12 000 agents en plus et 2 milliards d'euros d'augmentation de la masse salariale en 2018
Les finances 2018 de l'Etat présentent un visage contrasté. En apparence, une maîtrise des dépenses de masse salariale par rapport à la loi de finances initiale de l'année (-102,8 millions pour les dépenses hors CAS pension, et -415,9 millions y compris CAS). Mais il ne faut pas s'arrêter à cette vision "flatteuse" car c'est par rapport à l'exécution 2017 qu'il faut raisonner.
Or, la dernière publication de la Cour des comptes démontre qu'en 2018, la masse salariale de l'Etat a dérivé de +2 milliards d'euros, à cause de l'embauche de 12.000 agents supplémentaires. Et encore, en bénéficiant d'une conjoncture exceptionnelle (gel du point d'indice, report de l'accord salarial PPCR, etc.) qui ne se reproduira pas en 2019.
Notons que de son côté, le gouvernement vient de publier la loi de finances de règlement 2018, dont la publication a été anticipée pour permettre que se tienne au sein du Parlement le « Printemps de l’évaluation ». A ce titre et comme l’a souligné le HCFP (Haut conseil des finances publiques) dans son avis sur le texte, le solde public définitif et sa décomposition (APUC, APUL, ASSO) n’est pas totalement fixée puisqu’il faudra attendre la publication par l’INSEE des comptes nationaux qui devrait intervenir d’ici la fin du mois. Ci-dessous, un focus particulier sur la masse salariale.
Des effectifs toujours en hausse par rapport à 2017
Sur la norme de dépenses considérées comme « pilotables » de l’Etat, la hausse totale des dépenses entre le budget exécuté 2017 et l’exécution 2018 s’élève à 2,7 milliards d’euros à périmètre courant. Sur le périmètre cette fois du budget général (hors budgets annexes), l’augmentation est estimée par la Cour des comptes à 2,6 milliards d’euros, dont des dépenses de personnel en hausse de 2 milliards d’euros. C’est dire l’enjeu d’un suivi fin des dépenses de personnel. Il s’agit traditionnellement d’un point de fuite budgétaire, dans la mesure où « les dépenses hors masse salariale [sont] globalement stables[1] ».
Cette hausse de la masse salariale est en partie explicable par l’augmentation des effectifs (malgré les rebasages effectués dans le cadre de la LFR 2018 (de décembre)). On observe en effet sur un an une augmentation de 12.134 ETPT sur le BG (budget général) mais de 12.049 ETPT y compris BA (budgets annexes).
Ministère | Exécution 2017 (ETPT) | Exécution 2018 (ETPT) | Variation (ETPT) |
---|---|---|---|
Action et comptes publics | 125 367 | 123 484 | -1 883 |
Agriculture et alimentation | 30 844 | 30 327 | -517 |
Armées | 267 263 | 268 195 | 932 |
Cohésion des territoires | 311 | 300 | -11 |
Culture | 10 934 | 10 922 | -12 |
Economie et finances | 12 962 | 12 751 | -211 |
Education nationale | 990 687 | 1 004 436 | 13 749 |
Enseignement supérieur, recherche et innovation | 7 161 | 7 317 | 156 |
Europe et affaires étrangères | 13 628 | 13 437 | -191 |
Intérieur | 281 918 | 281 824 | -94 |
Justice | 82 204 | 83 552 | 1 348 |
Outre-mer | 5 477 | 5 474 | -3 |
Services du Premier ministre | 10 958 | 11 135 | 177 |
Solidarités et santé | 10 070 | 9 858 | -212 |
Transition écologique et solidaire | 41 088 | 40 250 | -838 |
Travail | 9 233 | 8 977 | -256 |
Total général | 1 900 105 | 1 912 239 | 12 134 |
Publications officielles et informations administratives | 653 | 579 | -74 |
Soutien aux prestations de l'aviation civile | 10 434 | 10 423 | -11 |
Total budgets annexes | 11 087 | 11 002 | -85 |
Total général | 1 911 192 | 1 923 241 | 12 049 |
Source : Exécution 2018 et calculs Fondation iFRAP 2019.
Comme le montre le tableau ci-contre, les augmentations résultent avant tout de la poursuite de l’augmentation des effectifs dans l’Education nationale (+13.749 ETPT) et du ministère de la Justice (+1.348 ETPT). Mais ces variations ne résultent pas uniquement de créations nettes. Celles-ci ressortent à +7.295 ETPT (décalage sur 2018 de créations de postes intervenues en 2017) mais on relève également des mesures de périmètres (+6.331 ETPT[2], résultant de titularisations de CUI-CAE (emplois aidés publics) sur des postes permanents d’accompagnants d’élèves en situations de handicap). On constate en sens inverse que les budgets annexes contribuent positivement à la maîtrise des effectifs pour des montants qui restent modestes (-85 ETPT). Il apparaît en tout cas que 5 missions seulement concentrent l’ensemble des créations de postes. Et qu’en grande partie celles concernant l’éducation nationale ne sont pas pleinement imputables à l’actuel gouvernement.
On peut relever toutefois que le budget 2018 n’a pas cherché à compenser ab initio à la bonne hauteur les « coups partis » de 2017. La mise en place retardée du PAS au 1er janvier 2019 a fait durer la période de transition à la DGFiP, réduisant significativement la contribution de son schéma d’emplois à l’effort de maîtrise globale (sans doute proche du millier).
Une masse salariale qui n’est pas stabilisée
Si l’on regarde maintenant l’évolution de la masse salariale, celle-ci n’est toujours pas stabilisée. En effet, les dépenses sur le budget général représentent en 2018 129,6 milliards d’euros, dont 87,3 milliards de masse salariale (en ligne avec les prévisions d'exécution 2018 du PLF 2019) et 42,3 milliards de contributions au CAS (compte d’affectation spécial) pensions. L’ensemble augmente de 1,94% à périmètre courant, dont 1,58% pour la masse salariale (HCAS) et 0,84% pour le CAS pension. La Cour relève un ralentissement de la trajectoire de hausse par rapport à l’exécution 2017 (+3,4% par rapport à 2016). La croissance est cependant deux fois plus rapide que depuis les deux quinquennats précédents (+0,9%/an entre 2008 et 2017). Il n’y a donc toujours aucune inflexion de la trajectoire de la masse salariale de l’Etat, que l’on se place à périmètre courant comme à périmètre constant (2006 pour la référence). A périmètre constant 2006 (donc avant le transfert des personnels des universités aux opérateurs), la masse salariale en 2018 tangenterait les 97 milliards d’euros (hors CAS).
La décomposition en fonction des ministères est la suivante :
Ministère | Total T2 HCAS (M€) 2017 | Total T2 HCAS (M€) 2018 | Variation HCAS | Total T2 2017 | Total T2 2018 | Variation Total T2 |
---|---|---|---|---|---|---|
Action et comptes publics | 5 943,9 | 5 927,9 | -16,0 | 8 669,6 | 8 627,2 | -42,4 |
Agriculture et alimentation | 1 462,8 | 1 467,5 | 4,7 | 1 994,9 | 1 996,4 | 1,5 |
Armées | 12 004,9 | 12 114,5 | 109,6 | 20 122,3 | 20 365,0 | 242,7 |
Cohésion des territoires | 19,5 | 19,5 | 0,0 | 22,0 | 21,9 | -0,1 |
Culture | 486,7 | 498,4 | 11,7 | 696,8 | 709,0 | 12,2 |
Economie et finances | 754,8 | 755,6 | 0,8 | 1 020,9 | 1 020,5 | -0,4 |
Education nationale | 44 679,7 | 45 845,1 | 1 165,4 | 64 265,4 | 65 615,7 | 1 350,3 |
Enseignement supérieur, recherche et innovation | 350,1 | 361,4 | 11,3 | 509,4 | 523,9 | 14,5 |
Europe et affaires étrangères | 960,9 | 952,6 | -8,3 | 1 128,4 | 1 118,0 | -10,4 |
Intérieur | 11 627,8 | 11 853,0 | 225,2 | 18 626,90 | 18 891,3 | 264,4 |
Justice | 3 583,3 | 3 725,8 | 142,5 | 5 260,2 | 5 424,7 | 164,5 |
Outre-mer | 100,4 | 102,0 | 1,6 | 146,9 | 149,7 | 2,8 |
Services du Premier ministre | 755,1 | 775,6 | 20,5 | 983,6 | 1 004,9 | 21,3 |
Solidarités et santé | 528,6 | 523,5 | -5,1 | 733,2 | 723,3 | -9,9 |
Transition écologique et solidaire | 1 921,6 | 1 923,5 | 1,9 | 2 812,3 | 2 823,8 | 11,5 |
Travail | 434,1 | 431,2 | -2,9 | 619,3 | 611,1 | -8,2 |
Total général | 85 614,2 | 87 277,1 | 1 662,9 | 127 612 | 129 626,4 | 2 014,3 |
Publications officielles et informations administratives | 62,2 | 62,2 | 0,0 | 68,972 | 66,3 | -2,7 |
Soutien aux prestations de l'aviation civile | 897,0 | 914,1 | 17,1 | 1 163,90 | 1 182,9 | 19,0 |
Total budgets annexes | 959,2 | 976,3 | 17,1 | 1 232,9 | 1 249,2 | 16,3 |
Total général | 86 573 | 88 253,4 | 1 680,0 | 128 845 | 130 875,6 | 2 030,6 |
Source : Exécution 2018 et calculs Fondation iFRAP 2019.
Les facteurs explicatifs de la hausse observée (1,94%) se traduisent par une augmentation de 1,66 milliard d’euros sur le BG et de 17,1 millions d’euros sur l’ensemble des BA, soit un total de 1,68 milliard d’euros. La décomposition de cette évolution 2017-2018 est donnée par le tableau suivant :
On constate que cette évolution s’explique par des éléments agissant en sens contraires :
- Un socle de dépenses plus élevé en 2018 qu’en 2017 : +2,6 milliards d’euros, « lié aux décisions prises lors des exercices précédents » (PJL de règlement, p.52) ;
- Des facteurs d’évolution propre en baisse globalement de -1,2 milliard d’euros. Cela est en partie dû à une quasi-stabilisation de la progression du GVT solde (glissement vieillesse technicité) à +353 millions d’euros, un ralentissement des embauches (variation du schéma d’emploi à -190 millions d’euros) avec des coûts de 281 millions, des mesures générales quasi-nulles (via le gel du point de fonction publique, depuis février 2017), des mesures catégorielles maîtrisées grâce à la suspension provisoire de PPCR (302 millions au lieu des 1,3 milliard de l’année précédente). Les autres variations des dépenses de personnel (903 millions d’euros), se traduisent (Cour des comptes, p.129) par « des « mesures diverses », non suivies individuellement (…) parmi [lesquelles] (…), figure notamment la création au 1er janvier 2018 d’une indemnité compensatrice de la hausse de CSG ».
S’agissant du pilotage des contributions au CAS pension, l’augmentation des contributions fléchissent à +0,84% contre +3,6% en 2017. La Cour des comptes relève qu’avec une contribution de 42,35 milliards d’euros en 2018, le CAS dispose d’un solde fortement excédentaire atteignant +1,46 milliard d’euros. Le report à nouveau du compte représente en 2018 un trésor de guerre de 6,6 milliards d’euros, somme qui pourrait atteindre en 2019 à 8,1 milliards.
Pour conclure, le résultat est sans appel : +2 milliards d’euros de dépenses de personnel en 2018 et +12.049 équivalents temps pleins pour l’Etat. Si l'on attend toujours ces éléments pour les opérateurs, ces dérives budgétaires ne présagent rien de bon. Clairement, l’exécution 2018 en matière de masse salariale et de gestion des effectifs, aura été celle des occasions manquées.
[1] https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-05/20190515-Budget-Etat-2018.pdf
[2] Pour être totalement complet il faudra soustraire de ces deux hausses des corrections techniques pour 1.508 ETPT.