La SNCF dans le déni
Le 8 octobre les syndicats Sud et CGT de la SNCF ont appelé à la grève « pour les salaires et l’emploi ». Les cheminots défileront aux côtés des salariés d’Air France. Une perspective qui devrait faire réfléchir les employés de l’entreprise nationale ferroviaire. Car la concurrence existe, elle est là et l’entreprise publique doit s’y préparer.
Car la concurrence existe, elle est là et l’entreprise publique doit s’y préparer. Certains pensent encore comme la vie serait simple si les monopoles avaient été strictement défendus à Bruxelles et le ministre des Transports, Alain Vidaies, préfère éviter le sujet. Lors de l’annonce de la feuille de route du gouvernement suite au rapport sur les trains Intercités, il avait déclaré que la concurrence était un horizon. À l’issue du conseil des ministres des Transports de l’union européenne, il a réitéré : sa « position a toujours été constante sur l’ouverture à la concurrence : elle ne constitue pas une fin en soi ». Cette déclaration devrait pourtant inquiéter les cheminots qui sont en droit de se demander si le gouvernement veut toujours que la SNCF soit dans 10, 15 ans un acteur majeur dans le domaine des transports. Car les décisions des pouvoirs publics qui s’enchaînent laissent à penser que le gouvernement français ne se comporte ni comme un actionnaire responsable pour la SNCF ni comme un État stratège pour le ferroviaire en général. Explications.
- La libéralisation des autocars votée avec la loi Macron a permis un décollage ultra rapide de ce mode de transport qui a séduit déjà 250.000 voyageurs et 75 villes ont été desservies en un peu plus d'un mois. On compte déjà la création de 700 emplois. Cette mesure était demandée de longue date et l’on ne peut que féliciter le ministre de l’Économie. Mais pourquoi ne pas être allé plus loin en offrant la possibilité aux trains Intercités, d’être exploités par des opérateurs privés plutôt que de condamner les lignes les moins fréquentées à fermer ? Cette politique aurait alors été cohérente en offrant du choix dans la mobilité et en donnant à un ou des acteurs ferroviaires les moyens d’exister face au déferlement que constituent les nouveaux modes de transport comme l’autocar ou le covoiturage, avec notamment la success story de Blablacar, l’avion low cost. Il fallait certainement donner des motifs de satisfaction à ceux qui préfèrent s’arcbouter sur un monopole public plutôt que de considérer l’avenir du secteur ferroviaire tout entier.
- En donnant son feu vert aux LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax, le gouvernement n’a pas fait mieux, loin s’en faut. À Bordeaux, comme à Toulouse, les présidents sortants des conseils régionaux ont été d’ardents défenseurs de la construction de la LGV. Par ailleurs, le ministre Alain Vidalies a été auparavant député des Landes. Cette décision, prise à deux mois des élections régionales, n’a trompé personne, mais n’est pas de l’intérêt de la compagnie ferroviaire. Car la SNCF doit déjà batailler sur la ligne Tours-Bordeaux avec les élus locaux, Alain Juppé en tête, qui veulent plus de dessertes et le concessionnaire de la ligne, Vinci, qui rappelle que la ligne a été construite pour être exploitée sur la base de propositions de trafic, permettant grâce aux péages de rentabiliser l’investissement. L’affaire est donc de tout autre nature qu’avec RFF, devenu SNCF Réseau, qui acceptait, contraint et forcé, de construire et d’exploiter des lignes et d’endosser pour cela un endettement colossal. Dans le cas de Tours/Bordeaux, la SNCF ne souhaite pas exploiter plus de 13 A/R quotidiens en direct, là où les élus en réclament au moins 19. Un cadre du groupe SNCF expliquait récemment « on va déjà éponger une perte récurrente de 150 à 200 millions d’euros sur cette ligne, ce serait encore pire si on devait aller jusqu’à Dax ! » Bizarrement personne n’a songé que l’équilibre pouvait être atteint en offrant à d’autres opérateurs la possibilité de faire rouler des trains sur cet axe satisfaisant ainsi concessionnaire et élus…
- Même le député socialiste Gilles Savary a désapprouvé la décision du gouvernement estimant qu’elle va à l’encontre du rapport de la Cour des comptes sur la grande vitesse ferroviaire et va à l’encontre de la décision de la commission d’enquête publique qui reconnaissait que le projet pouvait avoir des retombées économiques mais qu’à 8,3 milliards, il connaissait des incertitudes dans son financement. Le Premier ministre s’était d’ailleurs exprimé au mois de juillet pour dénoncer le tout et favoriser les trains du quotidien et l’amélioration du réseau existant. À cette occasion, il avait ajouté "Nous devons sortir de ce tabou de l'ouverture à la concurrence du monde ferroviaire", "placer l'État au cœur du dispositif n'est en rien contradictoire avec cette exigence de concurrence"
- Mais la décision pour Bordeaux/Dax et Bordeaux/Toulouse pourrait précipiter la situation de la SNCF sur le front des TER cette fois. La candidate Virginie Calmels opposée à Alain Rousset dans la région Aquitaine, estime que la décision du gouvernement concernant les deux LGV cache la forêt des TER. Elle a proposé de lancer une expérimentation pilote en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes en ouvrant la concurrence concernant la circulation de lignes TER... Plusieurs candidats aux régionales ont déjà évoqué cette possibilité s’ils remportaient l’élection. Quant aux responsables actuellement aux manettes, plusieurs d’entre eux sont engagés dans des bras de fer avec la SNCF (Rhône-Alpes, Pays de la Loire, Centre, …) qui pourraient influencer leur décision dans le cadre d’un renouvellement de convention. Ils y ont intérêt car sous la pression de la baisse des dotations aux collectivités locales, les régions doivent faire des économies et le transport ferroviaire est le premier budget des régions. Après les élections, les majorités dans les nouveaux conseils seront peut-être moins complaisantes à l’égard de la SNCF qui a bien su profiter des TER.
Le ministre des Transports peut avoir la satisfaction d’avoir négocié hier à Bruxelles un accord sur le 4e paquet ferroviaire, qui fixe les règles d’ouverture à la concurrence des lignes nationales et repousse à 2026 la possibilité d’une mise en concurrence pour l’attribution des contrats TER et Intercités. Rien n’assure que cet accord soit validé par le Parlement européen. Mais cette décision ne fait que repousser le problème et démontre un déni de réalité face à la situation réelle de la SNCF.
Que se passera-t-il alors en 2020 ? Acculée par une dette gigantesque (elle compte déjà plus de 40 milliards d’euros de dette), la SNCF ne pourra s’en sortir en réclamant l’aide de son principal actionnaire tenu par la réglementation européenne sur les aides d’État. Le gestionnaire d’infrastructure ne pourra pas non plus augmenter les péages pour accélérer le remboursement de sa dette puisqu’il précipiterait tout le secteur dans le rouge et signerait alors définitivement la fin de ce mode de transport Elle ne pourra pas non plus réclamer de l’argent à Bruxelles puisqu’avec le Canal Seine Nord et le Lyon Turin, la France est déjà le premier bénéficiaire des subventions de la Commission permettant d’améliorer le réseau transeuropéen de transport. Difficile aussi d’envisager un appel aux capitaux privés : qui voudrait se lancer dans une telle aventure…? Sauf si une restructuration sévère devait être entreprise.
Michel Sapin, ministre des Finances a déclaré cette semaine : "On vit sur cette image d'une compagnie belle, conquérante, grande référence mondiale, elle l'est toujours, mais tout a bougé autour. J'espère que tout le monde est bien conscient, y compris tout le monde dans le personnel d'Air France, que si rien n'est fait, Air France est en très grande difficulté".
De fortes paroles tout aussi valables en remplaçant Air France par SNCF. La concurrence a mis en évidence la faible productivité de l’entreprise Air France, et contraint le gouvernement à soutenir les réformes indispensables ; seule la concurrence permettra de faire évoluer la SNCF. Plus on attendra, plus la situation des ces organismes se dégradera, et plus l’incompréhension des personnels sera grande au moment où les gouvernements seront acculés à agir.