Baisse des pensions : sans réforme, ce sera la double peine
Dans le débat actuel sur la réforme des retraites, il y a un élément qui est systématiquement occulté, c’est la baisse des retraites. Le COR nous dit que dans le scénario le plus ambitieux (croissance à long terme de la productivité à 1,6%), les revenus d’activité pourraient croître de 100% d’ici 2070 alors que la pension moyenne ne croîtrait que de 31%. Certes, il s’agit d’une baisse relative mais ces chiffres montrent bien le décrochage des pensions par rapport aux revenus d’activité : les pensions sont amenées à fortement baisser, passant de 50% du niveau des revenus aujourd’hui à 32 à 39% selon les scénarios en 2070, et ceci en dehors de toute réforme. La Première Ministre a bien expliqué lors de son intervention de rentrée 2023 qu’il n’était pas envisageable de baisser les pensions, mais il faut comprendre « baisser les pensions au-delà de la baisse déjà projetée ». Jamais il n’est dit que de toute façon les pensions vont baisser.
On ne peut que regretter le peu de pédagogie autour de cette question. Il faut dire que cette baisse n’est pas facile à appréhender parce que c’est un double effet qui est à l’œuvre : il s’agit d’abord d’une baisse du taux de remplacement qui traduit la baisse de rendement des régimes de retraite ; phénomène qui s’ajoute au décrochage des pensions par rapport revenus d’activité à l’occasion de la l’indexation des pensions. Tachons d’y voir plus clair.
Le taux de remplacement mesure pour un individu, la première pension versée rapportée au salaire qu’il percevait juste avant de partir à la retraite. Le taux de remplacement est passé de 79% pour la génération 1938 à 74% pour la génération 1950. Pour ce qui concerne les projections du taux de remplacement, si on considère les deux cas les plus détaillés par le Cor, un salarié non-cadre du privé devrait voir son taux de remplacement net passer de 70% aujourd’hui à 62-65% selon le scénario (1,3 à 1,6%) d’ici 2070, dans l’hypothèse d’un départ au taux plein. Un fonctionnaire devrait voir son taux de remplacement net passer de 65% aujourd’hui à 60-62% selon le scénario (1,3 à 1,6%) dans l’hypothèse d’une hausse de la part des primes dans sa rémunération. Cela traduit bien la baisse de rendement des régimes de retraites.
On a un assez bon exemple de cette baisse du rendement avec ce qui se passe à l’Agirc-Arrco depuis l’accord de 2019. Ce cas est intéressant car les retraites complémentaires sont gérées par les partenaires sociaux. Or les représentants du patronat mais surtout les syndicats qui sont aujourd’hui vent-debout contre la réforme des retraites et le report de l’âge n’ont pas hésités à prendre de mesures sévères de baisse des rendements du régime. Confrontées à une situation financière difficile en 2018, les partenaires sociaux ont mis au point un accord qui comporte une mesure passée relativement inaperçue : pendant 4 ans (2019 à 2022), la valeur d’achat du point a évolué comme les salaires (voir ci-dessous). Il s’agit des points acquis grâce aux cotisations retraite Agirc-Arrco (valeur d’achat du point 2019 = 21,66 euros soit 17,0571 euros auxquels on ajoute le taux d’appel de 127%[1]). Mais la valeur de service est calculée selon une formule différente : elle évolue comme les salaires moins un facteur de soutenabilité « calculé de sorte qu’en pratique la valeur de service du point évolue au moins comme les prix à la consommation ».
Autrement dit, l’évolution de la valeur de service du point est fixée sur l’inflation, et comme la revalorisation des salaires est généralement plus importante que l’inflation, la valeur d’achat augmente mécaniquement plus vite que la valeur de service. Traduction : il faudra travailler plus longtemps pour percevoir le même niveau de retraites.
L’accord prévoit que cette différence ne peut dépasser certains curseurs[2]. Il n’empêche, avec cette formule on assite bien à une baisse du taux de rendement des points.
Cette mesure est un outil de freinage des dépenses futures de retraite et on peut louer le sens des responsabilités des partenaires sociaux pour avoir équilibrer les comptes en ne recourant pas à l’endettement. Mais on ne peut pas dire que cette mesure soit très perceptible dans l’opinion publique.
A ce phénomène de baisse de rendement s’ajoute le décrochage de la revalorisation des pensions. En revalorisant les pensions comme l’inflation, comme c’est le cas dans la plupart des régimes, en particulier au régime général depuis la réforme de 1993 « Balladur », un écart se crée entre évolution des pensions et des salaires, même si les retraités ne perdent pas en pouvoir d’achat. Didier Blanchet, économiste à l’Insee et président du CSR, détaillait ainsi ce phénomène : « Avec une croissance des salaires réels de 1,5 % par an, le pouvoir d’achat relatif du retraité enregistre un recul cumulé de 14 % au bout de 10 ans de retraite, de 26 % au bout de vingt années, de 36 % s’il survit jusqu’à sa quatre-vingt dixième année... »
Dans un passé récent, le gouvernement est même allé plus loin : gel des pensions en valeur absolue en 2014 et 2018, en dehors des petites pensions. Les partenaires sociaux en charge des retraites complémentaires ont également mis en œuvre la mesure 2020 à la suite de la crise du Covid. Ils avaient auparavant en 2013 pour 3 ans pratiqué la sous-indexation des retraites de l'inflation moins 1 point.
Même si avec l’envolée de l’inflation en 2022, le gouvernement et les partenaires sociaux ont mis fin à ces mesures de disette en réindexant les retraites sur l’inflation, cela n’empêchera pas le décrochage à long terme du niveau des pensions par rapport aux salaires.
Le gouvernement ne doit pas reculer face aux opposants de la réforme pour mettre en œuvre le report de l’âge, seule solution pour ne pas faire régresser encore plus le niveau de vie des retraités, ni remettre en cause le pouvoir d’achat des actifs par des cotisations supplémentaires.
Valeurs d’achat du point Agirc-Arrco
Années | Valeurs d’achat du point | Evolution par rapport à la valeur précédente |
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2023 | 17,4316 * |
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2022 | 17,4316 € | 0,20 % |
2021 | 17,3982 € | 0,00 % |
2020 | 17,3982 € | 2,00 % |
2019 | 17,0571 € |
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* la valeur de 17,4316 € est appliquée dans l’attente de la fixation par les partenaires sociaux de la valeur d’achat du point pour 2023.
Paramètres Agirc-Arrco : Valeurs de service du point Agirc-Arrco
Période | Valeurs de service du point | Evolution par rapport à la valeur précédente |
---|---|---|
A compter du 1er novembre 2022 | 1,3498 € | 5,12 % |
du 1er novembre 2021 au 31 octobre 2022 | 1,2841 € | 1,00 % |
du 1er novembre 2019 au 31 octobre 2021 | 1,2714 € | 1,00 % |
du 1er janvier au 31 octobre 2019 | 1,2588 € |
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Consulter l’historique des valeurs d’achat et de service du point
Les chiffres de la DREES, organe statistique du ministère des affaires sociales, montrent une amélioration tendancielle du niveau des pensions en valeur absolue. Les nouvelles générations qui partent à la retraite ont une pension moyenne supérieure aux générations précédentes : la pension moyenne mensuelle était de 1088 € en 2004 elle est aujourd’hui de 1466 €. Ces pensions sont le reflet de rémunérations supérieures à ce qu’étaient les rémunérations il y a 20 ou 30 ans, le niveau de qualification globale de la population s’est amélioré. Mais ce chiffre qui s’améliore en valeur absolue ne dit rien de la baisse du taux de remplacement.
[1] Le taux d’appel est un prélèvement supplémentaire appliqué sur les cotisations mais qui ne génère pas de nouveaux droits à la retraite.
[2] ainsi elle ne s’applique pas si l’évolution des prix est supérieure à celle des salaires et l’écart entre l’évolution des prix et l’évolution de la valeur de service du point ne peut dépasser 0,2 point. Et surtout la valeur de service du point ne peut diminuer en valeur absolue.