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Fusion des régions : quel impact pour la SNCF ?

Le pacte de stabilité ne concerne pas que l'État : les entreprises publiques françaises qui avaient pu se sentir à l'abri d'un statu quo avec un monopole préservé au niveau français, tout en pratiquant allègrement les lois de la concurrence à l'étranger vont, elles aussi, sentir le vent de la réforme. La SNCF notamment risque de voir le marché intérieur bousculé avec la réforme territoriale en préparation. Et alors que les régions d'aujourd'hui ne sont pas satisfaites de la SNCF, les super–régions de demain n'hésiteront pas à réclamer la mise en concurrence.

L'année 2014 va être une année agitée pour le chemin de fer : la réforme ferroviaire, qui devrait être présentée au Parlement en juin pour une mise en application en janvier 2015, est dans tous les esprits. A priori le texte devrait répondre à l'impasse dans laquelle l'organisation actuelle a conduit le secteur ferroviaire en séparant exploitation et infrastructure en deux établissements : SNCF et RFF mais en laissant à RFF, la possibilité de contracter uniquement avec SNCF pour la gestion et les travaux sur le réseau. Le projet prévoit donc un groupe industriel intégré avec un EPIC de tête nommé SNCF et deux EPIC filiales : SNCF réseau (anciennement RFF) et SNCF mobilités qui exploitera les trains.

La réforme doit permettre de désendetter le système ferroviaire et l'ouverture à la concurrence : néanmoins les objectifs de désendettement sont loin d'être ambitieux et l'ouverture à la concurrence assez peu préparée. En effet, le ministre des Transports compte sur des gains de productivité et d'efficacité du nouveau système et sur le renoncement de l'État à son dividende, pour améliorer la situation financière. Néanmoins, il faudra à ce rythme attendre pas mal d'années pour faire baisser la dette colossale du système ferroviaire de plus de 30 milliards d'euros.

Quant à la concurrence, l'objectif des responsables politiques était d'obtenir que le 4ème paquet ferroviaire en préparation ne précipite pas cette échéance qui est, pour l'instant, remise à 2019 pour le trafic intérieur, ce qui devrait laisser le temps de voir… Sauf que :

1. Le système ferroviaire dans son ensemble absorbe près de 13 milliards d'euros de contributions publiques annuelles

Comme on le voit dans ce tableau, les contributions visent l'exploitation, l'investissement et les retraites. Dans le cadre du plan d'économies de 50 milliards d'euros annoncé par le gouvernement, le système ferroviaire sera touché de deux façons : sur les retraites par le gel des pensions qui devrait concerner aussi les régimes spéciaux SNCF et RATP. Et, surtout, par la baisse des dotations aux collectivités territoriales : les régions dépensent chaque année 25,7 milliards d'euros, sur lesquels le budget transport est le premier des budget avec 5,8 milliards dont 3,7 pour le transport ferroviaire. Comme les régions disposent de faibles marges de manœuvre en matière fiscale et que les dotations représentent la moitié de leurs recettes, il y a fort à parier qu'elles diminueront l'investissement (sauf à augmenter leur endettement mais il est peu probable qu'elles y recourent). L'autre solution serait d'augmenter la contribution des voyageurs à la couverture des dépenses : le voyageur ne paie que 20 à 30% du coût complet de son transport alors que cette contribution se situe entre 40 et 50% en Allemagne ou en Angleterre [1]. Mais les régions tenteront-elles ce pari à la veille des élections ? Là aussi c'est peu probable.

2. Le report modal qui aurait dû soutenir le secteur ferroviaire a sérieusement du plomb dans l'aile

Il n'y a qu'à voir les déclarations de Ségolène Royal sur l'écotaxe qui semble, à terme, enterrée pour comprendre que le gouvernement ne va pas contraindre ce report modal par une fiscalité écologique. L'autre voie c'est donc d'encourager le report par une offre attractive : sauf que le fret est sinistré en France et particulièrement, l'opérateur historique. Il faudrait là aussi des investissements massifs pour le remettre à flot. Quant au report modal pour les voyageurs, il passe surtout par de nouveaux services (tramway, co-voiturage, vélos ou autos en libre accès) qui nécessitent eux aussi des investissements…

3. La réforme territoriale qui est en préparation risque aussi de bouleverser les choses

Les régions qui avaient l'autorité sur les transports régionaux, essentiellement TER avec pour seule possibilité de contracter avec la SNCF, vont récupérer les compétences départementales de transport, à savoir les liaisons interurbaines et le transport scolaire. Parallèlement, il est prévu un renforcement du pouvoir des régions avec leur réduction de 22 à 11 en métropole ce qui en fera des « super-régions ». Aujourd'hui lorsqu'elles sont insatisfaites du service proposé par la SNCF, les régions n'ont pour seule possibilité que de réclamer des pénalités, c'est notamment le cas lorsque la SNCF décide de fermer des lignes et/ou des services et des gares. C'est aussi le cas lorsque les retards sur les TER sont trop importants.

Nul doute que ces nouvelles compétences qui rentrent dans leur giron vont accélérer l'ouverture à la concurrence, les régions pourront mettre en pratique cette mise en concurrence qu'elles appellent de leurs vœux sur le rail mais qui leur est interdite par la loi qui organise les transports intérieurs, alors qu'elle est autorisée pour le transport interurbain. De surcroît ce sont les mêmes opérateurs qui interviennent aujourd'hui pour l'interurbain et qui pourraient demain devenir des opérateurs ferroviaires régionaux. Ils proposeront sans doute des offres complémentaires plus attractives financièrement pour les régions.

Toutes ces raisons vont conduire à de rapides changements et redistribution des cartes entre opérateurs et autorités organisatrices. La SNCF qui avait su préserver son marché intérieur pour se montrer conquérante en remportant des marchés en Europe et dans le monde entier a sa carte à jouer mais il faut pour cela qu'elle se réforme profondément en devenant plus productive : a elle aussi, à son tour, de mettre en œuvre un vrai plan d'économies. Or on le sait une grande partie de ces surcoûts provient du statut des cheminots SNCF par rapport aux salariés des opérateurs privés, un écart de productivité estimé à 30%. Le gouvernement prépare un décret fixant l'organisation et le temps de travail complété par une convention collective qui s'imposera à l'ensemble des salariés du secteur pour 2015. Mais les cheminots SNCF ne veulent pas entendre parler de droits inférieurs à ceux appliqués dans l'actuelle réglementation SNCF. La partie s'annonce donc tendue et si la SNCF cède à la pression syndicale ce seront des concurrents étrangers qui en profiteront.

[1] selon Jean-Claude Favin-Lévêque, consultant expert du secteur ferroviaire cité par Ville Rail & Transport du 28 février 2014