Transports : Seafrance, Novatrans, Sernam, la série noire
Ces derniers mois ont mis à jour une succession de déroutes pour des filiales de la SNCF : Novatrans, SeaFrance, Sernam… Et la situation de Fret SNCF n'est pas meilleure. Quelles leçons en tirer pour le groupe SNCF à l'heure où se prépare l'avenir du rail français ?
Le feuilleton Seafrance a connu son épilogue le 9 janvier dernier avec la cessation d'activité prononcée par le tribunal de commerce de Paris. C'est la disparition de la seule liaison opérée par une société française sur la Manche. Les employés pensaient pourtant être à l'abri dans une filiale à 100% de la SNCF qui s'était montrée généreuse en y injectant en 2010 encore près de 70 millions d'euros en pure perte. Mais les faits sont têtus et quand la concurrence est rude il n'y a malheureusement pas de place pour l'approximation en termes de gestion. Entre 2007 et 2010 l'activité de Seafrance avait fortement régressé, à cause de la conjoncture mais aussi à cause d'une offre peu adaptée, de mouvements sociaux et d'un effectif trop important. On sait la responsabilité du syndicat majoritaire CFDT local dans cette mauvaise gestion. On connaît la fin de l'histoire : pour la SNCF avec des créances de plus de 400 millions d'euros et un actif constitué de 3 bateaux pour une somme évaluée à 150 millions d'euros et pour les 880 employés de l'entreprise qui se retrouvent sans emploi.
**Novatrans
Autre filiale à avoir connu des déboires en fin d'année, Novatrans. Cette entreprise est l'acteur français le plus important du transport combiné, activité qui consiste à transporter des "containers" par la route jusqu'à un terminal de chargement ferroviaire, puis après un transport ferroviaire, terminer l'acheminent par la route. Cette activité, qui a le vent en poupe avec le Grenelle de l'environnement, rencontre une concurrence féroce du transport routier "pur", qui ne comporte pas de rupture de charges. Autant dire que pour s'imposer auprès de chargeurs, une qualité de service irréprochable est nécessaire.
SNCF a pris le contrôle de Novatrans en 2009 avec une participation passée de 38% à plus de 96%. La SNCF a ainsi investi plus de 60 millions d'euros dont la moitié en recapitalisation après de graves difficultés financières. En 2011, l'entreprise affichait encore une perte de 22 millions d'euros. Cette prise de contrôle était assortie d'un engagement de mise en œuvre d'une concurrence loyale. En effet, chaque changement de mode de transport dans la chaîne logistique s'opère sur des terminaux de chargement/déchargement dont la majorité sont exploités par Novatrans. Une situation source de conflits pour les concurrents, raison pour laquelle l'autorité de la concurrence avait été consultée avant la reprise par la SNCF.
Opérateurs | Volume UTI* | Pourcentage |
---|---|---|
Novatrans | 166.000 | 36% |
Naviland Cargo | 133.000 | 29% |
T3M | 50.000 | 11% |
RLE | 43.000 | 9% |
* Unité Transport Intermodal (UTI) : containers, caisses mobiles…
Jean-Claude Brunier PDG de T3M, concurrent de Novatrans, donnait un début d'explication aux problèmes de Novatrans. Interrogé pour Ville, Rail et Transports, cet ancien président du Groupement National du Transport Combiné, indique que lorsqu'il doit passer par les terminaux exploités par Novatrans cela lui coûte "de 30 à 40% de plus que si nous le faisions nous-mêmes. De plus, la qualité de service est détestable et les situations souvent conflictuelles". Explication, un personnel double de ce qui serait nécessaire pour assurer une exploitation normale des terminaux. Avec un effectif de 260 personnes alors que les volumes baissaient et que les taux de remplissage des trains était très faible 70%, Novatrans n'a pas su se remettre en cause. Deux solutions sont aujourd'hui étudiées : une recapitalisation de l'entreprise par la SNCF (50 millions d'euros) avec des contraintes importantes imposées par Bruxelles ou la cession de l'entreprise à un acteur privé, mais à la vue des résultats, il n'y a pas foule de repreneurs.
**Sernam
Et c'est maintenant au tour de Sernam d'être sur le devant de la scène. Cette société de transport express de messagerie, ancienne filiale de la SNCF, privatisée en 2005, est aujourd'hui en redressement. Elle devait faire l'objet d'une proposition de reprise par Géodis jusqu'à ce que tombe la décision de Bruxelles. L'entreprise a bénéficié de plusieurs aides d'État durant le temps où elle était dans le giron de la SNCF, aides qui ont faussé la concurrence. En conséquence de quoi, Sernam devra rembourser 642 millions d'euros. Autant dire que cette décision n'est pas du goût du repreneur qui prévoyait déjà une restructuration d'activité. Le gouvernement français veut déposer, quant à lui, un recours contre Bruxelles. Les autorités européennes de la concurrence, saisies par des opérateurs privés, avaient relevé que les activités routières de Sernam étaient "effectuées dans un marché structurellement en surcapacité et dans lequel les entreprises sont en très forte concurrence" et que Sernam devait "recentrer progressivement son activité dans le ferroviaire", engagement qui n'aura pas été respecté.
**Conclusion
Y a-t-il une leçon à tirer des ces trois cas de désastres financiers ? Sans doute. Ces trois filiales ont exercé dans des secteurs très concurrentiels où la SNCF s'est positionnée en complément de ses activités ferroviaires traditionnelles. Sur ces activités, les marchés ont été fortement transformés (ouverture intra-européenne, réglementation sur la concurrence, low cost, renchérissement des carburants). Tous ces éléments ont forcé les acteurs à repenser leur offre pour rester rentables et accroître leur activité. A l'inverse, les filiales SNCF se sont senties protégées par l'opérateur public assurant en dernier ressort des recapitalisations, sans chercher à adapter leur gestion pour se maintenir sur ces marchés. Un manque d'adaptation qui s'explique par le pouvoir syndical en leur sein qui a entraîné des conflits sociaux face auxquels la direction de la SNCF a cédé.
Et que dire des activités purement ferroviaires qui étaient encore il y a peu sous monopole ? En 2011, soit six ans après l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire national, la part de marché des opérateurs privés représente 24,6% en trains-km. En Allemagne, les opérateurs privés ont mis 15 ans à atteindre ce chiffre. Aujourd'hui, la direction ne peut plus voler au secours de ses filiales en y injectant des dizaines de millions sans résultat. Elle ne peut plus compter non plus sur les finances publiques et l'endettement pour se financer (la note de la SNCF s'est dégradée en même temps que celle de l'État français). Il lui faut donc améliorer très vite sa productivité et trouver en elle les ressources pour maintenir et développer ses activités. Et pour cela il faudra sortir de la cogestion avec les syndicats.