F.G.V. ou Faillite à Grande Vitesse
Marc Fressoz, journaliste économique, suit de près l'économie des transports. Les deux précédents ouvrages auxquels il avait contribué, « SNCF : La machine infernale » et « Scandale d'Eurotunnel », avaient jeté une lumière crue sur la situation du transport ferroviaire dans notre pays. Cette fois-ci, l'auteur va à la racine du problème et révèle la cause du mal : en France, le chemin de fer public est une drogue pour les responsables politiques.
Au moment de la parution de son livre, en octobre 2011, l'auteur ne savait pas encore que, le mois suivant, la SNCF et Alstom allaient perdre le contrat de train rapide (TGV) Médine-La Mecque-Djeddah. Une mauvaise nouvelle de 7 à 10 milliards d'euros, et de véritables euros, puisque l'Arabie Saoudite aurait été un client solvable. « Si la France ne décroche pas ce contrat, ce sera la fin du TGV Français. Il faudra qu'Alstom se réinvente » déclarait un haut responsable de la SNCF avant l'annonce de la victoire espagnole.
Mais Marc Fressoz savait déjà que la situation du train en France était catastrophique. En gros, les besoins des clients sont dans les banlieues des villes (et ils sont criants), mais la SNCF et la quasi totalité des responsables politiques se concentrent sur les records de vitesse. « Les banlieusards, qui chaque jour sont les plus nombreux à monter dans un train, ont été sacrifiés par une technostructure ferroviaire et des élus fanatiques du TGV ». Sur les 5 millions de voyageurs que la SNCF transporte chaque jour, le TGV ne compte que pour 300.000. Comme le reconnaissait enfin en juin 2011, Natahalie Kosciusko-Morizet, la ministre des Transports : « Le désir de TGV est peut-être davantage celui des élus que celui de nos concitoyens ».
FGV, c'est pas seulement le TGV
Mais contrairement au titre du livre « F.G.V. », qui peut fait croire que ce sont les TGV qui constituent le seul problème de la SNCF, la crise est malheureusement plus profond : les quatre branches de la SNCF handicapent la France.
- Trains à Grande Vitesse Le train saoudien était l'un des plus sérieux espoirs pour le TGV français. La preuve : le projet a fini par aboutir, même si ce sont les Espagnols qui ont remporté le contrat. Un coup dur pour Alstom déjà devancé par Siemens pour les nouvelles rames qui circuleront dans le tunnel sous la Manche. L'auteur rappelle cruellement les nombreux autres contrats souvent annoncés comme imminents, jamais concrétisés : New-York-Washington, San Francisco-Los Angeles, Miami-Orlando-Tampa, Dallas-Houston-Austin, Sao Paolo-Rio de Janeiro… D'après l'auteur, le seul succès récent, la ligne Tanger-Rabat-Casablanca, n'a été obtenu par le couple SNCF-Alstom que grâce à des pressions et des financements très politiques (chapitre « Le cadeau royal fait au Maroc »). Tous les espoirs portent désormais sur la ligne Moscou-Saint Petersbourg.
A titre de compensation sans doute, « En France, avec les lois du Grenelle de l'environnement, gouvernement et Parlement ont décidé de créer 80 milliards d'euros de nouvelles dettes ferroviaires. Ainsi peut se traduire la décision de voter la construction de 2.000 kilomètres de lignes à grande vitesse supplémentaires d'ici à 2020 ». Des projets que les dirigeants de la SNCF savent ne pas être rentables « Plus on développe le réseau à grande vitesse, plus sa rentabilité décroît, lance David Azema, le stratège de Guillaume Pepy et l'inspirateur de ce retournement ». Et comme ni RFF ni la SNCF ni l'État n'ont les moyens de financer ces nouvelles lignes, elles sont construites en Partenariat Privé Public. Une méthode efficace qui confie la construction et la gestion de ces voies au secteur privé et non plus à RFF et SNCF, mais qui engage la SNCF, ses concurrents et surtout l'État à payer pendant une cinquantaine d'années des péages que les revenus de ces lignes de TGV ne seront absolument pas en mesure de financer. Une fois de plus, les problèmes sont repoussés à plus tard.
- Fret Pour le Fret SNCF, les données fournies par l'auteur sont incontestables. « Le tonnage a fondu de moitié en une décennie ». Grâce à l'ouverture de ce domaine à la concurrence, la Commission de Bruxelles a pu imposer la transparence des chiffres, interdire les nouvelles subventions et contraindre la SNCF à commencer à réformer cette branche. Mais l'image du Fret ferroviaire est si dégradée en France auprès de ses clients qu'il faudra du temps pour leur redonner confiance. Les nouveaux entrants ont pris 20 à 25% du marché malgré les obstacles dont ils se plaignent : dépendants de la SNCF pour faire circuler leurs trains, ils rencontreraient de nombreux obstacles, par exemple en cas de grève SNCF.
- Trains Express Régionaux Les Régions consacrent 5 milliards d'euros par an à leurs TER gérés par la SNCF. Une source de grande fierté pour leurs responsables politiques, mais aussi de profond mécontentement sur la façon dont ce service est rendu. « Avec la décentralisation du transport ferroviaire régional financé par les régions depuis 2001, l'intérêt d'une partie de la classe politique s'est déplacé du TGV vers les TER. Ces derniers sont devenus les trains des élus régionaux au point d'être transformés en sortes d'hommes-sandwichs, note Christian Descheemaeker, président de la 7ème chambre de la Cour des comptes ». Seule l'ouverture à la concurrence de ce secteur pourrait faire baisser les prix et améliorer les prestations. Mais la réforme des retraites de 2009, puis la proximité de l'élection présidentielle de 2012, ont enlisé cette réforme dans des rapports, des colloques et des assises.
- Trains dits d'équilibre du territoire - TET Les trains nationaux ou inter-régionaux sont également en déficit mais leur gestion et les subventions afférentes ont été attribuées à la SNCF sans faire d'appel d'offres. C'est pourtant en consultant d'autres entreprises qu'on aurait pu « découvrir » quel est la véritable utilité et le juste coût de ces trains.
« Encore un France-Allemagne de perdu »
Ce titre du dernier chapitre du livre de Marc Fressoz est amer. La Deutsche Bahn a réussi sa transformation d'administration en entreprise privée. Et grâce à la concurrence d'entreprises allemandes et étrangères (dont Veolia et la SNCF), le fret ferroviaire s'est développé en Allemagne et les Lander allemands bénéficient d'un service de meilleur qualité et à moindre coût que les Régions françaises.
Résumant une conversation qu'il a eue avec Guillaume Pepy, le PDG de la SNCF, Marc Fressoz écrit « On ne peut pas continuer ainsi, il faut remettre à plat ces 2 mètres cubes de réglementations sur le régime des récupérations, congés, jours fériés des agents conducteurs. Sinon, nous sommes cuits ». Une intention louable, mais pour laquelle l'entreprise publique semble faire très peu de progrès. « Comme le pressent l'opinion, l'entreprise publique ferroviaire est une organisation tricéphale. Trois patrons la dirigent : l'État, son président et les syndicats. En particulier le premier d'entre eux, la CGT ».
Une forme de drogue
Le blocage actuel de l'ouverture à la concurrence en France empêche de découvrir, pour chacun de ses créneaux, si le chemin de fer est une technologie d'avenir ou du passé. Une question difficile puisque la réponse dépend de la configuration, du climat et de l'économie du pays, sans oublier les souhaits de sa population. Faute d'utilser une méthode efficace de découverte et de développement du marché, c'est l'irrationnel qui préside au lancement de nouvelles lignes TGV ruineuses, de TER presque vides ou d'autoroutes ferroviaires pas rentables. Comme l'a indiqué un dirigeant de la SNCF qui suggérait à Marc Fressoz de changer le titre de son livre en L'addiction au TGV, pour les élus "Le Fret, c'est un simple pétard (…), Le TER, c'est un peu comme l'ectasy"(…), Le TGV, c'est une véritable drogue dure".