Les arguments pour la mixité sociale à l'école ne tiennent pas la route
Cela a été annoncé cet automne, le ministère de l’Education nationale veut accentuer la mixité sociale dans les établissements scolaires. Les contours du plan de « mixité sociale à l’école » sont encore attendus mais plusieurs pistes sont déjà sur la table et si les discours semblent viser, sans détour, un enseignement privé considéré comme privilégié, il apparait que la réalité du terrain est parfois très différente. Ainsi, il apparait que les sections internationales se développent déjà très majoritairement dans l’enseignement public, que la piste d’un quota d’élèves boursiers dans l’enseignement privé se heurtera directement à la règle du 80/20 et que les indices sociaux développés par l’Education nationale ces dernières années sont à prendre avec des pincettes.
Les pistes envisagées
Réserver les sections internationales seulement aux établissements défavorisés.
A la rentrée scolaire 2022, le ministre avait déjà indiqué vouloir créer 43 nouvelles sections internationales dans les collèges les plus défavorisés. Les sections internationales sont un dispositif bilingue où sont accueillis, dans la même section, des élèves français et étrangers et ce, pour 19 langues différentes. Elles permettent aux élèves d’obtenir le bac avec option internationale.
Peu de données existent sur leurs répartitions mais l’académie de Versailles, la plus grande qui regroupe 9,5% des élèves, indique recenser 102 sections internationales du 1er degré au lycée à la rentrée 2022.
Si l’on regarde la carte de toutes les sections internationales dans l’académie, on constate que 44 établissements publics en proposent… contre 4 établissements privés.
Source : Académie de Versailles.
Contraindre les établissements privés sous contrat à augmenter leur proportion d’élèves boursiers.
Pour cela, un contrat entre le ministère et le secrétariat général de l’enseignement catholique (qui couvre 97% des élèves inscrits dans l’enseignement privé sous contrat) serait en cours de négociation et le ministre, Pap Ndiaye a déjà assuré avoir « quelques moyens de pression » notamment « l’allocation des postes d’enseignants du privé ». Pour rappel, l’Education nationale suit une pratique (la règle n’est pas écrite) qui veut que les moyens (financiers, matériels et humains) publics accordés à l’enseignement privé se limitent à 20% du total.
En France 25,5% des élèves du second degré sont boursiers dont 12,1% dans le privé et 29,1% dans le public. Mais si une obligation, pour l’enseignement privé, d’augmenter sa part d’élèves boursiers est décidée, la mesure risque vite de se heurter aux manques de places dans les établissements privés… qui est causé par la règle du 80/20 qui limite le développement du privé et l’ouverture de nouvelles classes. Et si le ministère sanctionne les établissements en réduisant l’allocation des moyens, cela ne fera qu’aggraver le problème. En 2017, Caroline Saliou, la présidente de l'Apel, association de parents de l'enseignement catholique, rappelait que les listes d’attente dans les établissements privés sous contrat ne cessent de s’allonger.
Philipe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique, souligne un autre frein : celui des frais incompressibles pour les familles des élèves du privé. En 2018, la FNOGEC (fédération nationale des organismes de gestion de l'enseignement catholique) estimait que la contribution moyenne et annuelle des familles s’élevait à 389 euros pour un élève de maternelle, 390 euros en primaire, 763 euros au collège, 917 euros au lycée professionnel et 1 176 euros au lycée général. A cela, il faut rajouter les frais de cantine où le prix du repas dans les établissements scolaires s’élève à 4,71 euros en maternelle, 4,75 euros en primaire, 6,19 euros au collège et 6,53 euros au lycée. A titre de comparaison, selon le CNESCO (Conseil national d’évaluation du système scolaire), en 2017, le prix moyen d’un repas dans un établissement public du second degré était de 3,30 euros… un prix inférieur au réel car les collectivités prennent, en partie, en charge les frais de cantines des établissements publics. Pour illustrer ce frein, Philippe Delorme évoque le fait qu’à la rentrée 2022, le lycée privé parisien Stanislas avait ouvert dans ces classes préparatoires 15 à 20 places pour des élèves boursiers mais que seulement 2 ont choisi de s’inscrire à cause, notamment, des frais de cantines. Dans le cadre de la négociation avec le ministère, sa proposition est donc que les collectivités territoriales participent à la prise en charge des cantines de l’enseignement privé.
Elargir l’expérimentation des secteurs bi-collèges à 200 « binômes », soit environ 4% des collèges publics.
En 2017, le ministère de l’Education lance une expérimentation sur trois « secteurs bi-collèges » à Paris qui veut que les élèves de deux collèges, au profil socialement différent, fassent leur scolarité ensemble selon deux méthodes d’affectations. Une montée alternée où « les années paires, le premier collège n'accueille que des classes de 6e et de 4e quand le second n'accueille que des classes de 5e et de 3e ; les années impaires, la configuration est inversée ». Et un choix scolaire régulé qui se fonde sur un algorithme répartissant les élèves en 4 groupes sociaux.
En juin 2021, l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) estime que l’expérience constitue « une piste prometteuse pour favoriser la mixité scolaire lorsque le tissu urbain est suffisamment diversifié » mais lorsqu’on se penche sur les conclusions chiffrées de l’expérimentation, il apparait que, dans le cadre de l’affectation régulée et pour les 4 collèges de l’expérience, que la part d’élèves PCS défavorisés a très peu évolué (moins de 3 points dans tous les cas). Ainsi, les échanges de profils d’élèves concernent principalement les PCS très favorisées et les PCS moyennes où les variations se compensent presque parfaitement.
Composition sociale des classes de 6ème des 4 collèges publics parisiens de l’expérimentation « secteurs multi-collèges » suivant la méthode d’affectations « choix scolaire régulé ».
Source : bases « Elèves » de l’Académie de Paris, calculs des auteurs de la note n°49 de l’INJEP, Les secteurs multi-collèges, un outil efficace pour renforcer la mixité scolaire.
Il faut aussi s’inquiéter d’une nouvelle approche par la contrainte alors que le système éducatif français se caractérise déjà par une carte scolaire très rigide… et impopulaire. Un sondage CSA-Sénat de janvier 2022 concluait que pour la moitié des élus locaux la carte scolaire était un point de tension. A Paris et pour le collège, le chercheur, Julien Grenet, estime qu’un enfant sur deux est concerné par une stratégie de contournement de la carte scolaire et n’intègre pas son établissement rattaché. Pour lui, à ce niveau de scolarité, 35% des élèves ont basculé dans le privé et que 15% ont bénéficié d’une dérogation en intégrant un établissement hors secteur. Hélène Gervais, inspectrice chargée de l'information et de l'orientation à la direction des services départementaux de l'éducation nationale d'Indre-et-Loire, estimait de son côté qu’en 2017, pour l’entrée en collège, 10% des élèves demandaient une dérogation dans son département. Un taux équivalent à la moyenne nationale. Cela pour un taux d’acceptation de 72% dans son département contre 60% au niveau national.
Il convient de rappeler que chaque année, 200 000 à 300 000 élèves font des allers-retours entre le public et le privé et que 50% des familles ont recours, au moins une fois, à l’enseignement privé selon la Ligue de l’enseignement. Une liberté de choix qui n’est jamais facilitée. Dans un sondage de septembre 2021 IFOP/SOS Education, 69% des parents d’élèves interrogés souhaitaient, dans un souci de transparence, que l’Education communique séparément les résultats des établissements publics et ceux du privé sous contrat et hors contrat. Dans ce même sondage, 63% des parents ayant inscrit leur enfant dans un établissement privé sous contrat recommanderaient cet établissement contre 55% dans le public.
La dernière piste, pour l’instant vague, qui a été évoquée est la création de « sections d’excellence dans les territoires homogènes par le bas » pour « conserver une population scolaire qui sinon s’en irait ».
Vers une fusion de l’académie de Paris et de Créteil ? Le 10 mars dernier, le ministre Pap Ndiaye a reçu les recteurs des académies de Créteil, de Paris ainsi que le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis qui propose de fusionner les deux académies scolaires pour mutualiser les moyens et pour bénéficier d’une charge « symbolique ». Sous couvert de discours sur la mixité sociale, il semble que cette proposition réponde plus au rejet, par le corps enseignant, de l’académie de Créteil. En effet, en 2019, dans le premier degré, 23,7% des participants au mouvement de mutation sont des enseignants de l’académie de Créteil et 13,9% des enseignants titulaires de cette académie souhaitent exercer dans un autre département. Dans le second degré, 21,1% des enseignants titulaires ont fait une demande de mutation et pour un agent demandant à y entrer, un peu moins de 21 agents demandent à sortir de l’académie de Créteil. Au final, les enseignants titulaires quittant l’académie de Créteil sont six fois plus nombreux que ceux qui y sont affectés et parmi ceux qui y entrent, seulement 8,1% sont des titulaires avec plus d’un an d’ancienneté. En 2019, 21% des enseignants nouvellement titularisés ont été affectés à l’académie de Créteil (2 495 enseignants). |
Des indices sociaux de l’Education nationale… à prendre avec des pincettes
La volonté du ministère de l’Education nationale de faire de la mixité scolaire une priorité fait suite à la publication des indices de positionnement social des établissements. Pour rappel, le ministère, après 2 années de refus, a été condamné en juillet 2022 par le tribunal administratif de Paris à publier les indices de positionnement social (IPS) des écoles et des collèges (en octobre dernier), puis des lycées (en janvier 2023). A l’époque, la crainte affichée par le ministère était qu’une transparence sur ce sujet renforcerait l’évitement des établissements « défavorisés ». Une inquiétude validée par le maire de Pantin (PS), Bertrand Kern, qui estime que les IPS mettent surtout en évidence les stratégies d’évitement de la part des familles qui ne veulent pas inscrire leur enfant dans des établissements mal réputés.
L'indice de positionnement social (IPS) prend en compte la profession et catégorie socioprofessionnelle (PCS) de chaque parent d’élève, ainsi que leurs diplômes, leurs implications dans la scolarité de leurs enfants, mais aussi le « capital culturel » du foyer. Chaque élève a donc un score et la moyenne des élèves aboutie à l’indice de l’établissement. Plus l'indice est élevé, plus l'élève appartient à un foyer "favorisé". Les établissements avec un indice haut (plus de 124) font partie des 10% des collèges les plus favorisés tandis que les établissements avec un indice bas (inférieur à 81) font partie des 10% des collèges les plus défavorisés. Tout de suite, il est apparu que, selon cet indice, les établissements privés sous contrat affichaient un IPS, en moyenne, supérieur à ceux des établissements publics.
- Pour les écoles, l’IPS moyen des écoles publiques est de 101,22 contre 112,22 pour les écoles du privé sous contrat.
- Pour les collèges, l’IPS moyen des collèges publics est de 99,97 contre 114,22 pour les collèges du privé sous contrat.
- Pour les lycées, l’IPS moyen des lycées publics est de 99,56 contre 112,58.
Néanmoins, si l’emballement médiatique autour d’un système éducatif qui apparait divisé est compréhensible, la justesse de l’indice, créé en 2016, mérite d’être questionnée :
Premièrement, l’IPS n’est pas unique car la carte de l’éducation prioritaire (REP et REP+), révisée pour la dernière fois en 2014, se fonde sur un « indice social unique permettant de mesurer les difficultés rencontrées par les élèves et leurs parents, et leurs conséquences sur les apprentissages ». Cet indice social se base sur 4 paramètres (taux de PCS défavorisées dans l’établissement, taux de boursiers, taux d’élèves résident en zone urbaine sensible, taux d’élèves en retard à l’entrée en 6ème). Or, il apparait que les deux méthodes de calcul aboutissent à des résultats parfois contradictoires.
Ainsi, en 2022, 362 collèges étaient classés en REP+ et 729 collèges en REP. Or, des données sur les IPS, on sait désormais la moyenne de l’IPS des collèges publics est de 100, que l’IPS moyen des collèges en REP+ est de 71,5 et que l’IPS moyen des collèges en REP est de 84,6. Il en ressort que 1 488 collèges publics ne sont pas en REP alors qu’ils affichent un IPS en dessous de la moyenne nationale dont 122 collèges qui ne sont pas classés en éducation prioritaire alors qu’ils affichent un IPS inférieur à la moyenne des REP. A l’inverse, 20 collèges classés en éducation prioritaire ont un IPS supérieur à 100.
Également, dans l’expérimentation parisienne de 2017, un algorithme de « mixité sociale » a été expérimenté dans 4 collèges parisiens pour répartir les élèves en 4 groupes sociaux. Sauf que l’INJEP reconnait bien que l’affectation gérée par l’algorithme présente un « bilan plus contrasté » à cause des difficultés à obtenir les justificatifs et données sociales des familles (30 à 60% des participants n’ont pas fourni de justificatif de quotient familial), à cause d’une trop grande prise en compte des données non sociales par l’algorithme (critère prioritaire comme la distance domicile-collège à respecter) et à cause des « comportements d’évitement » des familles.
Enfin aborder la question de la mixité sociale dans le système éducatif sans se pencher sur la question de la répartition des établissements scolaires sur le territoire n’est pas objectif. L’une des raisons pour laquelle les établissements privés sous contrat affichent un IPS, en moyenne, supérieur aux établissements du public réside dans la carte de l’enseignement privé… qui est contrainte que la règle du 80/20.
Aujourd’hui, cette répartition en 80/20 varie énormément selon les zones géographiques : ainsi, sur 96 départements, seulement 18 d’entre eux scolarisent 20% ou plus d’élèves dans l’enseignement privé (principalement en Bretagne et dans le Pays de la Loire). Au niveau des académies, c’est 5 sur 18 et pour les régions, seulement 2 sur 26. Les deux plus grandes académies, de Versailles (10% des élèves totaux) et de Créteil (7,9% des élèves totaux) affichent un taux en dessous des 20% d’élèves inscrits dans l’enseignement privé, respectivement -8% et -11,3%. Si la règle du 80/20 était respectée uniformément sur le territoire, plus de 330 000 élèves actuellement scolarisés dans le public devraient l’être dans le privé, faisant passer le nombre d'établissements privés sous contrat de 7 600 à 9 200. Une modification du paysage éducatif qui influencerait automatiquement l’actuelle carte de l’IPS des établissements.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que l’éducation prioritaire a été développée avec des contraintes équivalentes puisqu’une règle veut que les aides pour l’enseignement prioritaire ne bénéficient qu’à 20% du public scolaire. L’éducation prioritaire et l’enseignement privé se sont donc plus facilement développer en zone urbaine, défavorisée d’un côté et favorisée de l’autre mais pas dans les zones rurales. Ainsi, seulement 7,4% des établissements REP sont en zones rurales et seulement 14% des professeurs des écoles du privé exercent en zone rural, 4,5% des enseignants privés des collèges et 1,3% des enseignants privés des lycées. La politique éducative est contrainte de se développer en respectant des quotas qui ne correspondent pas aux besoins locaux : 20% des élèves en éducation prioritaire, 20% dans l’enseignement privé. Un non-sens que Guénaël Levray, adjoint au maire (PS) des Ulis dans l’Essonne explique bien : « L’Education nationale ne vit et ne respire que par des effets de seuils ! Les tensions, les incidents et les exclusions ne sont pas du tout pris en compte. On ne devrait pas se figer sur les données sociales. »