Le 1er janvier 2023 marque le premier anniversaire de la création de l’Institut national du service public (INSP). Vaste réforme, la transformation de l’ENA en INSP présente quelques points positifs et également de nombreux points négatifs.
Parmi les points positifs, on peut d’abord citer la suppression de la plupart des grands corps et l’obligation pour les élèves voulant intégrer les grands corps subsistants d’occuper préalablement un emploi fonctionnel pendant plusieurs années.
Autre point majeur : la suppression du classement de sortie prévue pour 2024. Avec le nouveau système, les élèves élaborent un dossier et doivent passer des entretiens, ce qui laisse les administrations libres de choisir qui elles engagent.
Mais de nombreux points négatifs sont à mentionner. D’abord, et c’est le plus évident, l’école n’est pas supprimée. Elle a seulement été réformée et a changé de nom. Par ailleurs, elle coûte désormais plus cher à l’État : il y a eu une augmentation des subventions versées à l’école en 2022 de 6,66 millions €, passant de 31,72 millions € en 2021 à 38,38 millions €.
Autre point faible : la titularisation des élèves de l’ENA a été conservée. De ce fait, la réforme ne supprime pas le statut public à vie des hauts fonctionnaires.
Toujours en lien avec le statut à vie des hauts fonctionnaires, la réforme ne règle pas le problème du pantouflage. Les hauts fonctionnaires pourront continuer à effectuer des allers-retours entre le privé et le public sans jamais vraiment risquer de ne pas retrouver de travail.
Enfin, aucune mesure n’a été introduite pour permettre à plus de doctorants d’intégrer l’école, ou aux élèves de l’INSP de faire un doctorat en parallèle de leur formation. Cela favoriserait les parcours des hauts fonctionnaires français dans les organismes internationaux, dans lesquels les diplômes de niveau doctoral sont la référence.
La Fondation IFRAP formule plusieurs propositions :
- Interdire pour les anciens de l’ENA et de l’INSP la possibilité de faire des allers-retours public/privé et public/politique (pantouflage) tout en conservant leur statut public. Obligation de démission du statut pour tout haut fonctionnaire embauché dans le privé ou élu en politique.
- Passer pour les prochaines promotions de l’INSP à une haute fonction publique d’emploi, avec des hauts fonctionnaires nommés pour une durée déterminée dans un poste. C'est ce modèle de fonction publique d'emploi que l'on retrouve dans de nombreux pays européens. Cela permettrait également de développer une culture de l'évaluation sur résultats pour l'administration.
- L'INSP doit également faire preuve de plus de transparence en publiant ses comptes et en diffusant ses cours et enseignements.
- Enfin, l’institut doit poursuivre sa recherche d'économies : supprimer le deuxième siège de Paris, réviser la rémunération des élèves en l’alignant sur le tarif de ceux de Polytechnique, diminuer le nombre de postes permanents et effectuer une substitution contractuels/titulaires au sein du personnel.
L’INSP en chiffres
I. Les fragilités qui ont conduit à la réforme
Retour sur les fragilités de l’ENA en 2017
En 2017, l’ENA faisait face à de graves difficultés financières : sous la direction de Nathalie Loiseau, elle était déficitaire de 2,84 millions €. Pire, cela faisait quatre ans que le budget de l’école était dans le rouge. Entre 2013 et 2017, l’ENA présentait un déficit annuel compris entre 3,57 et 1,14 millions €.
Dans un dossier de novembre 2018, la Fondation IFRAP tirait ainsi la sonnette d’alarme sur la base des comptes de 2017 en énonçant les facteurs à l’origine de cette situation :
- Le problème de la masse salariale : on comptait 195 personnels de l’école (pour 235 élèves en cours de scolarité) dont la rémunération atteignait près de 14 millions € en 2017 ;
- La rémunération des élèves : rien que pour les élèves du tronc commun, la facture se montait à 9 millions €. À cela, il fallait ajouter 5,6 millions € pour payer les stagiaires et les boursiers.
Un rapport du Sénat datant lui aussi de 2018 soulignait la réduction progressive des subventions pour charges de service public versées par l’État. Alors qu’elles représentaient la grande majorité des recettes de l’école, ces subventions étaient passées de 35,9 millions € en 2010 à 33,2 millions € en 2013, et atteignaient, en 2019, 30,17 millions €. Mais dans le même temps, l’État confiait de nouvelles missions à l’ENA, engendrant des coûts supplémentaires.
On pourrait citer l’organisation du cycle des hautes études européennes, avec un coût annuel de 665 000 €, ou bien l’augmentation des effectifs de promotion de 80 à 90 élèves, représentant pour l’école un coût de 1,4 million € par an.
Or, face à ce double phénomène de baisse de subventions et d’augmentation des missions qui lui étaient confiées, l’école n’avait pas réagi, quand bien même plusieurs leviers efficaces autres que les subventions pouvaient être activés.
Les propositions de l’IFRAP pour endiguer et résorber le déficit de l’école étaient les suivantes :
- Ne plus rémunérer les stagiaires ou élèves de l’ENA à la hauteur des traitements versés mais au tarif de Polytechnique.
- Profiter du schéma d’emploi favorable pour procéder à une substitution contractuels/titulaires à la faveur d’une flexibilisation du recours aux contractuels.
- Développer le poste recherches et publication.
Les réformes à partir de 2018
Nommé à la direction de l’ENA un an plus tôt, Patrick Gérard proposait au conseil d’administration du 28 novembre 2018 un plan de transformation de l’école.
En premier lieu, et il s’agissait bien là du plus urgent, Patrick Gérard a œuvré à la mise en place de réformes budgétaires drastiques pour sortir l’ENA de ses déficits. Ainsi, l’ENA a augmenté les tarifs de ses formations continue et internationale, comprimé ses dépenses de fonctionnement et conduit une action volontariste de recouvrement des recettes de pays étrangers dont les cadres ont été formés par l’école. Fut également promulgué un décret (2019-806 du 30 juillet 2019) adaptant la composition du conseil d’administration de l’ENA et réformant la direction de l’école mais aussi la durée de la scolarité des élèves.
Ces réformes et efforts budgétaires ont porté leurs fruits. En 2018, les comptes de l’ENA passaient à l’équilibre et, en 2019 et 2020, les comptes étaient excédentaires de respectivement 2,1 millions et 2,6 millions €.
Au-delà de réformes strictement budgétaires, ce sont également des réformes de la scolarité qui furent introduites au cours de la période 2018-2020. Tout d’abord, des enseignements nouveaux furent mis en place, sur le sens de l’État, la sécurité nationale, les grands enjeux sociétaux (climat, santé publique...). À partir de 2020, une « attention aux populations beaucoup plus forte » a été donnée, avec l’objectif de mettre au cœur du programme « l'étude des conséquences sociales, écologiques, territoriales ou démographiques ». Ensuite, un autre chantier de réforme fut d’introduire plus de diversité sociale dans le recrutement de la fonction publique. C’est ainsi qu’une deuxième classe préparatoire « Égalité des chances » fut ouverte à Strasbourg en 2019 en collaboration avec Sciences Po Strasbourg. Enfin, concernant des mesures plus techniques, on peut citer un arrêté du 21 juin 2019 réduisant le nombre d’emplois ouverts aux élèves de l’ENA achevant leur scolarité en décembre 2019.
En conclusion, l’ENA était déjà en train de se réformer. Au niveau des comptes, les réformes allaient manifestement dans le bon sens, puisque l’ENA renouait avec des finances excédentaires, et ce sans coûter plus cher à l’État. S’agissant de la scolarité, force est de constater que les réformes avaient été assez timides.
Pour répondre à la crise des Gilets jaunes fin 2018, Emmanuel Macron avait décidé de mettre en place un « Grand débat ». C’est à cette occasion que le président avait annoncé, en avril 2019, sa volonté de supprimer l’ENA.
II. La transformation en INSP
Le processus de transformation de l’ENA en INSP trouve ses origines dans la loi d'habilitation de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, vaste réforme s’inscrivant dans le programme « Action publique 2022 » et visant à accélérer la transformation du service public. L’article 59 de la loi avait habilité le Gouvernement à réformer l’ENA par ordonnance. Dans cette optique, un rapport fut commandé sur l’ENA : le fameux rapport Thiriez, publié le 30 janvier 2020. Ce dernier, sans être réellement révolutionnaire, avait tout de même mis en avant un diagnostic assez critique sur l’ENA.
Constats et observations du rapport Thiriez
Le rapport soulignait tout d’abord un manque de diversité :
- Surreprésentation des classes « supérieures » dans les grandes écoles du service public : 76 % des étudiants de l’ENA sont des enfants de CSP+.
- Représentation des genres profondément déséquilibrée et contrastée selon les filières.
- Quasi-monopole parisien pour la préparation des concours : les étudiants de Sciences Po Paris représentent 76 % des admis au concours externe de l’ENA.
Frédéric Thiriez insistait aussi sur la baisse d’attractivité :
- Tous concours confondus (ENA, ENM, INET, EHESP), le nombre de candidats avait baissé d’un millier entre 2010 et 2018 pour s’établir à 5 900, alors même que le nombre de postes offerts augmentait de 50 %.
- Pour l’ENA, le nombre global d’inscrits s’est maintenu sur la période autour de 1 500, avec une légère progression des candidats externes, mais une baisse sensible des candidats aux 2nd et 3e concours. Le rapport ne répondait cependant pas à la question essentielle : à savoir l'évolution, au cours de la même période, du nombre annuel de candidats agrégés, anciens élèves des écoles normales supérieures, des principales écoles d'ingénieurs et de commerce (dites « les parisiennes ») ?
Enfin, le rapport dénonçait aussi une multiplication des grandes écoles du service public depuis la création de l’ENA qui nuit à l’émergence d’une culture commune chez les grands serviteurs de l’État et favorise un corporatisme, voire un mépris des uns pour les autres.
Le Gouvernement avait alors annoncé dans un communiqué de presse de mars 2020 reprendre cinq grands axes du rapport Thiriez :
- Diversification sociale et géographique des recrutements.
- Décloisonnement des formations des hauts fonctionnaires, notamment à travers le développement d’un tronc commun de formation.
- Renforcement du caractère opérationnel et de la « dimension terrain » de la formation.
- Fin de la titularisation et de l’avancement automatiques dans les grands corps.
- Création d’un Institut des hautes études du service public.
Avec la crise du Covid, la réforme de l’ENA fut totalement délaissée par les pouvoirs publics, au profit d’enjeux sanitaires et économiques plus urgents. Mais à l’occasion de la convention managériale de l’État du 8 avril 2021, la réforme reparut sur le devant de la scène, le président de la République confirmant en quelques mots la suppression de l’ENA dans son discours : « Nous devons aujourd’hui changer radicalement la manière dont on recrute, dont on forme, dont on sélectionne, dont on construit le parcours de nos hauts fonctionnaires. »
2021 : la mise en œuvre de la réforme
Le Gouvernement a d’abord publié une ordonnance en mars 2021 favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public. Avec cette ordonnance, il partit du constat que la composition sociologique de la haute fonction publique était restée trop homogène et que cela était regrettable. Dans le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance, il était en effet indiqué que les enfants d’ouvriers – qui représentent, selon l’Insee, 19,6 % de la population active française en 2019 – ne représentaient que 5 % des effectifs dans les écoles de la haute fonction publique des promotions 2020-2021. Pour remédier à cela, on instaura donc de nouveaux concours, appelés « concours Talents », pour intégrer les cinq écoles de service public les plus prestigieuses. Le dispositif s’inspirait largement des propositions 18 et 19 du rapport Thiriez. Celui-ci suggérait de créer « vingt nouvelles classes préparatoires "Égalité des chances" en région » et « un concours spécial : la voie d’accès "Égalité des chances" ».
Si l’ordonnance est inédite en ce qu’elle crée pour la première fois un type de concours réservé à des candidats dont les ressources ne dépassent pas un certain plafond, elle n’en reste pas moins limitée car les concours Talents concernent un nombre de places toujours réduit.
Créer une culture commune à la haute fonction publique : la fin des grands corps ?
La deuxième ordonnance publiée par le Gouvernement fut l’ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État. Cette ordonnance profite du large cadre de l’habilitation de la loi du 6 août 2019, puisqu’elle englobe à la fois les questions du recrutement et de la formation mais aussi celles du déroulement des carrières. Parmi d’autres sujets traités dans l’ordonnance, figure donc la création de l’INSP, censée remplacer l’ENA dès le 1er janvier 2022 (art. 5). Il était prévu que les « biens, droits et obligations » de cette dernière lui soient transférés à titre gratuit dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État. Les attributions de l’INSP sont ainsi aujourd’hui très largement comparables à celles de l’ENA : il assure la formation initiale des fonctionnaires notamment destinés à intégrer le corps des administrateurs de l'État et contribue à la formation continue des agents de l'encadrement supérieur de l'État ; il coordonne « l’élaboration des programmes de formation initiale et continue » des agents relevant de l'encadrement supérieur de l'État ; il peut « conduire des travaux de recherche en lien avec l'action publique ».
Amélie de Montchalin, ministre chargée de la Transformation et de la Fonction publiques, avait par ailleurs indiqué que l’INSP proposerait « un tronc commun aux écoles d’encadrement supérieur afin de donner une culture commune, mais aussi une culture du travail en commun, à chacun ». Tronc commun dont les premiers modules seraient articulés autour de cinq thématiques : transition écologique, transition numérique, rapport à la science, inégalités et pauvreté, valeurs de la République et principes du service public. Le rapport Thiriez avait justement recommandé la création de ce tronc commun de formation initiale de six mois, partagé par les élèves reçus aux concours externes de plusieurs écoles de service public10.
Enfin, la grande nouveauté de l’ordonnance a été la suppression de la plupart des grands corps (inspecteurs généraux, préfets), qu’intégraient directement les énarques à la sortie de l’école en fonction de leur classement de sortie (voir encadré page 12). Par ailleurs, les élèves ne peuvent désormais plus intégrer les grands corps restants, comme le Conseil d’État, dès leur sortie de l’INSP. Ils doivent avoir occupé préalablement un emploi fonctionnel pendant plusieurs années.
En décembre 2021, fut publié un rapport dirigé par Jean Bassères, censé donner les grands axes de réforme pour l’INSP. Ressortirent du rapport les points suivants :
- Diversification du recrutement afin de permettre une meilleure hétérogénéité des profils.
- Développement d’une culture commune entre les écoles et proposition de parcours professionnalisants.
- Garantie d’une formation continue tout au cours de la carrière des cadres supérieurs de l’État.
Les recommandations du rapport Bassères
Parmi les mesures concrètes proposées par le rapport, on peut citer la création, pour le concours externe, d’une « épreuve-option » afin de valoriser les compétences des candidats dans différents domaines (droit, sciences humaines et sociales, langue vivante, compétences scientifiques) et la fin, pour tous les concours, de la composition et de l’épreuve de culture générale.
Contrairement à l’ancien directeur Patrick Gérard, le rapport Bassères plaidait également pour la disparition du classement de sortie, et préconisait que l’affectation des élèves repose cumulativement sur la prise en compte de leur parcours avant et durant la scolarité, les choix concertés entre les élèves d’une même promotion et « la rencontre avec un employeur dans le cadre d’entretiens de recrutement classiques ».
Enfin, un décret du 1er décembre 2021 fut la dernière pierre à l’édifice dans la création de l’INSP. Ce décret, à défaut de reprendre toutes les mesures du rapport Bassères, en reprend beaucoup des termes, notamment la « diversification des recrutements » (article 2) ou le développement d’une « offre de formation continue » (article 4). Mais le décret introduit surtout des mesures d’ordre technique portant sur le fonctionnement interne de l’INSP (direction, conseil d’administration, conseil scientifique, financement…).
La suppression annoncée du classement de sortie en 2024
Si le classement de sortie n’avait toujours pas disparu en janvier 2022, c’est un sujet qui divisait et revenait souvent sur la table. Encore récemment, la députée socialiste Cécile Untermaier plaidait pour la suppression du classement. En réalité, le Gouvernement avait lui-même exprimé son souhait de supprimer le classement de sortie, comme l’expliquait Amélie de Montchalin dans un entretien donnée au journal Le Monde en novembre 2021. Le Gouvernement annonça début novembre 2022 qu’il préparait un projet de décret actant la suppression du classement de sortie de l’INSP en 2024.
Dans le cadre de la nouvelle procédure, les élèves choisiraient par ordre de préférence un nombre de vœux par poste, et élaboreraient un dossier anonyme visant à présenter leurs compétences. Puis les administrations et institutions sélectionneraient des dossiers en vue de faire passer des entretiens, chaque élève devant bénéficier au total d’au moins trois entretiens. On peut saluer cette suppression du classement de sortie, tant décrié, et qui paraissait obsolète depuis longtemps.
La réforme de 2024 a d’autres implications, telles que la suppression des deux épreuves académiques orales (questions relatives à l’Union européenne et questions internationales), qui seront désormais examinées à l’écrit. La directrice de l’INSP Maryvonne Le Brignonen explique par ailleurs que la suppression du classement de sortie « rétroagit aussi sur l’approche pédagogique ». La nouvelle scolarité serait allongée de deux mois et demi et dès leur entrée à l’Institut, les élèves suivront une session de quatre mois pour étudier leurs fondamentaux et acquérir les compétences nécessaires pour leurs stages. Ils partiront ensuite en stage pendant une année, avant de revenir à l’INSP pour une durée de six mois, afin de suivre une scolarité marquée par plusieurs « colorations de parcours » que les élèves pourront choisir et combiner.
Enfin, s’ensuivra la procédure dite « d’appariement », d’un mois et demi environ, qui remplacera le classement de sortie et au cours de laquelle les élèves élaboreront leurs dossiers et passeront des entretiens afin d’obtenir leur poste dans la haute administration.
Pour conclure, une comparaison des différents systèmes se succédant est nécessaire pour comprendre la suppression du classement prévue pour 2024.
Le système d’affectation traditionnel de l’ENA (1945-2022) :
- À l’issue de deux années de scolarité, les élèves sont classés en fonction de leurs résultats aux examens et de leurs évaluations en stage.
- L’école est informée des différents postes à pourvoir au sein des administrations publiques.
- Une liste des postes est établie, avec un nombre de postes légèrement supérieur au nombre d’élèves.
- La promo se réunit lors d’un amphithéâtre dit de garnison.
- Le major choisit son poste en premier et peut choisir parmi toutes les propositions d’affectations. Vient ensuite le tour du deuxième, et ainsi de suite jusqu’au dernier.
- Sauf exceptions, traditionnellement, les quinze mieux classés (appelés « la botte ») choisissent le Conseil d’État, la Cour des comptes et l’Inspection générale des finances, qui proposent chacun cinq postes par an.
- Les administrations ne sont donc pas décisionnaires sur leurs recrutements, le classement prime.
Le système intermédiaire de l’INSP (2022-2024) :
- Conservation du classement de sortie.
- Les élèves en formation initiale se voient attribuer sept notes d’épreuves pour classement (cinq modules du tronc commun et deux de e-learning) auxquelles s’ajoutent trois notes pour la période de stage et l’évaluation par contrôle continu des pratiques sportives.
- Fin du système de la « botte » : les élèves n’entrent plus directement dans les grands corps avec des postes à haute responsabilité dès la sortie de l’école.
- S’agissant de la promotion 2022, pour 100 postes à pourvoir :
- 75 élèves intégraient la nouvelle catégorie des « Corps des administrateurs de l’État ».
- 25 intégraient les « Autres corps », avec la possibilité de devenir auditeur au Conseil d’État, à la Cour des comptes, inspecteur des finances, et autres.
La suppression du concours à partir de 2024 :
- Contrairement au système originel, les administrations choisissent désormais qui elles décident d’engager.
- À l’issue des deux ans de formation, chaque élève candidate à un minimum de quinze postes ouverts dans les administrations.
- Les administrations sont ensuite tenues de retenir au moins huit candidats pour des entretiens d’embauche pour chaque poste proposé.
- Si plusieurs employeurs choisissent les mêmes élèves, on applique le choix des élèves.
- Il reste toujours des candidats et des postes non pourvus à la fin du processus. Les élèves restants sont alors auditionnés par tous les ministères ayant encore des postes à pourvoir.
La titularisation toujours conservée
Malgré la suppression du classement de sortie, on peut surtout regretter que la réforme n’ait pas mis fin à la titularisation des élèves de l’ENA.
En effet, si la sortie des élèves ne se fait plus directement dans les grands corps tels que le Conseil d’État ou dans les inspections générales (qui ne constituent plus des corps, mais des emplois fonctionnels accessibles aux administrateurs de l'État, ce qui est une bonne évolution), les agents restent titularisés dans le corps des administrateurs de l’État.
La réforme ne supprime donc pas le statut public à vie des hauts fonctionnaires, qui leur permet notamment de faire des allers-retours entre public et privé, en étant toujours assurés d’avoir un travail.
En plus du problème du pantouflage, la titularisation à la française offre également à nos hauts fonctionnaires la possibilité de faire de la politique tout en restant titulaire de la fonction publique. La contractualisation des élèves de l’INSP est donc la grande absente de cette réforme, ce qui est bien regrettable, une vraie réforme de fond aurait dû s’y atteler.
Les conséquences budgétaires de la réforme
L’année 2022 (année de création de l’INSP) est marquée par une augmentation sans précédent des subventions pour charge de service public qui sont versées à l’école. On passe de 31,72 millions € en 2021 à 38,38 millions prévus dans la loi de finances initiale de 2022, soit une augmentation de 21 %. Cette augmentation des subventions accompagne une augmentation du budget de l’école : + 5,75 millions € pour 2022.
| 2021 | 2022 |
---|---|---|
Subvention pour charge de service public | 31,72 M€ | 38,38 M€ |
Budget de l’école | 38,27 M€ | 44,02 M€ |
Agents - Équivalents temps plein travaillé (ETPT) Sous plafond Hors plafond |
405 15 |
454 12,12 |
Comment expliquer de telles augmentations ? On peut citer le décret qui revalorise les indemnités des élèves de l’ENA issus du concours interne. Ce décret a forcément représenté un coût important pour l’école. Il pourrait expliquer en partie pourquoi la LFI 2021 prévoyait un déficit de 985 000 € dans le budget de l’école. Autre facteur permettant d’expliquer l’augmentation du budget : la création des fameuses « Prépas talents ». Enfin, on peut supposer que le fait que l’INSP doive désormais conduire et financer des activités de recherche dans les domaines de l’action publique, décret du 1er décembre 2021, représente un coût supplémentaire à absorber.
Il est aussi intéressant de noter que pour l’année 2022, l’INSP se voit dotée de 454 ETPT sous plafond et 12,12 ETPT hors plafond pour 2022 contre 405 sous plafond et 15 hors plafond en 2021. Enfin, la LFI 2022 prévoit un excédent de 184 452 € bien moins important que celui des années 2019 ou 2020, mais un excédent tout de même, ce qui peut être un motif de satisfaction.
Mais pour une réforme déclenchée par la volonté du président de supprimer l’ENA, les conséquences budgétaires sont surprenantes. Loin d’avoir été supprimée, l’école coûte en réalité plus cher qu’auparavant, percevant des subventions pour charge de service public historiquement élevées pour supporter le coût d’un personnel plus nombreux et d’une revalorisation de l’indemnité perçue par les élèves.
Les grands corps ne sont pas mortsMalgré cette « fonctionnalisation » des emplois au sein des corps d’inspection (qui a donné lieu à des protestations, notamment de la part de Jean-Pierre Jouyet, ancien chef du service de l’inspection des finances, dénonçant sans ironie le danger que cela ferait courir à l’économie française), les grands corps ont su préserver leur spécificité, laquelle alimente leur puissance, au travers de leur réseau et de leur capacité à favoriser les carrières de ceux qui y ont travaillé, et ce par deux habiles subterfuges : Tout d’abord, deux des trois grands corps de la « botte », le Conseil d’État et la Cour des comptes, ont préservé leur autonomie en tant que corps, en arguant que la mention de leur existence dans la Constitution impliquait la préservation d’un statut garantissant leur indépendance. Même s’ils ne pourront plus recruter leurs « juniors » directement à la sortie de l’INSP, ils pourront faire leur marché rapidement en proposant aux hauts fonctionnaires à potentiel de les rejoindre, d’abord en y étant affectés, avant d’intégrer leur corps, avec des garanties de progression supérieures à celles du corps des administrateurs de l’État. Ensuite, l’inspection des finances, dont les emplois seront désormais occupés par des administrateurs de l’État issus de l’INSP après plusieurs années de postes opérationnels, ne semble pas se satisfaire de ce dispositif qui ferait d’elle une administration « comme les autres ». Elle a donc obtenu le droit de recruter directement des juniors issus des meilleures formations (ENS, écoles d’ingénieurs et de commerce), indépendamment du parcours des anciens de l’INSP. À en croire par la vivacité de ses nouvelles campagnes de recrutement, il semble bien que, si l’inspection des finances a longtemps été le « produit d’appel » du concours de l’ENA, elle va progressivement se détacher, voire se désintéresser de l’INSP, car elle conservera son recrutement de jeunes inspecteurs et son mode de promotion de ses collaborateurs, en recourant de moins en moins aux anciens de l’INSP. |
La question du doctorat
Aucune mesure importante relative à l’ouverture de la haute fonction publique aux doctorants n’a été introduite à l’occasion de la réforme de l’ENA en INSP. Bien qu’elle ait été abordée à la fois dans les rapports Thiriez et Bassères, la question des doctorants n’a été traitée pour la dernière fois qu’en 2018, faisant l’objet d’une réforme bien timide.
Le décret de 2018 (n°2018-793 du 14 septembre 2018) avait eu l’ambition de permettre aux titulaires d’un doctorat d’intégrer l’ENA en créant un concours spécial pour eux. L’article 1er du décret dispose ainsi : « À titre expérimental et pendant une durée de cinq ans à compter du 1er mars 2019, peut être organisé chaque année un concours externe spécial d’entrée à l’École nationale d’administration, ouvert aux candidats justifiants, à la date de clôture des inscriptions, du diplôme de doctorat défini à l’article L. 612-7 du Code de l’éducation. »
Le ministre de la Transformation publique se félicitait en 2019 du « succès » de ce dispositif en indiquant que, pour les trois premières sessions du concours externe spécial docteurs, entre 134 et 138 candidats étaient présents à l'épreuve écrite, le nombre de places offert restant très limité : 4 sur 90 places offertes pour 2022.
Les rapports Thiriez et Bassères s’étaient ainsi penchés sur la question. Concernant le nombre de doctorants pouvant intégrer l’ENA, le rapport Thiriez proposait de généraliser les concours ou voies d’accès réservés aux titulaires d’un doctorat, tels qu’ils existent actuellement à l’ENA ou dans les corps techniques et ce, quelle que soit la discipline, dans la mesure des besoins des administrations. En effet, les spécialités de doctorat pour lesquelles est ouvert le concours externe spécial ne sont qu’au nombre de 3 et alternent chaque année : « Sciences humaines et sociales » en 2020, « Sciences de la vie » en 2021, « Sciences de la matière et de l’ingénieur » en 2022.
Le rapport Thiriez précisait que la voie de recrutement réservée aux docteurs devait demeurer limitée à quelques postes par an. Le rapport Bassères proposait quant à lui d’augmenter le nombre de places du concours « Docteurs » à 6 places par an. La commission Bassères souhaitait elle aussi que les trois champs disciplinaires (sciences de la matière et de l’ingénieur, sciences humaines et sociales, et sciences de la vie) retenus alternativement une fois tous les trois ans, soient ouverts au concours chaque année mais avec deux places réservées pour chacun d’entre eux, soit 6 places au lieu de 4.
Enfin, elle recommandait de créer un concours interne « Docteurs », sur le modèle existant depuis 2019 pour le concours externe, soit un concours ouvert aux titulaires d’un doctorat et comptant un nombre d’épreuves moins important mais plus adaptées à l’expérience acquise pendant leur parcours de recherche.
Les deux rapports Thiriez et Bassères avaient également abordé la question du doctorat une fois l’INSP intégrée, en envisageant la possibilité d’offrir un parcours doctoral aux élèves de l’école, qu’il soit en sciences sociales, économie, gestion ou sciences politiques, ou dans des disciplines scientifiques, au cœur des problématiques des politiques publiques. Les écoles doctorales seraient celles des universités partenaires de l’ENA. La commission Bassères proposait elle aussi que l’INSP développe un programme proposant des parcours doctoraux et de se calquer sur le modèle pratiqué au niveau des masters et ses partenariats avec l’Université Paris Dauphine-PSL, l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ou l’Université de Strasbourg.
Pour l’instant, aucune des propositions des rapports Thiriez ou Bassères n’a été introduite, et l’on en reste au dispositif expérimental. Cela est regrettable, car les avantages découlant de l’introduction de plus de doctorants sont nombreux : méthode scientifique, connaissances théoriques et pratiques plus avancées sur certains sujets, ouverture d’esprit… Par ailleurs, le rapport Bassères remarque justement que les organisations intergouvernementales majeures telles que l’ONU, le FMI, la Banque mondiale ou les institutions européennes nécessitent l’obtention d’un diplôme de niveau doctorat.
Selon une enquête de l’Insee, les doctorants représentent par ailleurs 9,2 % des cadres dans le secteur des organismes extraterritoriaux (ambassades, consulats, et organisations internationales)19.
Or, l’INSP compte toujours trop peu de doctorants dans ses rangs et la France ne dispose donc pas d’assez de candidats issus de la haute fonction publique pour occuper des postes dans les instances internationales.
Les propositions de l’IFRAP
Permettre à plus de doctorants d’intégrer l’INSP à travers une procédure spéciale de fast track. Les places disponibles seraient offertes en fonction des postes dont l’administration a besoin.
Offrir la possibilité aux élèves de l’INSP de faire un doctorat en même temps qu’ils suivent les cours de l’école, avec un programme aménagé.
Les réformes évoquées permettraient à la haute fonction publique d’avoir un pied dans le monde académique et mettraient fin à cette coupure contre-productive qui existe en France entre monde universitaire et monde administratif. Surtout, cela permettrait de répondre à l’important besoin de doctorants issus de la haute fonction publique au sein des instances internationales.
Point sur le pantouflageOn parle de pantouflage lorsqu’un haut fonctionnaire quitte une fonction publique pour rejoindre une entreprise privée. Ce phénomène a pris une ampleur de plus en plus grande à partir des années 1980 et aujourd’hui, les chiffres des hauts fonctionnaires passant dans le privé sont élevés. Selon l’étude de 2015 de l’ENA et de l’EHESS sur le devenir des anciens élèves, 75,5 % des énarques issus du corps des inspecteurs généraux des finances ont rejoint une entreprise publique ou privée au cours de leur carrière et 34 % d’entre eux ont passé plus de la moitié de leur carrière hors de l‘administration. De plus, une étude de 2016 des médias Alternatives économiques et Bastamag a recensé les inspecteurs des finances des quarante dernières années et souligné qu’un inspecteur des finances sur deux travaille dans le privé. Enfin, près de la moitié des dirigeants de nationalité française du CAC 40 serait issue de la haute fonction publique. Encore une fois, le problème ici n'est pas que des hauts fonctionnaires puissent avoir une reconversion privée. Mais, bien qu'ils travaillent dans le privé, ils jouissent d’un statut à vie et peuvent donc effectuer des allers-retours entre privé et public sans jamais vraiment risquer de ne pas retrouver du travail. On doit noter cependant que la réforme des règles de la disponibilité en 2019 a réduit la durée maximale au terme de laquelle un fonctionnaire peut revenir dans son administration d’origine (ce qui revient à raccourcir le délai à partir duquel il est contraint de démissionner de la fonction publique pour pouvoir poursuivre ses fonctions dans le privé). Par ailleurs, le risque du pantouflage est le conflit d’intérêts. Pour surveiller et éventuellement prévenir les conflits d’intérêts, la Haute Autorité de la transparence de la vie publique (HATVP) a été créée en 2013, remplaçant la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Depuis le 1er janvier 2020, la HATVP a absorbé les activités de la Commission de déontologie de la fonction publique, qui examine les reconversions dans le privé des hauts fonctionnaires. La HATVP peut ainsi s’autosaisir en cas de pantouflage, voire de « rétro-pantouflage » (passage du privé au public) depuis la loi du 6 août 2019. Récemment, la haute autorité avait par exemple refusé d’autoriser la reconversion chez l’armateur CMA-CGM de l’ancien ministre Jean-Baptiste Djebbari. La HATVP mène un contrôle de plus en plus restrictif, au point qu'il peut être considéré comme un obstacle à la reconversion de hauts fonctionnaires, laquelle est pourtant vertueuse quand elle permet de gérer la pyramide des âges dans des ministères (comme Bercy) qui ont moins de postes supérieurs d'encadrement, au point de devoir organiser des « emplois de débouchés », qui relèvent davantage de la pré-retraite que des services opérationnels, comme le contrôle général économique et financier. Enfin, la Commission de déontologie puis la HATVP ont toujours eu un contrôle bien plus restreint pour les départs vers le public. Alors même que des fonctionnaires travaillant dans des entreprises publiques ou dans des collectivités locales (et bénéficiant alors du régime bien plus favorable du détachement) peuvent mener des actions au détriment des intérêts de l'État. Curieusement, en France, on semble vouloir croire, bien à tort, qu'il n'y a pas de conflit d'intérêts entre public et public. La proposition de la Fondation IFRAP Cette question du pantouflage impose de faire évoluer le modèle de la haute fonction publique vers un modèle de contractuel d'encadrement. Il sera possible ainsi pour ces contractuels, à l'issue de leur mandat à durée limitée, d’évoluer vers des carrières dans le privé ou de faire de la politique. À l'inverse, le maintien du statut impose que le fonctionnaire donne sa démission avant d'engager une carrière politique ou qu'il s'oriente dans le privé. |
III. Les enseignements d’une comparaison européenne des modes de recrutement et d’encadrement de la haute fonction publique
Le Gouvernement aurait pu s’inspirer des systèmes de nos voisins européens dont la plupart forment, recrutent et encadrent leurs hauts fonctionnaires d’une façon parfois bien différente.
Italie : des contrats de 3 à 5 ans
La Scuola nazionale dell’Amministrazione (SNA), fondée en 1957, est calquée sur le modèle français de l’ENA. Comme elle, la SNA sélectionne ses élèves sur concours, avec un très haut niveau de sélectivité : en 2012, sur 10 000 inscrits initiaux, seuls 26 ont été sélectionnés et formés. En septembre 2018, le dernier appel à candidature pour le concours ouvrait plus de 140 places20.
Mais l’Italie se distingue de la France en ce qu’elle a instauré une contractualisation des agents publics en 1993. Ainsi, 85 % des agents publics sont des contractuels. Les hauts fonctionnaires ne bénéficient pas d’un statut à vie comme en France. À la place, ils signent des contrats de droit public, pour une durée de trois à cinq ans. Ces contrats fixent les objectifs à atteindre sur la période, ainsi que les conditions de rémunération. Leur rémunération comporte par ailleurs une part liée à l’atteinte des objectifs.
Espagne : une évaluation aux résultats
L’Instituto Nacional de Administración Pública (INAP), rattaché au ministère de la Politique territoriale et de la Fonction publique, est né en 1987 de la fusion de deux écoles : l’Instituto de Estudios de Administración Local (1940), et le Centro de Formación y Perfeccionamiento de Funcionarios (1958). Cependant, contrairement aux écoles italienne et française, il n’y a pas de concours d'entrée spécifique à l’INAP. Par ailleurs, à la différence de l’ENA, l’INAP ne forme pas uniquement les acteurs de la haute fonction publique, mais une assiette plus large de fonctionnaires de l’État fédéral.
Si plus de la moitié des effectifs de la fonction publique en Espagne sont des contractuels, les hauts fonctionnaires sont quant à eux des fonctionnaires de carrière, comme en France. Ils sont soumis à un statut particulier (Directivo) depuis 2007. Ce dernier accroît leur responsabilisation et met en place un système d’évaluation de leurs résultats.
Royaume-Uni : pas d'école spécialisée pour les hauts fonctionnaires
Il n’existe pas d’école spécialisée dans la formation des hauts fonctionnaires. Les hauts fonctionnaires anglais sont pour la majorité formés dans les mêmes universités prestigieuses : Oxford et Cambridge, qui sont la voie royale pour avoir accès aux hauts postes de l’administration. Mais une part croissante des hauts fonctionnaires britanniques est recrutée via une procédure dite fast stream. Procédure mise en place par l’État pour favoriser la diversité au sein de la fonction publique, elle consiste en des programmes de formation à destination d’étudiants sortant d’autres universités qu’Oxford et Cambridge. Ainsi, il n’y a pas de concours pour intégrer la haute fonction publique : les agents sont recrutés sur dossier avec un entretien individuel.
Par ailleurs, il n’existe pas dans le système britannique d’équivalent aux grands corps français. Les agents de la fonction publique (Civils servants) dépendent d’un cadre juridique unique fixé au niveau du Cabinet Office. Ce cadre leur interdit par exemple de siéger dans des organismes à caractère politique et les soumet à diverses obligations, notamment un code de conduite fondé sur des valeurs d’intégrité, d’honnêteté, d’objectivité et d’impartialité.
Allemagne : des recrutements autonomes pour chaque ministère
Il n’y a pas non plus d’école centrale de formation des hauts fonctionnaires ou de concours centralisé. Les recrutements sont organisés par chaque ministère et autorité de manière autonome. Les hauts fonctionnaires sont ainsi issus d’une pluralité d’universités : Berlin, Munich, Bonn, Cologne… C’est ce que l’on appelle le legal training model : les jeunes qui se destinent à l’administration fréquentent des universités normales et suivent un cursus universitaire normal, qui ne se distingue en rien de celui d’un étudiant désireux de devenir professeur d’université. Il est ainsi fréquent que ceux qui entrent dans l’administration aient un doctorat, ce qui est très rare en France, où la coupure entre monde universitaire et monde administratif est très nette.
Les hauts fonctionnaires exercent leur métier dans le cadre d’une fonction publique d’emplois. Leur avancement dépend du mérite, de l’ancienneté et des limites des emplois budgétaires. Ainsi, les jeunes diplômés qui s’orientent vers l’administration y entrent à un niveau moyen, progressent dans la hiérarchie et, au fil des ans et de leurs accomplissements professionnels évalués par leurs supérieurs, atteignent pour certains un niveau qui les fait entrer dans la haute fonction publique.
Belgique : des mandats de 6 ans
Aucune formation commune ni école spécialisée n’existe en Belgique pour former les hauts fonctionnaires. Le recrutement repose sur une évaluation des performances (contrôles des références et des diplômes, épreuves, entretiens). Un concours est organisé par le bureau de sélection de l’administration fédérale (Selor).
Puis la sélection est organisée par ce même Selor sur la base d’un descriptif du poste, du profil requis et des compétences décrites. L’âge moyen d’entrée dans la haute fonction publique est bien plus élevé qu’en France : il est compris entre 40 et 50 ans.
Comme en France, la fonction publique belge est une fonction publique de carrière. Mais la différence avec le système français est que des mandats à durée déterminée ont été instaurés pour les hauts fonctionnaires en Belgique à partir des années 2000. Les titulaires de mandats de haut fonctionnaire sont nommés pour une période de six ans par une autorité décentralisée. Au terme des six années, ils doivent de nouveau postuler, à moins que l’évaluation de leurs performances soit excellente.
Pays-Bas : des mandats de 7 ans
Les hauts fonctionnaires font partie du Service d’administration générale (SAG), créé en 1994. Plus précisément, ils en constituent le sommet, au sein d’une subdivision appelée le Top management group (TMG). Comme en Allemagne, le recrutement des hauts fonctionnaires se fait selon le legal training model. Les hauts fonctionnaires proviennent ainsi d’universités classiques, la plupart y ont étudié les sciences sociales, l’économie ou le droit.
Cependant, lorsque certains de ces fonctionnaires accèdent à des postes de cadres, ils sont de plus en plus souvent censés suivre un programme de Master en administration publique (MPA), qui leur apportera la formation généraliste nécessaire à tous ceux qui occupent des postes de haut niveau. Il n’existe pas de procédure formelle de concours et la procédure de recrutement débute par une consultation du registre des fonctionnaires en disponibilité, puis un appel à candidature est diffusé au sein du ministère concerné et dans la presse.
La fonction publique néerlandaise est une fonction publique de l’emploi. Les hauts fonctionnaires formant le TMG sont nommés pour un mandat de sept ans non renouvelable. On remarquera par ailleurs que, contrairement à la France, les nombres de passages de la fonction publique à la fonction politique sont très bas. Le pantouflage est également très réduit par rapport à la France, la mobilité à tous les niveaux de Gouvernement avec le secteur privé étant limitée.
Suède : l'équivalent de l'ENA, dissout depuis 1992
L’Institut national de formation et de perfectionnement des fonctionnaires qui assurait la formation permanente des agents a été dissout en 1992. Le modèle suédois de recrutement des hauts fonctionnaires est un modèle mixte, avec un concours pour les fonctions d’encadrement et un recrutement sur dossier et entretien pour les autres. Une fois recrutés, les hauts fonctionnaires exercent au sein d’une fonction publique radicalement différente de la fonction publique française : fonction publique d’emplois, sans statut, avec des contrats de droit privé. De plus, il n’existe pas de grands corps et les hauts fonctionnaires n’ont pas d’emploi à vie. Enfin, l’avancement et la rémunération sont déterminés en fonction du mérite et des résultats.
Conclusion
La réforme de l’ENA transformée en INSP présente deux faiblesses majeures :
- Premièrement, l’INSP coûte beaucoup plus cher à l’État que son prédécesseur. Il est bien dommage que le Gouvernement n’ait pas profité de son habilitation pour introduire des réformes budgétaires plus ambitieuses.
- Deuxième faiblesse : la réforme est trop timide. Certes, les suppressions de certains grands corps et du classement de sortie sont louables, mais l’effet de cette disposition restera très limité tant que les énarques continueront de bénéficier d’un emploi à vie et d’un statut de fonctionnaire trop avantageux. À ce titre, il est regrettable qu’aucune véritable contractualisation n’ait été introduite à la tête de nos administrations. Les problèmes de pantouflage ou de porosité entre politique et haute fonction publique ont été totalement délaissés.
Pour éviter que l’INSP ne coûte aussi cher à l’État en subventions, certaines des solutions proposées par la Fondation IFRAP fin 2018 sont donc toujours d’actualité :
- Supprimer le deuxième siège de Paris.
- Réviser la rémunération des élèves en l’alignant sur le tarif de ceux de Polytechnique.
- Diminuer le nombre de postes permanents, qui n'a cessé d'augmenter, alors que le nombre d'élèves dont ils avaient la charge baissait.
- Effectuer une véritable substitution contractuels/titulaires au sein du personnel de l’école.
Pour aller plus loin, la France pourrait également s’inspirer de ses voisins européens pour changer le statut de ses hauts fonctionnaires :
- Interdire pour les anciens de l’ENA et de l’INSP la possibilité de faire des allers-retours public/privé et public/politique (pantouflage) tout en conservant leurs statuts publics à vie. Obligation de démission du statut pour tout haut fonctionnaire embauché dans le privé ou élu en politique.
- Passer pour les prochaines promotions de l’INSP à une haute fonction publique d’emploi, avec des hauts fonctionnaires nommés pour une durée déterminée dans un poste. Et pas seulement se contenter du détachement dans des emplois « fonctionnels ». Cette évolution permettrait de mettre fin aussi aux difficultés liées au pantouflage.
- Donner accès à l’INSP aux contractuels de haut niveau sélectionnés pour intégrer l’encadrement supérieur de l’État, et suivant les profils, leur accorder une scolarité plénière (via un recrutement sur le modèle britannique du fast stream à l’issue de l’université, via un doctorat sur le modèle allemand, ou de grandes écoles) ou plus courte (à raison des compétences déjà acquises dans leur précédente carrière).