Actualité

Les mesures de solidarité dans notre système de retraite coûtent 60 milliards d'euros

On les appelle droits non-contributifs parce qu’ils ne sont pas la contrepartie de cotisations spécifiques dans le système de retraite. Etonnamment, il n’existe pas d’estimation annualisée de ces droits. La dernière évaluation donnait 60 milliards € sans compter les retraites de réversion. Si on les prend en compte, on dépasse les 90 milliards € sur 310 milliards de dépenses totales de retraite cette année-là soit près 30% des dépenses ou 4,2 points de PIB. Il conviendrait qu'une estimation soit réalisée sur base annuelle et soit annexée au rapport du COR. Cela devrait inciter chacun des régimes à un suivi spécifique. Et cela devrait surtout conduire à poser la question d'une réforme de ces droits à commencer par un alignement des modes de calcul des majorations pour enfant entre les régimes et un rééxamen des catégories actives en vue de leur suppression progressive.

La dernière étude de la direction des statistiques du ministère des affaires sociales Drees - publiée en 2020 - porte sur les droits de 2016. Cette étude détaille les dispositifs explicites de solidarité. Il s’agit des majorations de pensions accordées aux parents d’au moins 3 enfants, des minima de pension, de l’assurance vieillesse des parents au foyer, de la majoration de durée d’assurance pour enfant, des autres majorations de durée (ex. bonifications dans la fonction publique), des périodes assimilées et des points gratuits, des liquidations à taux plein pour inaptitude et invalidité, des départs anticipés pour motifs familiaux (fonction publique), catégories actives (fonction publique), carrière longue, et autres motifs (handicap, incapacité permanente, amiante, pénibilité,…)

La précédente étude datait de 2016 avec des données 2012. Et la prochaine étude devrait être publiée théoriquement en 2024 et porter sur des données de l’année 2020. On est donc loin d’une évaluation au plus près !

Pourtant, il s’agit d’un sujet majeur. La dernière évaluation donnait 60 milliards € sans compter les retraites de réversion. Si on les prend en compte, on dépasse les 90 milliards € sur 310 milliards de dépenses totales de retraite cette année-là soit près 30% des dépenses ou 4,2 points de PIB.

D’autant plus que, à chaque réforme des retraites de nouveaux dispositifs de solidarité sont adoptés, un moyen de faire passer à l'opinion des règles plus strictes soit au niveau de l’âge d’ouverture des droits soit au niveau de la durée d’assurance requise. La réforme des retraites de 2023 n’a pas échappé à la règle : elle a élargi le nombre de dispositifs de solidarité. Et à chaque réforme, les dispositifs sont plus couteux :

  • Réforme 2023 – mesures d’accompagnement avant passage au Parlement : 4,8 Mds à l’horizon 2030
  • Réforme 2014 – mesures d’accompagnement avant passage au Parlement : 2,7 Mds € à l’horizon 2030
  • Réforme 2010 - mesures d’accompagnement avant passage au Parlement : 1,6 Md € à l’horizon 2020

Quels sont les dispositifs de solidarité qui pèsent le plus ?

Pour évaluer le poids on peut s’appuyer sur le dernier tableau de la DREES :

Décomposition de la masse totale des pensions versées en 2016

Notes > L’ordre de neutralisation des différents dispositifs a un effet sur les montants estimés. Lecture • En 2016, les masses versées au titre des minimums de pension représentent 8,5 milliards d’euros, soit 3,2 % des masses de pension de droit propre. 6,3 millions de retraités en bénéficient. Champ > Retraités vivants au 31 décembre 2016 percevant une pension sous forme de rente ou bénéficiant de l’ASPA. Source > EIR 2016, DREES.

Dans l’ordre décroissant, on constate que les avantages non-contributifs les plus importants sont :

  • Les majorations de durée d’assurance et compensation de périodes non travaillées : 17 Mds €
  • Les dispositifs de départs anticipés hors carrières longues : 10,3 Mds €
  • Les minimums de pension : 8,5 Mds €
  • Les majorations pour enfants : 8 Mds €

D’autres dispositifs ne sont pas inscrits dans le strict périmètre des dispositifs de solidarité. C’est le cas en particulier du minimum vieillesse qui est considéré plus comme une prestation sociale que comme une prestation retraite. En outre le minimum vieillesse fait l’objet d’un financement fléché (par la CSG au titre de la solidarité nationale via le FSV). 

Les pensions de réversion ne rentrent pas non plus dans le champ des dépenses de solidarité car elles ne sont pas considérées comme liées à la carrière des retraités. Il paraît toutefois curieux d’opérer cette distinction car elles sont financées directement sur les cotisations/recettes des régimes. Elles devraient à ce titre être intégrées dans le calcul. 

Enfin un autre dispositif important est aussi écarté du calcul des droits non contributifs : ce sont les départs anticipés pour carrières longues. Ils ne relèvent pas de la solidarité étant donné que les retraités ont au contraire surcotisé par rapport aux paramètres requis du système. Toutefois, les assouplissements successifs correspondent à des recettes auxquelles le système de retraite a renoncé.

Si maintenant on regarde par grandes catégories de régimes, on constate une forte différence entre public et privé. Les droits non-contributifs pèsent pour 22% de la masse des prestations dans la fonction publique contre 13% pour les salariés du secteur privé. Pour le public, cela s’explique par la part des départs anticipés au titre des catégories actives qui représentent 9,2% de la masse de prestation en droit propre, auquel il convient d’ajouter le dispositif de majorations de durées d’assurance (bonification) qui pèse pour 2,4% et qui permet un départ anticipé sans effet sur le taux de proratisation.

Exprimé en Milliards € 2016, cela signifie que les droits non contributifs représentent 13,6 Mds € pour les retraités de la fonction publique : soit 4513€ par retraité. Dans le secteur privé, les droits non contributifs représentent 21,4 Mds € soit 1620 € par retraité. Dans la fonction publique ce sont les départs anticipés qui pèsent le plus : 7,1 milliards € (catégories actives hors carrières longues).

Le 2e poste significatif sont les majorations de retraite pour 3 enfants : elles représentent 3,4% des droits directs dans la fonction publique soit 2 Mds €. Pour les salariés du privé, ces droits représentent 4,2 Mds € soit le double de la fonction publique alors que les retraités du secteur privé sont 4 fois plus nombreux. A cela, il y a deux explications : les majorations pour enfants sont plafonnées dans les régimes complémentaires et limitées en valeur à 2330€ par an. Et dans le régime de base, les majorations sont calculées selon les mêmes modalités que dans le régime de la fonction publique sauf qu’elles s’appliquent à des montants équivalents à la moitié des retraites et qu'elles sont aussi plafonnées au régime général, alors qu'elles ne sont pas plafonnées dans la fonction publique.

Dans le secteur privé, sans surprise, ce sont les majorations de durée d’assurance et compensation des périodes de non-emploi qui représentent la part la plus importante des droits non contributifs, ainsi que les minimums de pension (minimum contributif). Les premiers pèsent pour 5,9 milliards € (trimestres assimilés et points gratuits pour les trimestres assimilés) et les seconds pour 2,3 milliards €.

 

DREES

 

Peut-on mettre à jour ces principales dépenses sans attendre les nouveaux chiffres de la Drees ?

Il est vrai que l’exercice est difficile notamment en raison de l’éclatement des régimes de retraite : il faut ainsi compiler les informations auprès des 36 régimes. Et cela est d’autant plus difficile que les droits non-contributifs sont rarement isolés du fait qu’ils sont inclus dans la formule de calcul.

On peut cependant mettre à jour quelques éléments :

  • Minimum vieillesse : 3,2 milliards € en 2016, 3,9 milliards € en 2022[1] (financement via FSV sur de la CSG)
  • Pensions de réversion : 33,2 Milliards € en 2016 ; 37 milliards € en 2021[2]  (financement directement sur les ressources des régimes)
  • Majorations accordées pour 3 enfants : 8 milliards € en 2016 ; 8,9 milliards € en 2022 (sur la base d’un ratio identique entre les majorations versées par la CNAV grâce au transfert de la CNAF et majorations totales)

Comme on le voit, les plus importants de ces droits non-contributifs sont en augmentation. 


[1] Et même 4,1 milliards € en incluant les droits dérivés

[2] https://www.vie-publique.fr/fiches/37945-quel-est-le-budget-consacre-aux-retraites