Fillon : "Créer un choc politique, économique et psychologique"
À l'occassion de la sortie de son dernier ouvrage, Faire (publié aux éditions Albin Michel), qui livre le début de son programme pour les primaires de 2016, François Fillon répond à 6 questions de la Fondation iFRAP sur les économies, la refonte de l'État, les entreprises et la fonction publique.
Fondation iFRAP : Si vous êtes élu en mai 2017, quelles seront les 3 mesures que vous et votre majorité mettrez en place immédiatement ?
François Fillon : L’expérience acquise au fil des gouvernements m’enseigne qu’il faut agir fort et vite dans les trois premiers mois du quinquennat. C’est notamment pour cela que je suis si attentif à la précision de mon projet, afin de ne laisser aucune place à l’hésitation ou l’improvisation. Il s’agira de réussir une dizaine de mesures essentielles et qui constitueront des ruptures fortes avec les politiques passées. J’abrogerai la durée légale du travail dans le secteur privé pour qu’elle devienne négociée entreprise par entreprise. Dans la fonction publique, elle sera portée à 39 heures. Concernant les retraites, je porterai l’âge de départ à 65 ans. Je promulguerai également un nouveau code du travail qui se limitera aux normes sociales fondamentales et qui renverra au dialogue en entreprise pour le reste des prérogatives. Je consulterai les Français par référendum sur quelques points précis : règle d’or budgétaire, organisation territoriale simplifiée, immigration par quota… L’objectif est de créer un choc politique, économique et psychologique.
Fondation iFRAP : Dans votre livre, vous dites que la priorité est de baisser le poids du secteur public : selon vous, quel est l’avenir du statut de la fonction publique ? Quel objectif fixez-vous en termes de nombre d’agents publics pour assurer nos services et avec quelle part de contractuels ?
François Fillon : Je veux libérer les énergies françaises et garantir à mon pays sa souveraineté financière. Cela passe par la constitution d’un État moderne, qui agit efficacement là où c’est nécessaire mais qui allège sa contrainte là où les citoyens peuvent entreprendre, innover. La France croule sous les déficits publics et sous le poids d’un système administratif trop lourd, trop coûteux et au surplus précarisé. Les fonctionnaires eux-mêmes sentent les limites de ce système qui bride leurs initiatives et leurs carrières. Notre État doit être plus productif. Le passage aux 39 heures remobilisera la force de nos administrations. Il permettra, à terme, une réduction des effectifs de la fonction publique de 600 000 membres soit près de 10% de son total. L’emploi à vie a été trop longtemps détourné de sa mission première. Il devait préserver l’indépendance des Magistrats, des forces de l’ordre, et autres charges publiques qui exigent cette protection, avec ses droits et servitudes. Aujourd’hui, il s’est étendu bien au-delà des missions régaliennes et n’est pas étranger au fait que 22% des emplois dans notre pays se trouvent dans le secteur public contre 11% en Allemagne. Celle-ci ne souffre pourtant pas de sous-administration. Il faut donc simplifier et élargir le recours aux emplois contractuels pour les nouveaux agents publics. Ceci permettra de réduire le nombre d’emplois statutaires et de les orienter là où ils sont indispensables. Il apparaît aberrant que le contrat à durée déterminée soit aussi répandu au sein de nos armées et si peu ailleurs dans nos administrations !
L’État ne peut pas être le seul à se soucier de son efficacité. Les collectivités territoriales doivent s’appliquer la même discipline. Elles devront se voir fixer un plafond de remplacement des départs en retraite pour assainir les finances des collectivités.
Fondation iFRAP : Quelles sont vos propositions pour lutter contre la hausse du chômage et revoir nos politiques de retour à l’emploi ?
François Fillon : Avec 6 millions de personnes qui pointent à Pôle Emploi, il est temps d’oser ! Il faut redévelopper un tissu économique à forte valeur ajoutée et redonner des marges aux entreprises. La seule limite légale en termes de temps de travail doit être la norme européenne de 48h. L’annualisation, la modulation, les heures supplémentaires doivent être négociées dans l’entreprise. Il faut réhabiliter le dialogue social. Il est sidérant que chez SMART, les entreprises, les salariés se soient prononcés à 56% pour un passage aux 39 heures et que leur volonté reste lettre morte. La pérennité de l’entreprise et donc de l’emploi doit être au cœur de toute négociation. Une entreprise doit pouvoir s’adapter et anticiper des mutations de plus en plus soudaines. Philippe Séguin avait rendu aux chefs d’entreprise la liberté de conduire leur entreprise en fonction des réalités en supprimant l’autorisation administrative de licenciement. Je propose d’ajouter un motif de « réorganisation des entreprises » aux procédures de licenciement collectif car les chefs d’entreprises ont besoin de pouvoir s’adapter à leur contexte.
Une compétitivité retrouvée ne peut se départir d’une nouvelle donne fiscale. Il faut supprimer l’ISF et 15 milliards de taxes diverses, réduction de l’IS et baisse massive des charges sur le travail grâce à une hausse de 3,5% des deux taux supérieurs de la TVA. Outre la compétitivité, il faut inciter à la reprise du travail en instaurant une dégressivité des allocations chômage. En contrepartie, il faudra réformer la formation professionnelle en orientant les demandeurs d’emploi vers les secteurs porteurs.
2 millions de jeunes ne sont ni formés, ni scolarisés ni employés. Cet échec de notre système les condamne au chômage et à l’exclusion sociale. Il faut décentraliser vers les régions les compétences en matière d’apprentissage et mieux coopérer avec les entreprises au niveau local. La voie sacrée des études générales ne peut pas être la voie unique vers l’emploi. L’insertion professionnelle des jeunes est impossible sans les entreprises et la profusion de contrats aidés comme ceux dits d’« avenir » une impasse à 1,4 milliard d’euro et un manque de courage puisque ces derniers ne débouchent au mieux que vers quelques emplois dans le secteur public et associatif. 70% des apprentis trouvent un emploi durable à la fin de leur formation. Il faut faire ce qui marche, et ce qui marche pour l’emploi des jeunes, c’est l’alternance.
Fondation iFRAP : L’un de vos engagements est de passer à 2 niveaux d’échelons de collectivités territoriales, les régions et environ 6.000 communes : comment voulez-vous mettre en place cette réforme ? Avec quelle répartition des compétences (ex : les régions, si l’on s'inspire du système allemand, pourraient-elles gérer la politique d’éducation ?)
François Fillon : Il faut avoir le courage de rationaliser le millefeuille français. Je le ferai par référendum en proposant, notamment, de fusionner les départements à leur région. Le redécoupage des régions pratiqué par le gouvernement est irrationnel et n’obéit à aucune logique fonctionnelle. L’annulation du conseiller territorial fut une faute majeure. Il faut regrouper les pouvoirs locaux et donner aux élus une autonomie de gestion réelle. Il n’est plus possible de transférer des compétences aux collectivités en continuant de définir les modalités d’exercice dans les détails les plus microscopiques. La loi doit définir les objectifs des compétences décentralisées et laisser les élus adapter la gestion à la réalité. Concernant notre politique d’éducation, elle doit rester du ressort de l’État, mais je milite pour plus d’autonomie pour nos établissements scolaires et universitaires. Cette autonomie doit permettre de développer les liens avec les collectivités locales et le monde économique.
Fondation iFRAP : Alors que vous évoquez la méfiance des Français à l’égard de la « classe politique », que proposez-vous pour y remédier et que pensez-vous d’un renforcement de la transparence de la vie publique (déclarations d’intérêts et de patrimoines, finances des groupes parlementaires, réserve parlementaire, comptes de l’Assemblée et du Sénat, open data, etc.) ? Quel est le nombre d'élus (au total) que vous préconisez pour la France ? Sachant que nous comptons aujourd'hui plus de 600.000 mandats.
François Fillon : Je suis naturellement favorable à la transparence de la vie publique, dès lors qu’on ne sombre pas dans la suspicion généralisée. Quant à l’open data, c’est un bel outil pour démocratiser et rationaliser les débats. En France on aime les postures davantage que les faits et les données objectives. Mais la méfiance vis-à-vis de la « classe politique » est avant tout le fruit d’un manque de résultats et un trop plein de promesses illusoires. La crise politique et morale prend sa source dans la dissimulation de la situation de notre pays. Lorsque j’ai parlé de «faillite» tout le monde s’est ému comme si le mensonge était préférable aux avertissements. Trop longtemps on a cru qu’on pouvait se sortir de notre lent déclin avec des ajustements à la marge. En disant cela, j’assume mes propres erreurs. Il faut dire la vérité et agir avec plus de courage et de sincérité. Je suis souvent accusé de ne promettre que le sang et les larmes mais le sang et les larmes c’est maintenant, avec un chômage massif, des dettes massives, l’ascenseur social en panne, une croissance minimale… La colère du pays est palpable.
Il est temps d’engager un projet de redressement national et parallèlement temps de moderniser le fonctionnement de notre démocratie. Au niveau de l’exécutif, il faut resserrer les équipes gouvernementales. 15 ministères sont amplement suffisants. Les secrétaires d’État sont dépourvus d’autorité sur leur administration et se réfugient dans l’inflation législative pour exister auprès de nos concitoyens. Sur le plan législatif, le respect des parlementaires passe notamment par plus de responsabilités pour ces derniers. Ils ne peuvent aujourd’hui pleinement exercer leur mission faute de moyens. Je propose d’en réduire le nombre mais de renforcer leurs moyens logistiques et humains. Quant aux collectivités territoriales, il faut, je l’ai dit, fusionner les départements aux régions et pousser à fond le regroupement des communes.
Fondation iFRAP : Notre pays semble arcbouté sur le système économique et social fondé en 1945. N’est-ce pas une illusion de croire qu’on peut se contenter de le réformer. N’est-il pas temps d’inventer un nouveau modèle ?
François Fillon : Notre pays regorge de potentiel et le génie Français ne s’est pas évaporé. Il croule simplement sous les contraintes et les règlements. Le mot « Liberté » qui est inscrit au fronton de nos Ecoles a été trop longtemps sacrifié. La liberté : voilà la rupture que je préconise ! Il faut cesser de brider le potentiel des individus et leur permettre de s’épanouir. Je veux redonner le goût du risque. Le principe de précaution généralisé ne nous protège de rien si ce n’est du progrès. La politique de redressement économique du Général de Gaulle s’est grandement fondée sur la liberté défendue par Jacques Rueff. Notre prospérité s’est bâtie sur la liberté. Il est temps de la retrouver et de donner aux talents français la possibilité de s’exprimer.