Comment tenir la trajectoire budgétaire malgré la récession
La dernière note de conjoncture de l'INSEE n'est pas optimiste. Avec la perspective d'un recul de -0,2% du PIB au quatrième trimestre puis -0,1% au premier trimestre 2012 et +0,1% au second trimestre, la France rentre dans un épisode récessif. S'il se prolongeait, cet épisode pourrait compromettre nos chances de tenir nos objectifs de 3% de déficit public à l'horizon 2013. En effet, le manque de croissance peut conduire, compte tenu des anticipations de l'INSEE, à voir le déficit public se creuser à 5,3% du PIB. Si tel était le cas, il faudrait résorber pour 0,8 point de PIB de déficit, soit environ 16 milliards d'euros.
La Fondation iFRAP estime que ce montant est atteignable en réalisant un programme axé sur trois volets :
8 milliards d'euros d'économies supplémentaires sur les dépenses des administrations publiques
4 milliards d'euros de recettes supplémentaires
4 milliards d'euros de cessions
Procéder à un ajustement rapide des comptes de 16 milliards d'euros impose de jouer sur l'ensemble des leviers disponibles : pour chaque euro d'augmentation d'impôts, 2 euros de réduction de dépenses et des cessions ciblées de participations de l'État.
Réduire les dépenses de personnel : le bilan de la RGPP montre que le moteur le plus régulier pour la réduction des dépenses des administrations publiques réside dans la maîtrise de la masse salariale. Le non renouvellement jouera en effet pour 30% des économies réalisées entre 2011 et 2013.
Plusieurs dispositifs supplémentaires pourraient être ajoutés :
- Non rétrocession des économies réalisées dans la cadre du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux (notamment sous la forme de promotions et revalorisations indiciaires) : 500 millions d'euros d'économies ; [1].
- Gel total de l'augmentation des salaires de la fonction publique d'État et diminution de 5% des salaires de la haute fonction publique (>80.000 euros/an) : 2,7 milliards d'euros d'économies ;
- Un dispositif comparable (non remplacement d'un fonctionnaire sur deux et gel des salaires locaux) au niveau des collectivités territoriales [2] pourrait rapporter 700 millions d'euros.
Sanctuariser la réserve de précaution : Chaque année le gouvernement a pris l'habitude de constituer une « réserve de précaution » consistant à prélever sur chaque ministère des sommes qui seront ensuite libérées en cas de besoin en cours d'exercice ou annulées. En 2011 par exemple, la décision a été prise de « taxer » les budgets des différents ministères de façon à constituer une réserve de 6,56 milliards d'euros. Cette mesure est d'ores et déjà reconduite pour 2012. Problème : cette réserve a été très vite amputée suite aux décisions discrétionnaires des parlementaires et du gouvernement en lois de finances [3]. Il est donc impératif de sanctuariser la réserve de précaution de façon à ce que les taxations de 5% effectuées sur l'ensemble des dépenses des ministères hors personnel soient véritablement effectives [4] et annulées en fin d'exercice et non réduites comme actuellement de 80% au cours de l'exercice, (y compris les financements aux collectivités territoriales). A la clé : 6,56 milliards d'euros d'économies.
Bilan de l'effort sur la réserve de précaution : il serait possible théoriquement de réduire de 6,56 milliards d'euros supplémentaire les dépenses de fonctionnement et d'intervention de l'ensemble des ministères. On bute tout de même sur les « dépenses de personnel » déguisées des opérateurs via les subventions pour charge de service et mises en réserve (taxation budgétaire de 5%). Elles représentaient en 2011 près de 800 millions d'euros. Les économies réalisées seraient donc plutôt de 5,76 milliards d'euros.Assurer la convergence tarifaire des hôpitaux publics et privés de façon progressive (1 milliard d'euros dès la première année à partir d'une liste de pathologies communes)
Alignement progressif de la CSG des actifs et des retraités et suppression pour ces derniers de l'abattement de 10% pour frais professionnels : 1,5 milliard d'euros.
Fiscalisation des compléments de revenus en espèces (300 millions d'euros)
Effort supplémentaire de 2,2 milliards sur niches fiscales :
- Il serait possible de supprimer les avantages des DOM en matière de taux de TVA (passage de 8,5 de taux normal à 19,6 et de 2,1 à 5,5 (encore dérogatoire par rapport au taux de 7% au 1er janvier 2012), soit 1,1 milliard d'euros d'économies
- Il serait aussi possible de "raboter" le crédit d'impôt pour les dépenses d'équipement de l'habitation principale en faveur des économies d'énergie pour 1,1 milliard d'euros d'économies (le reliquat de 300 millions d'euros étant réservé aux installations innovantes).
Mise en place d'un plan de cession de 4 milliards :
- Vente de la Française des jeux et mise en place d'une licence exclusive pour les jeux de tirage/grattage (type National Lottery) : 1 milliard d'euros pour la vente de la société [5] ;
- Vente des participations de l'État dans des entreprises cotées qui ont le plus baissé depuis 5 ans : potentiel théorique 40 milliards d'euros, liquidation progressive en sifflet, 2 milliards d'euros/an la première année et variation ensuite en fonction de la conjoncture ;
- Ventes immobilières de l'État, dynamiser les ventes afin d'obtenir 1,5 milliard de cessions, soit 1 milliard de cessions supplémentaires
Récession oblige, il faudra trouver ces 16 milliards d'euros en 2012. Les propositions de la Fondation iFRAP sont sur la table.
[1] Ceci implique une remise en cause de l'accord salarial du 19 avril 2011 dans la fonction publique concluant en la redistribution de 1,5 milliard d'économies supplémentaires sur la période 2011-2013.
[2] Par l'intermédiaire d'une conditionnalité sur les transferts financiers de l'État (par exemple consignation de 5% de l'enveloppe normée de 50 milliards)
[3] Le financement des dépenses de personnel des opérateurs de l'État au travers des subventions pour charge de service public (Titre 3) de leurs ministères de tutelle et enfin les « dépenses inéluctables », dont font partie les guichets sociaux mais aussi les concours aux collectivités locales.
[4] En vertu de l'annexe 2 de la circulaire budgétaire CB 1BE-10-3098 du 6 novembre 2010.
[5] Une analyse simple des textes européens touchant à la définition des déficits au sens de Maastricht pourrait faire penser que cet effort ne pourrait pas infléchir le déficit de la France. Rapport de présentation - Compte général de l'administration des finances 2004, p.145 et suiv articulation des résultats. Dans la mesure où le passage du solde patrimonial au déficit de l'Etat s'obtient entre autre "en retranchant les plus ou moins values sur opérations financières : les cessions d'actifs financiers ne sont pas comptabilisées dans le déficit public mais enregistrées dans les comptes de patrimoine correspondants". Ceci dit cette difficulté n'est pas incontournable. Elle peut être aisément contournée par l'usage d'un fonds doté des produits de cessions chargé de reverser à titre transitoire sous forme de dotations à des opérateurs dument identifiés les crédits constatés à charge pour l'Etat lui-même de geler à due concurrence le même montant financier au sein des crédits alloués au sein des programmes ministériels à ces mêmes organismes, qui seront annulés en fin d'exercice (par exemple en maximisant les gels de la réserve de précaution, ou en en constituant une seconde plus ciblée). De la sorte des plus-values financières sont compensées par une baisse de crédits alloués aux dotations d'équilibre des opérateurs, ce qui permet effectivement d'agir sur le solde du compte de capital donc sur le déficit public au sens de Maastricht. Précisons qu'une simple loi de finances rectificative pourrait permettre la mise en place de ce dispositif. Voire à ce propos S. Mourabit, Le système budgétaire de l'Etat au Maroc et en France ; analyse comparée de la gestion de l'emprunt et des recettes de privatisation, LGDJ, Paris, 2011.