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Fin des véhicules thermiques en 2035 : l'équation impossible

Selon les engagements de l’Union européenne, d’ici 11 ans, la vente de voitures thermiques sera interdite. Pour atteindre cet objectif, la France prévoit que 66% des voitures neuves vendues en 2030 seront électriques, 100% en 2035 ce qui devrait faire basculer la part de véhicule électrique dans le parc automobile de 1,5% aujourd’hui, à 42% en 2035. Irréalisable ? Entre la disparition progressive des aides à l’achat due aux contraintes budgétaires, un calendrier trop court, l’absence d’une chaîne de production européenne pouvant rivaliser avec la Chine, l’augmentation des normes (éco-score, etc) et l’instabilité croissante des prix de l’électricité, la réponse est probablement oui. 

Depuis le début de l’année, les ventes de voitures électriques en Europe reculent (10,9% des ventes contre 14,6% à la même période l’année dernière), elles passent même derrière les ventes de diesels en Allemagne : en ligne de mire, la suppression Outre-Rhin des aides à l’achat (de 3 000 à 4 000 euros) pour un véhicule électrique. La santé du marché français de la voiture électrique est donc à suivre sur les prochains mois alors qu’il va devoir encaisser la baisse de 1 000 euros de l'aide à l'achat d'une voiture électrique en décembre 2023 et la suspension de 15 février dernier du dispositif de « leasing social » à 100 euros par mois,  pourtant lancé le 1er janvier 2024.

Une équation impossible 

Sur les transports, la planification repose essentiellement sur le développement des véhicules électriques. Le plan prévoit bien d’autres mesures comme le développement du vélo ou le lancement de RER métropolitains. Mais concernant le chantier des 13 premiers RER métropolitains, l’enveloppe annoncée (700 millions d'euros liée aux infrastructures ferroviaires) semble loin de pouvoir remplir la donne.

Le gouvernement prévoit que 66 % des voitures neuves vendues en 2030 soient électriques, et la totalité en 2035, suivant une réglementation européenne. Alors que le parc des véhicules légers électriques est de 1,5% (parc de 38,9 millions de véhicules), il doit atteindre 42% en 2035. 

Scénarios RTE – Électrification des usages

 

2019

2035 - Scénario A 
Scénario de référence

Part des logements chauffés à l’électricité

37 %

60 %

Part du tertiaire chauffé à l’électricité

29 %

54 %

Part des véhicules légers électrifiés

1 %

42 %

En décembre 2023, la diffusion des voitures 100 % électriques a connu une réelle accélération avec 20% des ventes. On comptait 304 000 voitures électriques neuves immatriculées contre 30 000 il y a cinq ans et seulement 5 000 il y a dix ans. Il faut garder à l’esprit que le parc automobile français compte près de 39 millions de véhicules : il faudra donc fortement accélérer pour franchir la barre des 40% de véhicules électriques. Il faut aussi garder à l’esprit cependant que cette tendance est très sensible aux subventions : ainsi en Allemagne, les immatriculations de voitures électriques ont chuté de 47,6 % en décembre, suite à l’abandon des subventions. En France, en décembre 2023, l'exécutif a acté une baisse de 1.000 euros de l'aide à l'achat d'une voiture électrique, le dynamisme du marché s’étant heurté aux réalités budgétaires. En 2024, le budget devrait être de 1,4 milliard avec une contrainte supplémentaire : financer l’offre du gouvernement de voitures électriques en leasing à 100 €, promesse de campagne d'Emmanuel Macron, qui a suscité un fort engouement et qui devrait couter 260 millions €.

Depuis le 1er janvier 2024, une autre contrainte s’impose : soumettre les subventions à un score environnemental comprenant les émissions de CO2 générées par la fabrication. Une réforme visant à ne plus subventionner les véhicules produits hors d'Europe. Il faut dire que les marques chinoises, encore inconnues en Europe, s’étaient particulièrement développées avec l’exigence du 100% électrique. En janvier 2023, la Chine est devenue le deuxième exportateur dans le secteur automobile derrière le Japon, passant devant l’Allemagne. Et en décembre 2023 la marque chinoise BYD est passée devant Tesla en nombre de véhicules produits.

Les géants chinois de l’automobile électrique bénéficient d’avantages réglementaires et de subventions en Chine qui avaient contribué à leur développement. Même si les constructeurs européens font tout pour produire plus de voitures électriques, le moins cher possible, personne en Europe n’aurait été prêt à produire uniquement des véhicules électriques à prix abordable pour les ménages en 2035. Comme le souligne Carlos Tavares, le directeur de Stellantis, pour atteindre cet objectif, il faut une transition douce, économiquement soutenable, et non pas une date couperet… alors que l’Europe a prévu une interdiction aussi rapide que massive.

Prenant conscience que 15 millions d’emplois dans l’industrie automobile européenne (en France 2,2 millions d’emplois) subiraient un violent contrecoup, la Commission a présenté le NZIA (Net Zero Industry Act) en subventionnant l’industrie verte en Europe. L’objectif est que 40% des besoins de l’UE pour développer ses technologies propres soient couverts par des capacités industrielles européennes. Ce que les industriels chinois n’ont pas tardé à contourner en venant s’installer directement en Europe.

Peut-on garantir une chaîne de production française ou européenne ?

Le nerf de la guerre dans l’électrification croissante des parcs automobiles européens sera les batteries et la capacité à les produire. Or, pour l’instant, la prépondérance asiatique sur le marché des batteries tend à se confirmer car, sur les 70 gigafactories annoncées au niveau mondial, 46 seront en Chine. La stratégie de l’Union Européenne, à travers l’European Battery Alliance, est de couvrir 90% des besoins en batteries du continent par la production domestique en 2030. Pour l’instant, l’Allemagne fait la course en tête. Pour la France, les annonces d’implantations de gigafactories ont renforcé la volonté de réindustrialisation verte, mais cela implique plus de consommation électrique (prologium, xtc, …).

Autre conséquence à prendre en compte : l’impact de l’électrification totale du parc automobile sur la consommation annuelle d’électricité. Selon les derniers chiffres établis par la CRE en décembre 2023 :

Une consommation qui si elle se reporte aux heures de pointe l’hiver devrait impacter les puissances souscrites par les familles et les entreprises et très fortement les puissances véhiculées par le réseau. D’où les recommandations de la CRE pour inciter à la recharge des batteries aux heures creuses. La CRE rappelle aussi que la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit que 7 millions de points de charge (publics et privés) soient installés d’ici 2030 alors que nous en sommes à 111 000 fin 2023. Dans son Plan de développement (2023), Enedis estime les investissements liés à l’intégration de la mobilité électrique, c’est-à-dire les nouveaux raccordements, l’extension et le renforcement de lignes (pour assumer les appels de puissance), pourrait représenter de l’ordre de 10 % du total des investissements anticipés par Enedis d’ici 2035 (soit environ 500 M€ par an), autant que pour les investissements prévus pour l’insertion des énergies renouvelables.

La future électrification croissante du parc automobile français entraînera des bouleversements considérables de la plus importante industrie européenne et des défis énergétiques majeurs, même si le développement de l’industrie de l’hydrogène pourrait rebattre les cartes à moyen et long terme. Cette transformation pose aussi la question des 30 milliards € de fiscalité sur les carburants qui disparaîtront des recettes budgétaires.