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Retraites : vers une réindexation à 10 milliards d'euros ?

Emmanuel Macron a annoncé une réindexation des retraites sur les prix, une mesure récemment confirmée qui pourrait rentrer en vigueur début août une fois votée dans le projet de loi « pouvoir d’achat ». Une revalorisation envisagée à 4% qui pourrait coûter 10 milliards d'euros en année pleine. Réindextation qui ne dispense pas de faire la réforme des retraites en reportant l'âge de départ à 65 ans.

Une réindexation qui représente 10 milliards € en année pleine

Les retraites de base représentaient en 2020 241 Mds €. Une revalorisation de 4% représenterait environ 10 Mds € en année pleine. « Pour une pension à 1 200 €, c’est un gain d’environ 45 € par mois » a précisé O. Dussopt ministre du Travail, également chargé de la réforme des retraites.

Pour les retraités, le terme de réindexation a une connotation toute particulière : en effet, il ne s’agit pas d’une surcompensation ou autrement dit d’un cadeau puisque la règle veut que les pensions suivent les prix.

L’article L. 161-23-1 du Code de la Sécurité Sociale : Le coefficient annuel de revalorisation des pensions de vieillesse servies par le régime général et les régimes alignés sur lui est fixé, au 1er janvier de chaque année, par application d'un coefficient égal à l'évolution de la moyenne annuelle des prix à la consommation, hors tabac, calculée sur les douze derniers indices mensuels de ces prix publiés par l’Insee.

Mais ce paramètre fixé par la réforme Balladur de 1993 avait cependant subi de nombreuses entorses ces dernières années pour maitriser l’évolution des dépenses de retraite (voir tableau) qui représentent près de 14% du PIB. Les retraités avaient dû s’habituer à un traitement dérogatoire. Comme on le voit, une autre astuce utilisée pour faire des économies était de décaler les dates de revalorisation.

Date de revalorisation de la pension

Taux de revalorisation

Inflation n-1

1er janvier 2022

1,10%

 

1er janvier 2021

0,40%

0,5

1er janvier 2020[1]

1%
0,8%
0,6%
0,4%
0,3%

1,1

1er janvier 2019

0,30%

1,8

1er octobre 2017

0,80%

0,2

1er octobre 2015

0,10%

0,5

1er avril 2013

1,30%

2,0

1er avril 2012

2,10%

2,1

1er avril 2011

2,10%

 

Un engagement en 2019 : celui de ne plus utiliser la désindexation des retraites

En 2018, ces manipulations ont été un des motifs de colère des retraités à l’occasion de la crise des gilets jaunes. Emmanuel Macron s’était donc engagé en 2019 à ne plus y toucher.

La revalorisation qui interviendrait en août prochain représenterait un rattrapage sur l’inflation de « seulement » 5 milliards € soit l’équivalent d’une demie-année, puisque la revalorisation aurait dû de toute façon avoir lieu en janvier prochain.

Mais comme l’a rappelé le ministre de l’économie, cette revalorisation ne devrait concerner que les régimes de base pas les régimes complémentaires, au premier rang desquels les complémentaires des salariés du privé Agirc-Arrco (81 Mds € de pensions versées en 2020), puisque les paramètres sont fixés par les partenaires sociaux. Autrement dit, Bruno Le Maire renvoie vers les organisations syndicales et patronales qui gèrent les régimes Agirc-Arrco pour citer le principal régime complémentaire à leurs responsabilités. Ce qui a suscité l’incompréhension et la colère des retraités.

Voir le témoignage d’Y. Buchsenschutz sur le site IRDEME-EPLF : https://www.irdeme.org/Retraites-complementaires-et-inflation

La non revalorisation des complémentaires : entre 154 et 478 € de manque à gagner

Bien sûr cela fait une différence de taille pour un ex-salarié du privé : Si vous n'êtes pas cadre, votre complémentaire représentera généralement entre un quart et un tiers de votre pension totale. Pour les cadres, ce sera souvent entre la moitié et les deux tiers. S’il ne devait pas y avoir de revalorisation cela représenterait un manque à gagner de 154 € pour un non cadre en moyenne et de 478 € pour un cadre.

Montant brut mensuel moyen de l’avantage principal de droit direct (hors majoration pour 3 enfants ou plus) par régime de retraite en 2018[2]

CNAV

Arrco

Agirc

622 €

321 €

676 €

 

Un manque à gagner qui ne frapperait pas tous les retraités français de la même façon puisque pour les régimes publics et autres régimes spéciaux il n’existe pas de régimes complémentaires distincts. Le régime est dit « intégré » ou « complet » et sera donc intégralement revalorisé. Les retraites y sont par ailleurs plus élevées soit que la structure des emplois est différente (les ex agents de la fonction publique d’Etat sont constitués plus majoritairement d’emplois intermédiaires et supérieurs) soit que le régime de retraite est plus généreux (régimes spéciaux des entreprises publiques notamment).

Compte tenu de ces inégalités, les partenaires sociaux gestionnaires de l’Agirc-Arrco se laisseront-ils convaincre ? Rien n’est moins sûr. Les comptes des retraites complémentaires ont été secoués par la crise du Covid comme en témoigne le communiqué sur les comptes 2020 :

Après être revenu à une situation excédentaire en 2019, le régime enregistre en 2020 un résultat global en déficit de -4,1 milliards, du fait des conséquences de la crise sanitaire.

Comme pour l’ensemble des régimes de retraite, les comptes de l’Agirc-Arrco ont été fortement impactés par la crise sanitaire et ses conséquences économiques. Le résultat technique de l’Agirc-Arrco en 2020, c’est-à-dire la différence entre les ressources et les charges du régime (hors produits financiers) s’élève à -5,3 milliards d’euros.
La situation déficitaire du régime s’explique par le recours massif à l’activité partielle pour plus de 40% des salariés et le report de cotisations pour une partie des entreprises.

Pour couvrir le déficit de trésorerie exceptionnel de l’année 2020, l’Agirc-Arrco est parvenu à n’utiliser que 6 % de ses réserves de financement. 

Par ailleurs, les complémentaires ont toujours refusé d’utiliser la dette contrairement à la CNAV pour financer le paiement des pensions. Ces éléments militent donc pour une indexation limitée des retraites complémentaires. D’ailleurs, les règles fixées par l’accord national interprofessionnel de 2019 (ANI) sont claires :

Le Conseil d’Administration veille à ce que :

  1. Sur la période courant de 2019 à 2022 inclus, les pensions évoluent au moins comme les prix à la consommation hors tabac en moyenne annuelle, pour autant que l’évolution des prix à la consommation hors tabac ne soit pas supérieure à celle des salaires ;
  2. Les réserves techniques du régime ne se situent jamais en deçà de 6 mois de prestations dans la période courant jusqu’à fin 2033, sur la base des projections mises à jour par les services de la Fédération.

Or, l'indice du salaire horaire de base des ouvriers et des employés qui sert notamment à la fixation de la progression du SMIC a augmenté de 1,9 % sur un an fin décembre 2021. L’indice du salaire mensuel de base de l’ensemble des salariés a crû de 1,7 % entre décembre 2020 et décembre 2021. Ce qui laisserait supposer une évolution modérée des retraites complémentaires.

Le rebond d’activité constaté en 2021 et l’inflation qui contribue à des augmentations de salaires, certes pas encore généralisées, devraient avoir un impact positif sur les recettes 2022. D’autant que le chômage reste faible. Ces éléments contribueront ils à inciter les partenaires sociaux à faire un geste ? Leur décision dépendra des perspectives financières des régimes complémentaires et celles-ci sont liées à la réforme des retraites que devra mener le gouvernement.

Conclusion

Le gouvernement devra bien prendre en compte que l’indexation sur les prix constitue un minimum, et que, faute de réforme, l’équilibre des comptes se fera par une baisse du taux de remplacement[3]. Dans son dernier rapport annuel, le COR indique que, quel que soit le scénario considéré, le taux de remplacement chuterait passant de 72% à entre 65-70%. La seule façon de stabiliser la situation et de réduire progressivement le déficit caché du régime de retraites des fonctionnaires, est de remonter l’âge de départ, et d’aligner les régimes spéciaux (fonctionnaires, RATP…) sur celui du privé.


[1] Dans un 1er temps, au 1er janvier, 2 taux ont été instaurés par la Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 (LFSS) : + 0,3 % pour les retraités dont l'ensemble des pensions de retraite dépasse 2000 € bruts (environ 1 874 € nets) ; + 1 % pour les retraités dont l'ensemble des pensions de retraite sont inférieures à 2000 € bruts.

Des taux intermédiaires ont été prévus pour les retraités qui perçoivent un peu plus que 2000 € : + 0,8 % pour les pensions entre 2000 et 2008 € ; + 0,6 % entre 2009 et 2012 € ; + 0,4 % entre 2013 et 2014 €.

[2] Les chiffres publiés par la DREES suite à la fusion Agirc-Arrco de 2019 ne permettent plus de distinguer la part de la pension cadre Agirc de la pension Arrco

[3] en valeur relative et non en valeur absolue