Retraites : le Cor abandonne enfin (et sous la pression) son scenario "rose"
Depuis des années le Conseil d'orientation des retraites (Cor) était sous le feu des critiques concernant les hypothèses économiques retenues (productivité, chômage) ou les conventions d'affectation des ressources, pour projeter le solde du régime de retraites. A l'occasion de la préparation du rapport annuel qui sera présenté en juin prochain, le Cor a finalement annoncé abandonner la convention la plus favorable. Une convention qui a permis depuis des années à tous les opposants au report de l'âge de refuser toute réforme, et qui nous a conduit à accumuler un lourd passif et un retard préjudiciable face aux autres nations industrialisées.
Le prochain rapport du Cor devrait être publié le 15 juin prochain soit à peine deux mois après la validation par le Conseil constitutionnel de la réforme des retraites. Autant dire que ce rapport va être particulièrement scruté. D’une part, parce que les projections intégreront les effets de la réforme des retraites. D’autre part, parce qu’un certain nombre de changements seront introduits dans la présentation du rapport annuel pour répondre aux nombreuses critiques qui ont été faites.
En effet, le Cor se présente comme une instance indépendante et pluraliste d'expertise et de concertation qui élabore les éléments d'un diagnostic partagé. Or c’est peu dire que les conclusions du Cor n’ont pas permis de dégager un consensus « partagé » sur la situation du système de retraites et la nécessité d’une réforme. Même la Première ministre n’a pas manqué de souligner qu’avec ses différentes hypothèses "Chacun obtient le scénario qu’il souhaite, ça a brouillé les pistes".
Le Cor vient donc de tenir une réunion préparatoire à la présentation du rapport annuel. Tout d’abord, le Conseil fait amende honorable en reconnaissant que « la multiplication des conventions s’ajoute à l’incertitude existante sur les scénarios économiques et démographiques projetés et rend difficile le diagnostic sur le système de retraite. Ne plus retenir qu’une seule convention répond donc à un besoin de lisibilité ».
Le Cor détaille ensuite les changements méthodologiques qui seront appliqués dans le prochain rapport. Le principal changement est l’abandon de la présentation dite EEC pour ne retenir que la présentation dite EPR.
Derrière ce jargon technique qu’est-ce que cela implique ?
La convention EEC pour effort de l’État constant consiste à stabiliser la part dans le PIB des ressources affectées au régime des retraites de l’État et aux régimes spéciaux équilibrés. La convention EPR pour équilibre permanent des régimes consiste à équilibrer le régime des retraites de l’État et les régimes spéciaux « équilibrés » chaque année. Dans le premier cas on considère que les ressources affectées resteront toujours les mêmes en % de PIB (% constant). Dans le second cas, ces ressources s’ajustent au besoin de financement.
A cause d’une diminution des dépenses liées aux régimes des fonctionnaires de l’État et des autres régimes spéciaux, pour des raisons démographiques ou en raison de l’extinction de certains de ces régimes, la diminution des dépenses ces régimes entraine mécaniquement une baisse des ressources affectées à long terme.
Avec la convention EEC, les ressources dégagées par l’État pouvaient être redéployées vers les régimes déficitaires, masquant ainsi le besoin de financement réel. Avec la convention EPR, le Cor met de côté l’évolution des régimes de retraite du public et des régimes spéciaux - conventionnellement à l’équilibre - pour se focaliser sur la situation des régimes de retraite du privé. On peut regretter que le public soit traité à part mais c’est la seule façon de ne pas tout mélanger.
Comme le dit pudiquement le Cor, la convention EEC « pouvait être interprétée comme normative sur la manière dont l’État devrait utiliser les économies qu’il va enregistrer du fait de la diminution en part de PIB des dépenses de retraite des régimes dont il assure l’équilibre. Bien évidemment, il n’appartient pas au COR de décider de l’utilisation de cette marge de manœuvre ».
Pour les opposants à la réforme, en revanche c’était vite vu : pas question que les marges de manœuvre ainsi dégagées servent à financer d’autres politiques publiques, que ce soit l’éducation, la santé ou pire encore… à se désendetter !
Avec cette convention unique le Cor va-t-il permettre un consensus « partagé » ?
A priori, oui. L’indicateur EPR a comme principal intérêt de refléter la législation actuelle du système de retraite et d’alerter sur le sous-financement des régimes ne bénéficiant pas de subventions d’équilibre, c’est-à-dire principalement le régime général. Comme on le voit sur le graphique ci-dessous, le tableau n’est pas du tout le même que l’on retienne l’une ou l’autre des conventions :
Avec la convention EPR, le système de retraites n’est pas projeté revenir à l’équilibre sauf dans l’hypothèse d’une productivité à 1,6%, et encore pas avant 2060 !
Entre 2021 et 2032 (année à partir de laquelle les hypothèses économiques entrainent une divergence des projections), le déficit du système de retraites plonge pour atteindre en moyenne 0,5% de PIB, soit 13 Mds € (€ constants 2022) chaque année. De quoi battre en brèche bon nombre de déclarations de responsables syndicaux et politiques écartant d’un revers de main la nécessité d’une réforme au nom de l’équilibre du système de retraites.
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Conclusion
Le Cor continuera de présenter la convention EEC en annexe du rapport. On imagine que cette annexe a été âprement négociée par les partisans du statu quo. Le Cor promet que « la diminution des apports de l’État au financement du système de retraite, que permettait de mettre en exergue la convention EEC dans le dernier rapport du COR, apparaitra de manière simple et visible dans la décomposition du solde (en convention EPR) à travers la part de la dégradation du solde liée aux recettes ». Présenter de cette manière les choses est tendancieux : en effet, cela suggère une baisse du financement de l’Etat au système des retraites alors qu’il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une convention de présentation[1]. On entend déjà poindre les critiques sur le désengagement de l’Etat !
Derrière ce débat « picrocholin » pour savoir quelle convention utiliser pour le futur lointain, c'est un enjeu de communication massif : à long terme, présenter des courbes qui repassent ou non la barre de l’équilibre est très important pour convaincre de l’urgence de faire une réforme. Confère le débat surréaliste tenu tout l’automne sur un système de retraites à l’équilibre qui ne justifiait aucunement un report de l’âge.
Mais pour une vraie prose de conscience, il faudra aller plus loin : expliquer à quoi correspond le solde constitué de subventions, dotations ou transferts, selon le terme que l’on préfère, et sans lesquelles le système de retraites ne serait pas financé. Et dire clairement aux Français quelle est la part des retraites financées par de la dette.
Les prémices à une reconnaissance du déficit caché du système de retraite ?Sur le sujet de la présentation des ressources justement, il faut noter que le Cor opère un subtil changement de pied : jusqu’à présent le rapport annuel indiquait que le système était financé à 79% par des cotisations, 12% d’impôts et de taxes affectés, 2% de subventions d’équilibre aux régimes spéciaux et 7% de transferts d’autres organismes (essentiellement la branche famille et chômage). Dans la note préparatoire, le Cor indique désormais que 67 % des ressources proviennent des cotisations payées par les actifs et leurs employeurs, 12 % proviennent des prises en charge de cotisations par l’État destinées à assurer l’équilibre financier du régime de la fonction publique de l’État et des autres régimes spéciaux (SNCF, RATP, mines, marins, ouvriers de l’État), 12 % de recettes fiscales et 9 % de transferts en provenance des organismes extérieurs (prises en charge de cotisations et de prestations famille ou chômage principalement). La subvention d’équilibre de l’Etat employeur n’est donc plus présentée comme une cotisation sociale : c’est une clarification utile car comment croire qu’un taux de cotisation employeur de 74,28% corresponde à une simple cotisation sociale ? C’était pourtant l’usage dans les rapports du Cor jusqu’à présent de présenter cette contribution d’équilibre comme une cotisation sociale, cotisation sociale non comprise dans la somme des prélèvements obligatoires. Le Cor parle désormais de « prises en charge de cotisations destinées à assurer l’équilibre du régime de la FPE et des autres régimes spéciaux »[2]. Autrement dit il s’agit ni plus ni moins d’une couverture des déficits qui représente 41 Mds € pour 2021[3]. On est donc loin d’un système de retraites en excédent annoncé de 900 millions € en 2021, chiffre repris pourtant par tous ceux qui jugeaient inutile une réforme des retraites. Il est cependant surprenant de considérer l’intégralité de la cotisation employeur de 74,28% comme une subvention d’équilibre. La Fondation IFRAP estime qu’il serait plus juste de considérer la part au-delà de 16,5% comme une subvention d’équilibre ; 16,5% étant la cotisation employeur d’un salarié du privé. De plus pourquoi considérer que seule la fonction publique d’Etat est concernée ? Pourquoi ne pas appliquer la même règle aux fonctionnaires territoriaux et hospitaliers dont la cotisation employeur est de 30,65% versée à la CNRACL ? |
[1] De plus cette présentation consolidée n’a pas d’intérêt si on ne détaille pas la situation selon les principaux régimes. En effet, la baisse des apports de l’Etat au système de retraites doit être mis en regard de la baisse des dépenses de retraite des fonctionnaires d’Etat et régimes spéciaux. De même, les dépenses de retraite au régime général et FSV sont projetées à la hausse et devraient être présentées en parallèle des ressources attendues.
[2] Il est cependant surprenant de considérer l’intégralité de la cotisation employeur de 74,28% comme une subvention d’équilibre. La Fondation IFRAP estime qu’il serait plus juste de considérer la part au-delà de 16% comme une subvention d’équilibre. 16% étant la cotisation employeur d’un salarié du privé. De plus pourquoi considérer que seule la fonction publique d’Etat est concernée ? Pourquoi la cotisation de 30,65% de la CNRACL serait-elle plus une cotisation qu’une contribution d’équilibre ?
[3] Ce chiffre de 41 milliards figurait déjà dans le rapport annuel du Cor de septembre 2022 : https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2023-02/RA_COR2022_def.pdf page 83