Taxis et VTC : plus de réglementation, moins de concurrence
L'Intersyndicale des taxis a annoncé avoir obtenu du gouvernement un amendement sur le projet de loi relatif à la consommation. Les Voitures de Tourisme avec Chauffeur (VTC) vont désormais se voir imposer un délai minimal de 15 minutes entre la commande effectuée par l'usager et sa prise en charge. Il s'agit là d'un nouveau tour de force réalisé par le puissant lobby des taxis, qui vient freiner encore une fois la nécessaire ouverture à la concurrence des professions réglementées.
Via ce projet de loi relatif à la consommation , Benoît Hamon entend « rééquilibrer les pouvoirs entre consommateurs et professionnels ». Pourtant, l'article 68 du projet de loi réaffirme les obligations à la charge des VTC, ces véhicules privés mis à la disposition des usagers, après réservation préalable. Des obligations déjà pléthoriques : les chauffeurs doivent disposer d'une carte professionnelle, justifier d'une formation théorique et pratique, obtenir une autorisation de la préfecture, respecter des limites de taille et de puissance quant à leurs véhicules, et n'ont pas le droit de prendre des passagers sur la voie publique, ni de stationner dans les aéroports sans commande. Alors qu'en Janvier les taxis avaient déjà obtenu des concessions vis-à-vis des VTC après trois jours de grève, il semble qu'avec cette nouvelle règle des « 15 minutes » le gouvernement continue d'aller dans ce sens. Peu importe la nécessité de libéraliser un secteur dans lequel l'absence de concurrence devient aujourd'hui néfaste pour les usagers.
Une réglementation arbitraire qui ne répond pas aux véritables enjeux
Portée par le rapport Attali, la libéralisation du secteur des taxis se voulait défendre les intérêts du consommateur, en encourageant la concurrence, des prix plus bas, et un service amélioré.
Car en 2008, les voitures de petite remise, ancêtres des VTC, avaient quasiment toutes disparu. À l'origine, une circulaire [1] de 1993 remise par Charles Pasqua aux préfets, leur demandant de durcir la délivrance des autorisations pour les véhicules de transport privés, afin de « maintenir les fragiles équilibres avec les exploitants de taxi ». Pour ressusciter ce secteur disparu, une réforme a été entreprise en 2010 : la « modernisation des services touristiques » [2] voulue par le gouvernement Fillon s'est traduite par une simplification massive des conditions d'accès à la profession. On est alors passé d'un extrême à l'autre : les exigences en matière de taille et de véhicules sont assouplies, les contraintes en termes de licences et de nombre de voitures possédées par les entreprises de VTC disparaissent, et les préfets sont même incités à accorder les autorisations. En un an, près de 300 entreprises de VTC, et plus de 2.000 véhicules ont intégré ce nouveau marché.
On comprend donc les inquiétudes de la FNAT (Fédération Nationale des Artisans du Taxi) : avec la multiplication des autorisations accordées aux entreprises de VTC, et la facilité pour les usagers d'effectuer une réservation via des applications smartphones destinées à cet usage, ces derniers ont pu s'approprier une partie de la demande jusqu'alors réservée aux taxis. Une concurrence qui a pu en effet, à certains moments, s'avérer déloyale. La compagnie de VTC Easy Take à Avignon proposait ainsi des tarifs très compétitifs (7 euros jusqu'à 7 kilomètres, 15 euros jusqu'à 15 kilomètres), assortis de véhicules particulièrement voyants, afin de capter toute la clientèle des taxis.
Pour calmer le jeu, la réglementation des VTC a depuis été réaffirmée, notamment l'interdiction de prendre des usagers dans la rue. Toutefois, cette nouvelle mesure que semble avoir obtenue les taxis – l'obligation pour les VTC de laisser au minimum 15 minutes entre la réception d'une commande et la prise en charge – est arbitraire et passe à côté du problème de la concurrence au sein du marché. Une telle mesure justifie l'appropriation du marché des VTC par les taxis : alors que les VTC ne peuvent prendre personne dans la rue, on leur impose une nouvelle contrainte au niveau des clients ayant réservé préalablement. Cela permet aux taxis de s'accaparer la totalité de la demande : les clients dans la rue, et ceux réservant par téléphone. Un monopole du transport individuel en somme, institué au sein d'un projet de loi censé défendre les usagers.
Cette nouvelle règle des « 15 minutes » n'est donc pas viable. Non pas parce qu'il s'agit d'une contrainte de plus imposée aux VTC, mais parce qu'elle masque la nécessité de réorganiser la concurrence dans le secteur des taxis. On pourrait par exemple, sur le modèle new-yorkais, décréter une séparation claire et nette entre les deux types d'activité qui se distinguent dans le transport individuel, en refixant les prérogatives : les taxis ne se chargent que des usagers dans la rue, et les VTC prennent en charge l'intégralité des réservations par téléphone. L'on pourrait aussi imaginer une répartition territoriale des offreurs : favoriser la multiplication des taxis dans les grandes agglomérations, encourager les VTC dans les villes de moindre importance.
Les modèles londoniens et new-yorkais d'ouverture à la concurrence
Alors que dans les années 1960 le nombre de taxis et de VTC à Paris, Londres et New-York était à peu près le même, il y en a aujourd'hui 80.000 dans la capitale britannique et 55.000 à New-York, contre seulement 17.000 à Paris [3]. VTC compris, il y a seulement 3 taxis pour 1.000 habitants à Paris, autant qu'à Amsterdam, alors que le ratio est trois fois plus grand à Londres et quatre fois plus à New-York. À l'origine de ces différences, deux politiques de la concurrence nettement différentes de l'expérience française.
À Londres, une concurrence dérèglementée entre les « blackcabs » et les « minicabs » : Le Public Carriage Office, qui régule le secteur des taxis (les blackcabs) et des véhicules de transport privés (les minicabs, l'équivalent de nos VTC), encourage depuis 2002 le développement des minicabs pour stimuler la concurrence. Les blackcabs sont réglementés, alors que l'expansion des minicabs est encouragée : pas de numerus clausus, aucune autorisation à obtenir, pas de limitation du nombre d'heures travaillées, ni aucune restriction géographique. Pour ne pas faire de tort aux taxis, ces derniers ont conservé leur prérogative suprême : la prise en charge directe des usagers qui les hèlent dans la rue. Mais le marché des réservations préalables est exempté de toute réglementation.
À New-York, une séparation claire des domaines de compétence entre taxis et véhicules privés : la Taxi and Limousine Commission a distingué deux marchés différents pour assurer une disponibilité optimale auprès des usagers. Un premier marché relevant de la prise en charge directe dans la rue, un second cantonné aux réservations préalables. Ainsi, les taxis new-yorkais ont l'exclusivité des usagers « directs » dans la rue, mais il leur est interdit de prendre des réservations par téléphone. Alors que les véhicules privés ont, eux, le monopole des réservations téléphoniques.
Des visions parisienne, londonienne et new-yorkaise surgissent les résultats suivants :
- À New-York, on compte 45.000 chauffeurs de taxis et 53.000 véhicules privés, reliés à 950 centres téléphoniques. À Londres, on peut trouver 25.000 chauffeurs de taxis, et 45.000 chauffeurs de minicabs qui travaillent dans plus de 2.000 entreprises privées. À Paris, seulement 17.000 taxis… un chiffre qui pourrait être suffisant, si les taxis pouvaient être accompagnés d'un nombre au moins équivalent de VTC.
- Alors qu'à Paris, ce sont surtout les entreprises qui font appel aux taxis, celles-ci ne représentent à New-York que 15% de leur clientèle. La segmentation du marché a permis aux blackcars (les VTC new-yorkaises spécialisées dans les relations avec les entreprises) de s'approprier cette partie de la demande, avec un service plus adapté. Le tout en garantissant des prix satisfaisants, au regard du degré de concurrence sur ce seul fragment de marché – il y a près de 10.000 blackcars aujourd'hui à New-York.
- À Londres, la dérégulation a eu un impact positif sur la mobilité des moins fortunés. Alors qu'en région parisienne les 20% les plus riches utilisent trois fois plus le taxi que les 20% les plus pauvres, la tendance est inverse outre-Manche : les 20% les plus pauvres utilisent 1 fois et demi plus le taxi que les 20% les plus riches. Car en effet, la libération du marché a encouragé la multiplication des sociétés privées de transport, ce qui permet une offre à la fois diversifiée et à des prix ultra compétitifs.
- Parmi ces trois villes, Paris se distingue par la difficulté de trouver un taxi. Un sondage réalisé par l'institut GfK [4] a révélé que 33% des parisiens trouvent qu'il est difficile de trouver un taxi, contre seulement 12% dans les deux autres villes. Les parisiens font en conséquence trois fois moins de déplacements en taxi que leurs homologues londoniens ou new-yorkais.
Conclusion
Il serait bon de s'inspirer des politiques d'ouverture à la concurrence menées par Londres et New-York ces dernières années. Évidemment, les demandes de la FNAT sont à prendre en considération. Par exemple, en dessous de 30 km/h de vitesse moyenne, la course n'est plus rentable pour un taxi, alors que la vitesse moyenne en ville n'est que de 20 km/h environ. Une restructuration des tarifs des taxis est donc nécessaire, afin d'inciter les taxis à parcourir le centre ville plutôt que d'aller chercher leurs clients aux aéroports. Toutefois, contraindre encore plus les VTC pour affranchir les taxis de toute concurrence n'est pas la solution. En libéralisant le marché comme l'on fait les londoniens, ou en le segmentant à la manière des new-yorkais, les usagers ne pourraient qu'en sortir gagnants. Et les artisans taxis aussi : à New-York, malgré les 50.000 VTC présents, la licence des taxis se vend toujours à plus de 500.000 dollars.
[1] Circulaire n° nor/int/d/93/00143/c, qui sera reprise par Pierre Chevènement en 2000 n°nor/int/d/00/00220/c
[2] Loi n° du 22 juillet 2009, JO du 24 juillet 2009 Décrets n°2009-1650 et 2009-1652 du 23 décembre 2009
[3] Voir le site du gouvernement britannique pour les statistiques concernant les taxis à Londres, les statistiques pour New-York, et le site de la préfecture de police pour les taxis parisiens.
[4] GfK (Gesellschaft für Konsumforschun) est une organisation mondiale d'études de marché. Le sondage a été réalisé pour l'IVM (Institut pour la Ville en Mouvement) auprès d'un échantillon représentatif de 2.500 résidents dans cinq grandes villes dont Paris, Londres et New-York