SNCF : la grève de trop
La grève de la SNCF perturbe la vie des Français et des entreprises pendant trois jours, au moment où l'économie est en panne et où le chômage augmente terriblement. Rivalités syndicales, inconscience, sabotage ou projet caché ? Ces grévistes qui handicapent la France vivent vraiment dans un autre monde.
Progression pas assez rapide des salaires et aggravation des conditions de travail, les raisons avancées par les syndicats de cheminots pour justifier une grève à la SNCF étonnent dans le contexte actuel. Les salariés de la SNCF sont pourtant particulièrement bien protégés. D'après le bilan social de cette entreprise, leur salaire moyen en 2011 était de 2.913 euros par mois, contre 2.140 pour la moyenne des salariés français travaillant à plein temps. Et le rapport de la Cour des comptes vient de rappeler que la réforme de leurs retraites de 2008 a été plus que compensée par des avantages accordés aux actifs et donc aux retraités. Le tout financé par les contribuables puisque le PLF 2013 prévoit – malgré la rigueur budgétaire - d'augmenter de 7,4% les subventions aux régimes spéciaux dont la SNCF qui recevra 3,4 milliards de subventions rien qu'à ce titre. C'est ce qu'a reproché la Cour des comptes dans son dernier rapport : "[l'aspect symbolique de ces réformes [NDLR les modifications au régime spécial de la SNCF de 2008] a été privilégié sur leur contribution à l'équilibre des finances publiques".
Pendant ce temps, la direction a annoncé un nombre record d'embauches (plus de 10.000 en 2012) et un surprenant arrêt de la baisse des effectifs dans une entreprise qui doit absolument améliorer sa productivité. Pourtant, réduire le niveau des subventions qu'elle perçoit est essentiel pour permettre à l'État et aux régions de réduire leurs déficits. Et se préparer à l'arrivée de la concurrence dans les trains régionaux, nationaux et TGV est essentiel pour lui éviter la débâcle qu'elle subit dans le Fret ferroviaire.
A titre de comparaison, l'Espagne qui doit se battre pour rétablir sa situation budgétaire envisage de "découper" son opérateur historique, la RENFE, pour le préparer à affronter la concurrence, notamment sur le trafic voyageurs où il affrontera… la SNCF. L'histoire semble donc se répéter, alors que la SNCF a mis des années à tenter de se remettre des précédentes vagues d'embauches imposées par les ministres (Charles Fiterman,1981-1983 [1], Jean-Claude Gayssot, 1997 [2]) et curieusement acceptées par des PDG sans doute plus administratifs qu'entrepreneurs.
Surenchère syndicale
Le départ imminent des leaders des deux principaux syndicats (CGT et CFDT) et la nomination de leurs remplaçants crée une période d'incertitude favorable aux surenchères. Une bonne grève à la SNCF est probablement un moyen efficace de marquer son terrain face au nouveau gouvernement.
Le motif caché
Mais plus que la grève, c'est la prochaine réforme de l'organisation du secteur public du transport ferroviaire qui est visée. C'est la semaine prochaine que le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, doit annoncer l'organisation qui sera finalement retenue entre une séparation ou une intégration des activités d'exploitation de transport et des activités de gestionnaires d'infrastructure. Personne ne la connaît encore, et faire grève contre une réforme inconnue n'aurait été ni motivant ni légal. D'où la mise en avant des salaires. Mais il fallait quand même un avertissement.
La question de fond est celle du réseau. Originellement, la directive européenne 91/440 relative au développement des chemins de fer préconisait la séparation de la gestion de l'infrastructure et de l'activité transport. La transposition en droit français a donné lieu à une usine à gaz : Avec à la clef le transfert de 50.000 cheminots assurant la gestion et l'entretien du réseau de la SNCF à RFF. Une solution logique et préférée par Bruxelles, recommandée par la Fondation iFRAP en 2008 mais à laquelle les syndicats et le management de la SNCF sont farouchement hostiles et se sont toujours opposés. A l'époque de la parution du décret d'application en 1995, le directeur général de la SNCF déclarait même "le décret transposant la directive est pour la SNCF une victoire sur toute la ligne (…) elle est parvenue à "verrouiller" complètement l'accès à son réseau" [3]. Le problème demeure depuis 15 ans : le gouvernement précédent a réussi à ne pas trancher cette question. L'actuel choisira sans doute une solution bâtarde, une holding coiffant la SNCF et RFF. Restera encore une inconnue de taille : qui mettre à la tête de chacun de ces trois organismes. Quel avenir pour Guillaume Pépy ? Les déclarations prudentes du ministre laissent à penser qu'il n'annoncera pas de révolution dans ce secteur.
Conclusion
Alors que les salariés de Doux, de Petroplus, de PSA, d'Alcatel, de Technicolor… se demandent s'ils auront un emploi demain, et quand la France risque de tomber dans le camp des pays du sud et de devoir appliquer des mesures drastiques, les syndicats de la SNCF persistent à handicaper notre économie à l'abri de protections à la charge des autres Français. Qui pense que cela peut durer ?
[1] “”Mon prédécesseur, Charles Fiterman, a beaucoup trop embauché, il existe un problème financier énorme, la SNCF perd des milliards.”" Paul Quilès, ministre des Transports, 1985, extrait du Livre "SNCF, la machine infernale"
[2] « L'État allégera la dette contre des embauches »
[3] La Vie du Rail n°2948