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Crise de recrutement des enseignants : et si la solution, c'était le contrat ?

L'académie de Versailles recherche 1 300 enseignants contractuels pour la rentrée 2022. Un problème de recrutement des enseignants récurrent et pressant auquel, Pap Ndiaye, tout juste nommé ministre de l’Education nationale va être confronté dès la prochaine rentrée où 5 concours du CAPES (allemand, lettre classiques, physique-chimie, mathématiques, lettres modernes) ont moins de candidats admissibles que de postes ouverts et où 5 académies (Versailles, Paris, Créteil, Mayotte, Guyane) souffrent du même problème pour le recrutement des professeurs écoles. 

Le problème n’est pas nouveau. En 2009, 72% des inscrits aux Capes externe se sont présentés au concours contre 57% en 2021. Pour le concours externe des professeurs des écoles (CPRE), ce taux est passé de 57% à 31% de 2009 à 2021. Déjà sous le quinquennat précédant, François Hollande avait peiné à pouvoir les 60 000 postes d’enseignants sur lesquels il s’était engagé. En 2020, le nombre de candidats inscrits pour un poste au concours du Capes externe était de 5,6 pour 1 contre 8,4 pour 1 en 2006.

Les bonnes pistes de l’expérimentation de Marseille

Dans son programme 2022, Emmanuel Macron se déclare en faveur de « plus de liberté pour les établissements dans leur organisation interne, pour le recrutement d’une partie de l’équipe pédagogique ». Une idée déjà développée par le Président puisque depuis mars, 59 écoles marseillaises ont lancé l’expérimentation : les directeurs y ont obtenu des pouvoirs supplémentaires pour lancer et financer des projets (via la validation de devis), coordonner les équipes et composer leur équipe pédagogique.

L’expérimentation de Marseille propose aussi une alternative au recrutement et autorise les écoles à chercher des profils spécifiques via une commission composée d’un directeur d’école et de deux inspecteurs de l’Education nationale. Les candidats passent donc des entretiens pour s’assurer qu’ils correspondent aux besoins : une grande nouveauté dans l’enseignement public où les enseignants titulaires sont, normalement, dispatchés dans les établissements scolaires par le rectorat et en fonction d’un système de points extrêmement rigide : 20 points par année d’ancienneté, 45 points si c’est dans un établissement prioritaire, 100 points par enfant, 150 points pour un pacs ou un mariage (d’où le multiplication des pacs blancs dans le milieu enseignant), etc.

Un système qui ne favorise pas la mobilité et ne satisfait personne : en 2020-2021, dans le premier degré public, 77% des demandes de mutations ont été refusées, dans le second degré public, 56%. Malgré cela, à Marseille, l’intersyndicale CGT, FO, SNUipp-FSU et SUD, a conseillé aux enseignants d’ignorer l’enquête du rectorat sur leur intérêt pour ce nouveau mode de recrutement. Pour ces détracteurs, le risque est que plus personne ne veuille enseigner dans les établissements prioritaires et les quartiers difficiles. Aujourd’hui, ces établissements comptent sur la répartition faite par les rectorats et qui repose uniquement sur la contrainte. Ainsi, il est attendu que les jeunes enseignants qui disposent le moins de points (mais sont aussi les moins formés) remplissent ces postes.

Le recours aux contractuels : unique marge de manoeuvre

Devant une telle logique, comment s’étonner de la crise de recrutement qui frappe l’Education nationale : si, pour la rentrée 2022-2023, le ministère parle d’un phénomène conjoncturel (lié à l’obligation de valider un master 2 pour les concours externes, et non plus un master 1), la réalité est que, depuis 2000, le nombre de candidats qui se présentent au Capes du second degré est passé de 40 000 à 15 500. En 2022, 5 concours (Allemand, Lettre classiques, Physique-Chimie, Mathématiques, Lettres modernes) avaient moins de candidats admissibles que de postes ouverts. Au niveau du concours des professeurs des écoles, le CRPE, 5 académies (Versailles, Paris, Créteil, Mayotte, Guyane) souffraient du même problème. Des postes qui seront vraisemblablement affectés à des contractuels dont la part augmente dans l’Education nationale : +26,3% depuis la rentrée 2015-2016 dans l’enseignement public et +12,2% dans l’enseignement privé, quand le nombre de titulaire augmentait 1,2% dans le public et baissait de -0,8% dans le privé.

Source.

Le passage par le statut de contractuel est même en train de devenir un rite de passage avant de rejoindre les rangs de l’Education nationale puisque plus de 20% des nouveaux entrants du second degré public et près de 60% des admis du second degré privé ont passé le concours interne aux personnels de l’Education nationale. La plupart d’entre eux sont, donc, déjà enseignants et cette part est grandissante comme le souligne le rapport du ministère : « La part des néo-titulaires qui ont exercé dans l’enseignement scolaire en tant que contractuels dans les deux années précédant leur entrée en formation d’enseignant a principalement crû dans le second degré, passant de 7 % en 2008 à 26 % en 2018 ».

Ainsi, sous couvert d’unicité du corps enseignant, le statut camoufle donc de véritables inégalités de traitement. Prenons l’effectif d’enseignants d’un lycée public, en moyenne, on y trouvera :

  • 79 % restant, des enseignants certifiés avec un service statutaire de 18 heures par semaine, touchant un salaire annuel moyen d’environ 30 100 €. Pour cette rémunération, un enseignant homme certifié effectuera, en moyenne, 19,3 heures d’enseignement par semaine.
  • 12 % d’agrégés avec un service statutaire de 15 heures par semaine, pour un salaire annuel moyen d’environ 42 000 €. Pour cette rémunération, un enseignant homme agrégé, effectuera, en moyenne, 16,3 heures d’enseignement par semaine.
  • 9 % d’enseignants non titulaires (des contractuels) pour un salaire annuel moyen d’environ 19 000 €. Pour cette rémunération, un enseignant homme contractuel effectuera, en moyenne, 17,4 heures d’enseignement par semaine.

Cela veut dire que sur le même niveau scolaire, sur la même matière et avec la même ancienneté, on peut trouver 3 enseignants dépendants de 3 grilles salariales différentes, pour des rémunérations variant du simple au double et un temps d’enseignement variant de plus de 100 heures annuelles et cela, sans que leur capacité à gérer une classe, leur pédagogie, leur implication dans la vie de l’établissement ou leurs compétences ne soient prises en compte : l’unique différence étant la validation d’un concours.

Qu'en conclure ?

Que le système éducatif souffre actuellement de la gestion d’un stock de titulaires non flexible (il est très difficile pour un enseignant du public de changer d’établissement, encore plus d’académie et il est impossible pour un directeur de se séparer d’un enseignant qui ne conviendrait pour l’établissement). Le système a donc opéré une transition avec un recours de plus en plus massif aux contractuels dont les contrats se rapprochent d’un CDD et pour lesquels, il n’existe pas de service obligatoire : ainsi, si c’est le titulaire qui décide s’il veut travailler à temps plein (18h) ou à mi-temps (9h), le contractuel, lui, peut être embauché par plusieurs établissements pour assurer 3h, 8h, 18h ou 20h de cours. Il n'existe donc que deux options : l'emploi à vie ou l'emploi de courte durée alors que ce qu'il faudrait développer, c'est un CDI du secteur public. 

Cela existe déjà ailleurs. En Suède, les enseignants sont recrutés par les directeurs d’établissements, intègrent bien le service public mais sous un contrat de droit privé équivalent au CDI, et négocient leur salaire en fonction des besoins du marché et des finances de l’établissement. En Allemagne, de plus en plus d’enseignants sont employés, conjointement, par les communes et les établissements scolaires, sans avoir le statut de fonctionnaire. En Angleterre, la majorité des enseignants sont recrutés, sur CDI, par les conseils d’administrations des établissements scolaires où ils postulent mais ils disposent d’un statut comparable aux agents des collectivités et sont, légalement, employés par l’une des 152 autorités éducatives locales.