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Retraites : et si les carrières longues n'étaient pas à plaindre ?

L'impact de la réforme des retraites sur les carrières longues est devenu le cheval de bataille de certains membres de l'opposition et la discussion parlementaire se dirige vers de nouveaux allègements sur le sujet, notamment des réductions de la durée de cotisation avec le sentiment de défendre des travailleurs de longues durées et sur de petits revenus.

Sauf que si on se penche sur les personnes justifiant vraiment d'une carrière longue, on est vite surpris. En effet, avec 27,3 ans, en moyenne, les carrières longues ont la durée moyenne à la retraite la plus longue (génération 1960).  Egalement, beaucoup de ceux qui ont bénéficié d'une retraite anticipée pour carrière longue continuent de travailler (ils représentent un quart des personnes en cumul emploi/retraite). Enfin, les retraités de la RACL (retraite anticipée pour carrière longue) sont très peu représentés dans les petites pensions. Selon les comptes de la Sécurité sociale de juin 2021, la pension moyenne de la RACL pour un homme était de 1 950 euros mensuelles et de 1 650 euros pour une femme.

Les carrières longues : qu’est-ce que c’est ?

La retraite anticipée pour carrière longue (RACL) a été introduite par la réforme de 2003. Elle correspond à une revendication ancienne de la CFDT de pouvoir partir plus tôt pour les personnes qui ont commencé à travailler jeune. Cette mesure permettait de partir plus tôt, à l’époque avant 60 ans, pour les personnes qui avaient commencé à 15 ans, et qui justifiaient de durée de cotisation de 43 ans et demi, soit deux ans de plus que la durée requise à ce moment-là. Une précision utile à rappeler dans le contexte actuel.

La mesure a subi plusieurs aménagements : elle aujourd’hui applicable à tous les régimes. Les conditions applicables avant la réforme présentée par Elisabeth Borne étaient les suivantes :

  • La retraite anticipée, à 60 ans ou avant 60 ans, est possible si les personnes ont commencé à travailler avant 20 ans ou avant 16 ans et sous condition de durée d’assurance.
  • Pour la durée d’assurance, il faut cumuler deux conditions : durée d'assurance complète tous régimes de base obligatoires confondus, un nombre minimum de trimestres cotisés en début de carrière.

Ces 2 conditions de durée d'assurance retraite varient selon l’année de naissance :

Conditions ouvrant droit à la retraite anticipée pour carrière longue avant la réforme

Années de naissance

Âge de départ à la retraite envisagé

(à partir de)

Durée d'assurance minimale cotisée

(en trimestres)

Nombre minimum de trimestres

d'assurance retraite en début de carrière

   Si vous êtes né entre janvier et septembreSi vous êtes né entre octobre et décembre

1961, 1962, 1963

58 ans

176 (44 ans)

5 à la fin de l'année des 16 ans

4 à la fin de l'année des 16 ans

60 ans

168 (42 ans)

5 à la fin de l'année des 20 ans

4 à la fin de l'année des 20 ans

1964, 1965, 1966

58 ans

177 (44 ans 3 mois)

5 à la fin de l'année des 16 ans

4 à la fin de l'année des 16 ans

60 ans

169 (42 ans 3 mois)

5 à la fin de l'année des 20 ans

4 à la fin de l'année des 20 ans

1967, 1968, 1969

58 ans

178 (44 ans 6 mois)

5 à la fin de l'année des 16 ans

4 à la fin de l'année des 16 ans

60 ans

170 (42 ans 6 mois)

5 à la fin de l'année des 20 ans

4 à la fin de l'année des 20 ans

1970, 1971, 1972

58 ans

179 (44 ans 9 mois)

5 à la fin de l'année des 16 ans

4 à la fin de l'année des 16 ans

60 ans

171 (42 ans 9 mois)

5 à la fin de l'année des 20 ans

4 à la fin de l'année des 20 ans

À partir de 1973

58 ans

180 (45 ans)

5 à la fin de l'année des 16 ans

4 à la fin de l'année des 16 ans

60 ans

172 (43 ans)

5 à la fin de l'année des 20 ans

4 à la fin de l'année des 20 ans

Qu’est ce qui pourrait changer avec la réforme ?

Originellement, sous l’effet du relèvement de l’âge légal et de l’augmentation de la durée de cotisation (accélération pour être précis) les curseurs pour les carrières longues auraient dû bouger de 2 ans de plus pour les âges de départs anticipés et 1 à 2 trimestres de durée d’assurance requise.

Le gouvernement a toutefois souhaité renforcer les possibilités de départ en carrières longues : ainsi les départs à 58 ans pour les personnes ayant commencé avant 16 ans seraient maintenus (soit 6 ans de moins par rapport au nouvel âge légal), avec une durée d’assurance complète et 4 à 5 trimestres avant leurs 16 ans. La possibilité de partir 2 ans avant le nouvel âge légal soit 62 ans serait maintenue pour les personnes avec une durée d’assurance complète et 4 à 5 trimestres avant leurs 20 ans. Enfin, une borne intermédiaire serait créée avec un départ possible à 60 ans pour une durée d’assurance complète et justifiant de 4 à 5 trimestres avant leurs 18 ans. Le gouvernement prévoyait en outre d’intégrer de nouveaux trimestres validés dans le calcul de la durée d’assurance requise comme les trimestres AVPF.

Concrètement le coût des aménagements par rapport à une augmentation sèche serait de l’ordre 400 M€ en 2027 et 600 M€ en 2030 d’après les documents de présentation du projet de loi.

Les amendements gouvernementaux au projet de loi

Sous la pression des députés LR qui en ont fait une condition d’adhésion à la réforme, le gouvernement a présenté le 14 février un amendement au projet de loi en discussion en modifiant encore un peu les curseurs :

Concrètement la classe d’âge 16-18 ans verrait son âge de départ possible fixé à 60 ans, et la durée requise un peu réduite. Pour les 18-20 c’est la durée de cotisation qui serait un peu réduite. Pour le ministre de l’économie, ces nouvelles concessions représentent un coût supérieur à la première mouture soit 700 M€.

Cela ne suffit pas visiblement à certains parlementaires qui veulent plafonner la durée de cotisation à 43 ans pour ceux qui ont commencé à travailler tôt. Le débat porte également sur le nombre de trimestres à prendre en compte en début de carrière 1 ou plutôt 4-5 et sur le périmètre retenu : trimestres cotisés ou trimestres validés qui incluent par exemple les trimestres validés durant les périodes de chômage, de maladie, de maternité, etc. Pour le député du Lot Aurélien Pradié qui en fait un cheval de bataille, la mesure couterait 2 milliards €. Pour le gouvernement c’est 5 fois plus.  

Le diagnostic sur les carrières longues est-il le bon ?

La réforme des retraites est désormais appréhendée plus souvent sous l’angle de la durée de cotisation que de l’âge légal. Alors qu’il est partout plus élevé ailleurs en Europe, les Français interrogés dans les sondages trouvent plus juste d’ajuster la durée de cotisation que de reporter l’âge. Et comme on part du principe les individus les moins qualifiés, ceux à espérance de vie plus faible, sont ceux qui entrent plus tôt sur le marché du travail, il est légitime qu’ils puissent partir plus tôt, avant l’âge légal. L’âge moyen au décès des personnes parties à la retraite au titre de la carrière longue ne confirme pas forcément cette vision :

Il faut également rappeler qu’il est curieux de défendre cette approche, alors qu’en même temps tous les rapports officiels déplorent le faible taux d’emploi des seniors.

De plus, on considère que ceux qui ont travaillé tôt ont eu des carrières linéaires ce qui n’est pas toujours vrai. Cela néglige en particulier, les jeunes qui ont fait peu ou pas d’études, ont commencé à travailler jeunes mais avec des petits boulots et des carrières hachées avec des périodes de chômage. Pour ces personnes c’est l’âge d’annulation de la décote qui est alors le curseur le plus important. Il faut rappeler que contrairement à la réforme de 2010 qui avait reculé de 2 ans l’âge d’annulation de la décote, elle reste toujours fixée à 67 ans.

A l’inverse, comme le souligne Patrick Aubert, spécialiste des retraites à l’Institut des politiques publiques interrogé par l’Opinion « Tout le monde suppose que les cadres ont fait des études plus longues et qu’ils ont commencé à travailler plus tard. C’est en partie vrai, mais s’ils ont fait des jobs étudiants, ils ont pu commencer à acquérir des trimestres plus tôt et surtout, une fois qu’ils sont dans l’emploi, ils ont une carrière sans interruption ».

En conséquence, les projections de la CNAV donnent des conclusions contre-intuitives par rapport au discours ambiant : Très peu de retraités aux pensions les plus faibles de la génération de 1962 seront issus du dispositif « carrières longues », selon les projections de la CNAV et une part non négligeable des « carrières longues » finissent même avec des pensions parmi les plus élevées, preuve qu’un début de carrière précoce n’est pas toujours synonyme de petite pension.

 

Aussi surprenant, plusieurs études soulignent que les personnes cumulant emploi et retraite sont aussi des personnes ayant des durées de carrières longues. C’est ce qu’avaient soulignés les sénateurs Lubin et Savary dans leur rapport sur l'emploi des seniors (2019) : "sur le cumul emploi-retraite, je note que sur les 500 000 assurés en bénéficiant, une part importante est constituée de retraités partis de façon anticipée".