Réforme des retraites des fonctionnaires : le modèle d'extinction de La Poste / France Telecom
Il n'existe que trois méthodes pour mettre un terme à des avantages ou des privilèges devenus incompatibles avec la situation économique ou avec l'exigence d'équité : éteindre l'avantage, le racheter ou le supprimer. La première méthode est la plus indolore : les personnes en place ne sont pas touchées, et les nouveaux embauchés signent leur contrat en connaissance de cause. Cette méthode a été rendue célèbre par l'extinction du privilège des bouilleurs de cru. Appliquée depuis à France Telecom et à La Poste elle peut servir de modèle à toutes les Fonctions publiques. Avec cet avertissement : la réforme des retraites des fonctionnaires a pris tellement de retard que la solution douce de l'extinction est sans doute déjà insuffisante, et devra être complétée par des mesures plus contraignantes. Raison de plus pour colmater tout de suite la fuite à la source.
Avec 250.000 fonctionnaires à La Poste et 150.000 à France Telecom, ces deux organismes réunissaient, dans les années 1990, 400.000, soit le cinquième des fonctionnaires civils d'État. Le traitement de leur problème de retraite a donc constitué une démonstration en vraie grandeur.
Dès qu'elles ont été confrontées aux révolutions technologiques et à la concurrence française et étrangère, la situation de ces deux administrations est devenue intenable. Le coût des retraites de leurs fonctionnaires les condamnant à la faillite, elles ont dû les réformer. Le défi est identique pour notre État, nos collectivités locales et nos hôpitaux en concurrence avec d'autres fournisseurs de services et avec les administrations des autres pays. Appliquer la méthode utilisée par La Poste et France Telecom est devenu urgent.
Depuis 1997 pour France Telecom et 2002 pour La Poste, tous leurs nouveaux embauchés sont affiliés au régime général de retraite des salariés. Les fonctionnaires déjà en retraite et ceux en activité avant cette date restent membres du régime spécial de la fonction publique d'État. Moins d'un quart de siècle après ce changement, seulement la moitié des salariés de France Telecom sont encore sous statut de fonctionnaire, et cette proportion va rapidement baisser compte tenu de la forme de la pyramide des âges. Cette réforme ne résout pas le problème du court terme, mais elle prépare l'avenir de façon responsable.
À La Poste comme à France Telecom, les problèmes financiers étaient si dramatiques que cette mise en extinction de la catégorie des fonctionnaires n'était pas suffisante. Les débats au Parlement ont montré que la charge des retraites, très supérieure à celle de leurs concurrents, compromettait l'avenir de ces entreprises. Et cela, malgré leur position initiale dominante de monopoles. Le gouvernement et le Parlement ont décidé qu'il fallait les sauver et donc ramener leurs charges de retraite à un niveau comparable à celui des concurrents :
Le principe est fondé sur l'égalisation des niveaux des charges sociales et fiscales avec les autres entreprises du secteur des télécommunications. (…) En pratique, la contribution est calculée par l'application d'un “taux d'équité concurrentielle” à une assiette constituée des traitements des fonctionnaires de l'entreprise.
En clair, cela signifie que les retraites des fonctionnaires étant beaucoup plus coûteuses que celles des salariés du privé, l'État va devoir financer directement le surcoût des retraites des fonctionnaires de La Poste et de France Telecom jusqu'en 2060 au moins.
Un modèle pour les autres administrations
Quand France Telecom et La Poste ont mis leurs réformes en place en 1997 et 2000, leurs taux de cotisation retraite employeur était de 48 et 57% respectivement (contre 15% dans le privé). Des niveaux insupportables, mais la situation actuelle l'est encore plus pour l'État et sa fonction publique : en 2013, cet employeur cotise au taux de 74%. Une charge que l'État est incapable de supporter, et qui lui pose un véritable dilemme : payer les salaires des actifs ou les retraites des inactifs.
Comme l'ont fait La Poste et France Telecom, les régimes de retraite des fonctionnaires des administrations doivent être mis en extinction en affiliant tous les nouveaux embauchés au régime général [1]. Mais compte tenu des années de retard prises par rapport aux réformes du régime général (1993), de France Telecom (1997) et de La Poste (2000), il est inévitable qu'il soit en partie rattrapé par des efforts particuliers des fonctionnaires et de l'État employeur : mise sous conditions (revenu, patrimoine, durée de mariage) de 50% des retraites de réversion, recul de l'âge de la retraite à 65 ans en 2025, réévaluation de la liste des postes dits “actifs” et des avantages qui leur sont attachés, non remplacement de deux fonctionnaires partant à la retraite sur trois, désindexation temporaire de la partie des retraites au-dessus de 700 euros.
Prévenir les problèmes des autres fonctions publiques
En 2013, le taux de cotisation retraite employeur des collectivités locales et des hôpitaux n'est “que” de 30%, grâce aux nombreuses embauches récentes dans ces secteurs et à l'augmentation du nombre de fonctionnaires. La situation va se retourner rapidement avec la réduction du nombre de fonctionnaires et l'arrivée à la retraite de nombreux salariés comme le montre la pyramide des âges ci-dessous (au 31/12/2012). À terme, le taux de cotisation se rapprochera de celui de la fonction publique d'État (60 à 70%) ce qui mettra les hôpitaux et les collectivités locales en faillite. C'est donc maintenant qu'il faut agir dans ces secteurs en affiliant les nouveaux embauchés au régime général, et en réduisant (comme indiqué ci-dessus) les avantages dont bénéficient ces fonctionnaires par rapport aux salariés du régime général.
La période transitoire
Pendant la période transitoire, ces réformes du régime de retraite des fonctionnaires impliquent des transferts de capitaux considérables entre les différentes caisses de retraite : ces opérations n'impliquent aucune augmentation des coûts, sont complexes, mais sont faisables puisqu'elles ont été réalisées pour les fonctionnaires de la Poste et de France Telecom. Retarder encore l'application du régime général de retraite aux fonctionnaires serait inadmissible pour les autres Français et suicidaire pour les fonctionnaires en activité dont les employeurs ne pourront pas payer à la fois leurs salaires et ces retraites.
France Telecom | La Poste |
• Taux de cotisation retraite sur les salaires des fonctionnaires : 36,95% | • Cotisation retraite sur les salaires des fonctionnaires stabilisée à 2 milliards d'euros par an |
• Versement d'une soulte de 5,7 milliards d'euros à la caisse de retraite de la fonction publique de France Telecom | • Versement d'une soulte de 2 milliards d'euros à la caisse de retraite de la fonction publique de La Poste |
• Subvention de l'État | • Subvention de l'État |
[1] La même réforme doit naturellement être mise en place pour les autres régimes spéciaux (SNCF, EDF/GDF, RATP, CDC, Parlementaires, Banque de France …)
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