Marché de l’électricité : double alarme sur les prix
Contrairement aux prix du gaz et du pétrole multipliés et divisés plusieurs fois par 4 depuis 40 ans, ceux de l’électricité française n’ont évolué que lentement. Ce calme est terminé. Il y a deux ans, le prix de l’électricité sur le marché de gros était inférieur au coût moyen de production en France. En 2018, il est supérieur et cela va empirer. Une catastrophe pour les consommateurs, après celle des carburants. Mais si le prix des carburants augmente à cause des taxes, et surtout du coût du pétrole hors de notre contrôle, celui de l‘électricité augmente à cause des taxes et du coût de notre politique énergétique entièrement sous notre contrôle.
En Europe, la fermeture précipitée de centrales thermiques classiques et nucléaires, et la mise en production accélérée de centrales éoliennes et solaires non compétitives, ont mis le désordre sur le marché de l’électricité. L’économie et la société françaises sont trop fragiles pour encaisser un nouveau choc inutile.
Alarmes
Tant que le prix de l’électricité sur le marché européen était bas, les concurrents d’EDF ne demandaient pas à utiliser tout le quota d’électricité qui leur était réservé à 42 euros par Mwh. Décidé en 2011 pour favoriser l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché (tarif dit ARENH, Accès régulé à l'énergie nucléaire historique), ce quota représente le quart de la production nucléaire d’EDF. À ce prix, l’électricité « nucléaire » était pourtant plus avantageuse que toute autre produite en France, qu’il s’agisse des moyens les plus performants éoliens (85 euros) et solaires (104 euros à Cestas), du thermique (60 euros) ou de l’hydraulique (60 euros). Mais on pouvait souvent trouver sur le marché européen des Mwh soldés à moins de 42 euros le Mwh, parfois même à des prix négatifs.
En 2016, les prix en Europe étaient tellement bas que les concurrents d’EDF n’avaient réservé aucun Mwh pour l’année. Mais en 2017, c’est 80% du quota qui avait été demandé. Et aux récentes enchères pour fourniture en 2019, les demandes ont dépassé d’un tiers le plafond fixé par le gouvernement (133 contre 100 Twh). Une alerte claire des tensions qui existent dans toute l’Europe sur le marché de l’électricité. Et qui confirme l’avertissement de la Commission française de régulation de l’énergie en octobre 2018 : "Je ne vois pas comment on peut faire des offres autour de -20% des prix réglementés et avoir des marges. Cela conduit certains à vendre à perte". Une inquiétude partagée par la Commission européenne face à l’absence de coordination des politiques électriques entre les différents pays.
Après le signal d’alerte économique sur les prix, les manifestations des gilets jaunes constituent le signal d’alarme social confirmant que l’augmentation du coût de l’énergie est insupportable pour un grand nombre de particuliers et d’entreprises. Une situation aggravée en France par le niveau record des autres prélèvements obligatoires.
Causes
Que ce soit pour le pétrole, le blé ou les logements, les prix montent s’il y a pénurie causée, soit par l’augmentation de la consommation, soit par la baisse de la production. C’est encore plus vrai pour l‘électricité qui se stocke peu.
- Consommation
Le niveau de consommation d’électricité est le facteur essentiel, celui auquel les producteurs et les réseaux distributeurs doivent s’adapter. Une pénurie serait cataclysmique dans notre société. Les pouvoirs publics ont prévu une réduction de moitié de la consommation globale d’énergie d’ici 2050, soit une baisse au rythme de 2% par an, avec 0,4% par an pour l’électricité. Et les cinq scénarios de RTE utilisés pour la construction de la Programmation pluriannuelle de l’énergie de 2018 « aboutissent tous à une évolution électrique stable ou en baisse dans toutes les simulations ». Un parti pris systématique étonnant pour des prévisions à long terme où il existe de nombreuses inconnues.
L’hypothèse gouvernementale de baisse de la consommation d’électricité repose sur l’efficacité attendue des investissements (éclairage, isolation, progrès technique) et sur les économies liées aux comportements personnels. Des voies souhaitables mais à rendement doublement décroissant : les améliorations les plus performantes sont mises en place les premières, et sur les cibles les plus favorables. À ces baisses s’opposent l’élévation nécessaire du niveau de vie, l’accroissement de la population et l’électrification générale de la société dans les transports (véhicules électriques) et le bâtiment (chauffage, climatisation).
Depuis 2001, la consommation finale d’électricité française, corrigée des variations climatiques, a augmenté de 11,7%. Depuis 2010 elle est stable à 474 Twh, mais sur ces 8 dernières années, la croissance moyenne de l’économie française n’a été que de 1,1% par an. Un niveau faible qui ne correspond pas aux 2% de croissance du produit intérieur brut dont la France a besoin et qui sont atteignables. L’iFRAP estime que ce niveau de croissance conduira à une augmentation de la consommation d’électricité d’au moins 1% par an. A titre d’exemple, en Allemagne, en 2017, la consommation d’énergie a augmenté de 0,8% pour une croissance du PIB de 2,2% et malgré une tendance à la baisse de la population.
- Production
Le développement des énergies renouvelables intermittentes et la priorité qui leur a été donnée sur les réseaux, ont réduit les temps d’utilisation des centrales pilotables à gaz, fioul et charbon. Nombre d’entre elles, devenues non rentables en plus d’être polluantes, ont été fermées. En Allemagne, 7 réacteurs nucléaires ont été définitivement arrêtés, et en Belgique, 4 sont temporairement arrêtés. Au total, de sévères baisses de la capacité de production pilotable en fonction de la demande apparaissent en Europe qui s’achemine vers un sous-équipement face aux demandes de pointe.
Coûts
En 2018, comme le montre le tableau de l’ADEME, aucun mode de production renouvelable ne peut concurrencer le nucléaire historique pilotable et vendu 42 euros par Mwh aux concurrents d’EDF.
En dépit de cela, les investissements de production d’électricité retenus dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie s’orientent vers ces filières renouvelables non compétitives (éolien, solaire, biomasse) qui vont donc exiger des subventions ou des augmentations de prix pour les consommateurs pendant les 20 prochaines années. Ces productions intermittentes entrainent de plus des surcoûts pour l’entretien de capacités de back-up et pour la restructuration des réseaux de transport et de distribution de l’électricité.
Par ailleurs, pour dédommager les actionnaires de la fermeture prématurée de chaque centrale nucléaire, l’État devra verser des dédommagements aux actionnaires d’EDF. Pour la centrale de Fessenheim, c’est 446 millions d’euros qui sont actés, plus un complément en fonction du prix de l’électricité jusqu’en 2041. Et 200 millions d’euros sont prévus pour tenter de revitaliser le secteur Fessenheim. Total, 646 millions de taxes supplémentaires pour les Français.
Les coûts de production des centrales existantes, prolongées à 50 puis 60 ans, semblent assez bien maîtrisés et se situer à un niveau encore compétitif pour de la production pilotable pendant les 25 prochaines années. Le cas des nouveaux EPR étant plus complexe, repousser les décisions une fois les réacteurs de Taishan (Chine), Flamanville et Olkiluoto (Finlande) opérationnels, est logique.
Conclusion
La perspective d’une augmentation de 8% des prix de l’électricité au 1er janvier 2019, proposée par la Commission de régulation de l’énergie en application des lois existantes, a effrayé les responsables politiques[1]. Conséquence logique des décisions qu’ils ont prises, l’alerte sur les prix de l’électricité et l’alarme sociale actuelle, les mettent devant leurs devoirs. Se tromper de combat – contre le nucléaire au lieu de contre le CO₂ – conduirait à un gigantesque gâchis pour notre pays, insupportable pour les Français.
Il faut continuer à travailler pour faire baisser les coûts de production des énergies renouvelables et pour découvrir des solutions économiquement supportables de stockage de l’électricité (hydrogène, batteries ou autres). Mais en attendant, les responsables ont le devoir de ne pas empêcher les fournisseurs français d’utiliser les modes de production les plus performants du point de vue prix, respectant les objectifs de réduction des émissions de CO₂. Ils doivent prévoir de garder jusqu’à 50 ou 60 ans les centrales nucléaires actuelles, une démarche profondément écologique de lutte contre l’obsolescence artificielle des objets existants, et donc les utiliser le plus longtemps possible. Un moyen de minimiser les investissements, de peser à la baisse sur le coût du Kwh et de préserver le pouvoir d’achat des Français.
[1] La proposition du gouvernement de l’interdire est étrange : Ségolène Royal l’avait fait en 2014. Une décision censurée par le conseil d’État qui avait contraint EDF à récupérer trois ans plus tard les sommes non perçues.