Plus personne ne veut de l’Education nationale mais personne n’ose la démanteler
Mauvaise répartition des enseignants, difficultés de recrutement, mal-être du personnel et insatisfaction des parents d’élèves. Tous les voyants sont au rouge et jamais la gestion de l’Education nationale n’aura été autant critiquée. Une rentrée scolaire qui met en lumière un système à bout de souffle et qui ne satisfait plus personne… et l’incapacité actuelle du gouvernement à y apporter une réponse appropriée.
Un management des enseignants au fichier Excel
Au centre de l’insatisfaction actuelle, on trouve la « pénurie » d’enseignants dans les établissements scolaires. Il s’agit en réalité d’un manque d’enseignants titularisés lors de la dernière session du concours et d’une mauvaise répartition des effectifs disponibles par les rectorats (avec des enseignants mutés à l’autre bout du pays alors que l’établissement le plus proche à un poste à pouvoir). Au final, 4 000 enseignants sont manquants. En réalité, le phénomène n’est pas nouveau :
- Depuis 2000, le nombre de candidats qui se présentent au Capes est passé de 40 000 à 15 500. En 2022, 5 concours (Allemand, Lettres classiques, Physique-Chimie, Mathématiques, Lettres modernes) avaient moins de candidats admissibles que de postes ouverts ;
- L’Education nationale compte 67 000 contractuels qui ont été embauchés sur entretien. Ces non-titulaires représentent 5,5% des effectifs dans l’enseignement public et 23% dans l’enseignement privé et leur part augmente rapidement : +26,3% dans l’enseignement public et +12,2% dans l’enseignement privé depuis la rentrée de septembre 2015 ;
- Le contrat est devenu une véritable voie pour entrer dans le métier d’enseignants : alors que seulement 7% des nouveaux titularisés avaient été contractuels en 2008, cette part était de 26% en 2018.
La vérité est que cela fait plus de 10 ans qu’un changement s’opère sur le recrutement des enseignants et qu'il est plus que temps de le prendre en compte. Et on ne touche ici qu’à une infime portion du management catastrophique mené par les rectorats, une gestion au fichier Excel où les enseignants avec le moins d’expérience sont envoyés dans les établissements les plus difficiles et où l’ancienneté détermine le niveau de rémunération sans récompenser les meilleurs éléments qui se découragent d’année en année.
L’Education nationale a multiplié les services déconcentrés (18 régions académiques, 30 académies, 97 directions académiques, 1 000 circonscriptions du 1er degré) où plus de 81 000 agents administratifs (plus logistique, santé et social) encadrent 890 000 enseignants, soit 11 enseignants par agent et pourtant rien ne fonctionne. La mobilité interne des enseignants est particulièrement insatisfaisante : en 2020-2021, dans le premier degré public, 77% des demandes de mutations ont été refusées, dans le second degré public, 56%.
Le management des enseignants souffre également d’une absence de lien hiérarchique. Aujourd’hui, dans l’Education nationale, personne n’est responsable de rien. Si les parents d’élèves interpellent régulièrement les directeurs d’écoles, ces derniers ne sont responsables que du personnel technique qui est payé, soit par l’établissement dans le cas du privé, soit par la collectivité. Le supérieur hiérarchique d’un enseignant est l’inspecteur de l’Education nationale chargé d’évaluer le travail individuel et collectif des personnels dont il a la responsabilité. Sauf que, avec 3 716 inspecteurs pour 825 3989 enseignants titulaires et alors que l’année scolaire dure 186 jours, les inspecteurs ont moins d’une journée à accorder à leur N-1.
95% des enseignants insatisfaits de leurs employeurs En mars 2022, dans un sondage Harris Interactive, 73% des enseignants du primaire n’étaient pas satisfaits de leur situation professionnelle actuelle dont 23% « pas du tout satisfaits » et 95% des enseignants étaient insatisfaits de leurs relations avec le ministère de l’Education nationale. Au final, 33% indiquaient vouloir changer de métier. L’étude annuelle sur l’état du système éducatif, RERS, analysait en 2021 le climat scolaire du point de vue des personnels du secondaire (publication des résultats 2022 à venir). Cette enquête menée par le ministère est moins alarmiste mais indiquait tout de même que 59% des enseignants estimaient qu’il y a des violences dans leur établissement et 54% des enseignants estimaient ne pas être capable d’exercer leur métier jusqu’à la retraite : à noter que ce taux montait à 61% dans l’enseignement public contre 42% dans l’enseignement privé. D’ailleurs, les enseignants du privé étaient systématiquement (sur les 36 questions posées dans l’enquête) plus satisfaits de leurs conditions de travail que leurs homologues du public. |
Une violence bien installée : 69 000 incidents graves par an dans les collèges et lycées
Selon les dernières statistiques du ministère, on comptait en 2018, 12,2 « incidents graves » pour 1 000 élèves, soit 69 000 incidents sur l’année scolaire. Ce taux est retombé à 10,2 en 2020 mais compte tenu de la part de l’enseignement à distance et du confinement, les années sont peu comparables.
En 2019, 56% des incidents étaient déclarés dans des lycées professionnels et au total, 79,4% des incidents étaient des « atteintes aux personnes », 7,1% relevaient d’atteintes aux biens, 4,8% d’incidents liés à la consommation d’alcool ou de stupéfiants et 4,5% d’incidents liés à un port d’arme.
Encore une fois, on observe une réelle distinction entre le ressenti des enseignants du public et du privé : si 47,5% des enseignants du public déclarent être confrontés à des refus ou contestations d’enseignement, ils ne sont que 25,6% dans le privé. Concernant les moqueries ou insultes, 29,7% des enseignants du public y sont confrontés contre seulement 13,1% du privé.
Le ressenti des parents et des élèves marqué par l’insécurité dans les établissements Du côté des parents d’élèves. Le baromètre 2021 auprès des parents d’élèves du primaire et du secondaire montrait que 69% des parents d’élèves estiment que le niveau des élèves baisse, 6 points de plus qu’en 2019. 70% d’entre eux n’avaient pas, non plus, confiance dans l’Education nationale pour résoudre le problème des violences à l’école, et 68% pour régler le problème du mal-être des enseignants. Du côté des élèves. L’étude sur l’état du système éducatif, RERS 2022, analysait le climat scolaire du point de vue des élèves de CM1 et CM2. Ils étaient 57% à rencontrer des difficultés dans le travail à faire à la maison, 89% à estimer passer trop de temps à faire le travail après la classe. Enfin, ils étaient 40% à déclarer avoir été victime, au moins une fois en 2020-2021 de vols (à l’école ou sur le trajet), 42% d’insultes ou moqueries, 41% de mises à l’écart, 36% de bagarres. |
30% des dépenses dédiés à l’enseignement obligatoire sont gaspillées
103 milliards d’euros, c’est la dépense d’éducation, tous financeurs confondus, c’est-à-dire en incluant les dépenses des ménages, des entreprises, de l’État, des collectivités et ce, pour faire tourner les établissements scolaires du 1er et du 2nd degré du public et du privé. En 2019, cela représentait une dépense moyenne de 8 400 euros par élève, mais cette moyenne cache un vrai gaspillage des moyens financiers mis à disposition. Entre l’enseignement privé et public, la dépense moyenne passe de 4 211 euros à 7 149 euros pour un élève du 1er degré et de 8 086 euros à 10 977 euros pour un élève du 2nd degré.
En moyenne, il était ainsi dépensé en 2019 :
- 2 879 euros de plus pour les élèves du 1er degré public,
- 2 883 euros de plus pour les élèves du 2nd degré public.
Une surdépense connue et dont la part est stable, autour de 30% des dépenses totales. En 2019, 13 milliards d’euros reposaient sur des dépenses de fonctionnement mal contrôlées dans l’enseignement public. En cause, le poids de la sur-administration et du sur-encadrement que l'on retrouve dans les données de l’OCDE : alors que la France consacre 21,6 % des dépenses de fonctionnement des établissements à la rémunération du personnel non-enseignant, la moyenne européenne est à 14,9 %.
Si pour certains la mauvaise gestion financière de l’Education nationale n’est pas le problème principal, elle est, en réalité, la cause de beaucoup de maux dont souffre le système éducatif car elle bloque toutes les tentatives d’amélioration : elle freine la rénovation des établissements scolaires (toilettes insalubres, salles de classe ou d’examen ayant besoin de climatiseurs alors que les épreuves du bac ont, de plus en plus, lieu pendant des périodes de canicule, besoin de matériel pour l’enseignement à distance, etc.) mais également les revalorisations salariales.
Car si le gouvernement a beaucoup communiqué sur les hausses salariales qu’il souhaite accorder aux enseignants, il n’a, en réalité, pas les moyens de les financer. Pire, cet argent est déjà dépensé… mais en dépense de retraite. En effet, si les enseignants du public allemands gagnent plus que les enseignants français, les pouvoirs publics français dépensent plus pour les enseignants (en salaire moyen superbrut) qu’en Allemagne : 78 500 euros en moyenne par enseignant en France contre 76 600 euros en Allemagne. Cela à cause du poids du régime de retraite du public en France : si les pensions des enseignants coutent 9,2 milliards à l’Allemagne, leur poids passe à 18,7 milliards en France ce qui ne laisse aucune marge de manœuvre.
Une série d’annonces gouvernementales périphériques qui ne résoudront rien
Jeudi 25 août Emmanuel Macron, a présenté ses solutions pour répondre à la crise, allant même jusqu’à reconnaitre que « quelque chose ne marche pas dans notre organisation collective ». Cette série de mesures compte un important volet de nouvelles dépenses avec :
- Une revalorisation de 4% de l’allocation de rentrée scolaire (3 millions de foyers bénéficiaires dont 5 millions d’enfants) et des bourses pour les collégiens et les lycéens (1,4 million de bénéficiaires). Pour un coût de 110 millions d’euros environ.
- Une augmentation de 50% des fonds sociaux des établissements. Pour un coût d’environ 25 millions d’euros.
- La création d’un fond d’innovation pédagogique de 500 millions d’euros pour financer des projets pédagogiques proposés par les établissements volontaires.
- Il a, ensuite, été confirmé que le gouvernement vise une revalorisation de 10% pour les enseignants (pour un coût estimé à 5,6 milliards d’euros) et plus pour ceux qui accepteraient d’effectuer des missions supplémentaires dans leurs établissements.
- En parallèle, il a également été confirmé que les enseignants en début de carrière gagneraient 2 000 euros net mensuel minimum et ce, pour la rentrée de septembre 2023. Sans connaitre les contours de cette annonce, impossible d’en estimer le coût mais il est déjà certain qu’il sera significatif pour les finances publiques. Cette nouvelle rémunération concerna-t-elle l’échelon 1 (année de stage) ou 2 (année de titularisation) ? Et quid du stock d’enseignants qui risque de gagner désormais moins qu’un débutant ? En effet, un professeur des écoles titularisé atteint les 2 000 euros de revenu net mensuel à l’échelon 8, après 10 ans d’ancienneté et il semble peu probable qu’un palier à 2 000 euros net mensuel soit accepté sur les 10 premières années de la carrière d’enseignant.
Le Président a également confirmé des promesses de campagne comme le dédoublement des classes en REP d’ici à 2024 pour toutes les classes de grande section de maternelle. Des évaluations des acquis doivent également être lancées en CM1 et en 4ème (CP, CE1 et 6ème à l’heure actuelle), le recrutement de 4 000 nouveaux AESH, l’élargissement du Pass Culture aux collégiens et le lancement d’une expérimentation de deux heures de sports supplémentaires par semaine dans 140 collèges.
Sur les problèmes de recrutement et de formation, seules des pistes ont été lancées. Ainsi, le ministre a confirmé que l’expérimentation sur l’autonomie des écoles à Marseille allait être étendue et Emmanuel Macron a indiqué réfléchir « au processus de sélection et de formation des futurs professeurs qui n’implique pas forcément un concours au niveau bac +5 » mais tout en assurant que la « masterisation n’est pas remise en cause » ce qui semble contradictoire. En parallèle, le ministre a annoncé qu’un concours exceptionnel de titularisation des contractuels serait proposée au printemps 2023… Sauf qu’un concours interne de titularisation des contractuels existe déjà.
Au final, les mesures gouvernementales n’effleurent même pas les dysfonctionnements dont souffre un système éducatif au bord de l’écroulement.
Vers une réforme de fond en comble de l’Education nationale ?
Réformer l’Education nationale d’ici 2027, c’est possible mais pour cela il faut arrêter les demi-mesures et les annonces floues.
Une réflexion doit être menée sur le statut des enseignants et le recrutement par concours. Il faut que les directeurs d’établissement aient leur mot à dire et puissent constituer des équipes pédagogiques cohérentes avec leur projet et leur établissement. L’unicité de la grille salariale et l’égalitarisme doivent aussi être abandonnés pour permettre aux meilleurs éléments d’obtenir de meilleures rémunérations.
La question des salaires, du temps de travail, la place de l’enseignement privé, de la sur-administration et du sur-encadrement sont également centrales. Tout comme la dimension « nationale » du système éducatif : aujourd’hui, nationale est synonyme de concentrée où l’Etat décide de tout, à tous les niveaux. Quelques questions matérielles ont été décentralisées selon une répartition unique au monde où les communes gèrent les écoles, les départements gèrent les collèges et les régions gèrent les lycées. Il est temps d’admettre que cette gestion par le haut ne fonctionne plus et viser la construction d’un nouveau système éducatif où les acteurs locaux, les communes et les établissements, sont les principaux gestionnaires. L’Etat ne doit se réserver qu’une place de garant et de superviseur, notamment en assurant la cohésion des programmes et des épreuves. La Suède et l’Allemagne fonctionnent ainsi depuis longtemps.
Cela représente beaucoup de chantiers mais alors que tous les voyants sont au rouge, que le niveau d’insatisfaction n’a jamais été aussi haut, au commencement de ce second quinquennat, Emmanuel Macron et son gouvernement sont dans une situation unique pour lancer une réforme profonde de notre système scolaire.