Retraites : la réforme va-t-elle coûter cher ?
La réforme des retraites prend mauvaise tournure pour ceux qui espéraient encore qu’elle ne finisse pas en mascarade.
Rien que le manque à gagner économique du mois de grève - que la France continue à subir de manière inadmissible - approche les 2 milliards d’euros : pertes de la SNCF, de la RATP, des commerçants, du tourisme… on atteindra bientôt le 0,1 point de PIB de 1995, voire plus.
En face, les troupes gouvernementales ne semblent pas très motivées pour garder le cap d’une réforme qui permette vraiment des économies. Le risque est donc réel que les concessions pour obtenir un compromis rapide coûtent plus cher que les économies réalisées grâce à la réforme.
L’âge pivot ? Plusieurs pistes sont à l’étude, notamment celle de repousser la date de mise en place de l’âge pivot (or un report peut signifier, dans les faits, un abandon), ou de lui associer uniquement un malus temporaire sur les futures pensions.
Le Conseil d’orientation des retraites (COR) semble dire que dans le meilleur des cas, l’âge pivot pourrait équilibrer les comptes en 2025, permettant de réaliser 12 milliards d’économies. Mais il faudrait pour cela que l’âge pivot s’applique aux carrières longues, aux petites retraites, aux personnes en invalidité et qu’il ne soit pas temporaire. À défaut, l’âge pivot ne générera plus que 2 à 3 milliards d’économies. Un peu ridicule au regard des quelque 15 milliards de déficit.
Le régime universel par points ? Concessions et compromis risquent de générer beaucoup de désillusions. Selon nos estimations, si l’on compense intégralement les baisses de pensions des salariés du public (en revalorisant les rémunérations des enseignants, en fixant à 1985 les générations concernées au lieu de 1975, en calculant toujours les pensions des régimes spéciaux sur les six derniers mois, en permettant aux intéressés de continuer à partir beaucoup plus tôt en retraite à 56 ans ou 57 ans en moyenne, etc.), on risque de creuser chaque année le déficit de notre futur régime universel de retraite de 4 à 5 milliards à l’horizon 2037.
Or ces 4 à 5 milliards, il est déjà programmé de les dépenser en droits nouveaux, le gouvernement s’étant engagé initialement à ce que les dépenses de pensions continuent à représenter 14% du PIB.
D’après nos estimations, porter à 1000 euros la retraite minimale comme il a été annoncé, devrait générer 1 à 2 milliards de dépenses supplémentaires par an. Pour les droits familiaux, l’enveloppe serait, selon nos informations, à peu près constante (les droits à pension pour plus de 3 enfants seront cependant un peu moins élevés et les droits à pension pour 1 ou 2 enfants un peu plus élevés). La fusion de l’âge pivot et de l’âge d’annulation de la décote devrait être une mesure favorable, notamment pour les femmes, et représenter 2 à 3 milliards d’euros par an.
En somme, les 4 milliards d’euros par an qu’on pouvait espérer économiser sur les pensions plus avantageuses des salariés de nos services publics ont déjà été virtuellement dépensés…
Ça, c’est pour le tiroir « retraites » des dépenses publiques. En ce qui concerne les dépenses publiques en général, là encore, l’avenir n’est pas réjouissant. Les enseignants ont obtenu la garantie, après la réforme, de leur niveau de pension actuel, ce qui implique d’augmenter leur rémunération. Or c’est justement là que résidait la principale injustice en matière de retraites : si les enseignants du premier degré sont mal payés (c’est moins évident s’agissant de leurs collègues de collèges et lycées si l’on considère les comparaisons internationales), le mode de calcul actuel des pensions est en tout cas ultrafavorable pour tous les enseignants. Quelque 15 ou 20 ans de « revalorisations » déboucheront en 2037 sur 10 milliards d’euros de masse salariale en plus pour l’Éducation nationale et 5 milliards pour la Recherche. Et on n’a pas encore ajouté les dépenses supplémentaires concernant la pénibilité !
Avant même le début du bras de fer, il n’était déjà pas certain que la réforme ne soit pas plus coûteuse que de ne rien faire. Étant donné les concessions faites, et a fortiori si le gouvernement recule sur l’âge pivot, il existe un risque que la réforme creuse mécaniquement le déficit de notre système de retraites et le déficit public par le truchement des augmentations de salaire.
La promesse initiale qui voulait qu’un euro de cotisations donne droit au même niveau de pension semble s’être volatilisée. Le système sera par points mais pas pour tous ; il sera universel mais pas vraiment…
La moindre des choses serait que l’obligation d’équilibre soit inscrite dans la loi en y ajoutant des garde-fous essentiels : sans siphonner les réserves des travailleurs indépendants, sans augmenter les cotisations, sans déshabiller Paul pour habiller Jacques (par exemple en augmentant la part de cotisations sans droit des cadres ou en baissant le seuil de 12.000 euros par mois).
Dans les pays européens qui ne marchent pas sur la tête, les systèmes sociaux ont des obligations d’équilibre, on ne peut pas spolier les citoyens et on ne peut pas augmenter les cotisations qui pèsent sur le travail. Donc on repousse l’âge de départ. Mais ça, c’est dans les pays sensés dans lesquels les syndicats ne travaillent pas contre l’intérêt général.
Voilà près de 40 jours que nous subissons le blocage des grévistes… Si, par malheur, le gouvernement cédait sur la mesure d’âge, nous aurions 20 milliards de déficit en plus.
Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, le 10 janvier 2020.