établissements hors contrat s'échelonnent « de 70€ par mois dans certaines écoles parentales à 1000€ par mois dans certaines "boîtes à bac" ». La Croix, 26 mai 2010.
[17] Article 89 de la loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école modifiant l'article 89 de la loi du 13 août 2004.
[18] Nos estimations, à partir des chiffres de l'INSEE, du Ministère de l'Education nationale et des budgets primitifs des régions en 2009.