Depuis 1994, l'État et la Caisse des Dépôts ont lancé une dizaine de plans, de programmes, de structures destinés à soutenir la création et la croissance des entreprises françaises, et notamment des petites. Et en y consacrant toujours plus de capitaux. Mais sans jamais vraiment évaluer les résultats.
Trois critères semblent pourtant évidents. La rentabilité financière des capitaux consacrés à cette activité, l'efficacité sociale par exemple en nombre d'emplois créés en France et une liste de brillantes réussites puisque ces plans visent aussi et surtout à faire émerger des champions mondiaux (quels nouveaux LVMH ou Google ont été lancés par ces programmes ?). En réalité, le premier critère est probablement suffisant puisqu'une brillante réussite s'accompagne généralement de créations d'emplois et de profits importants. Et de nombreuses créations d'emplois sans profit évoquent plus des emplois aidés que des entreprises performantes. En complément, une évaluation plus qualitative devrait estimer si ces entreprises avaient vraiment besoin de fonds d'État pour se développer, et si elles n'ont pas profité de rentes garanties par l'État comme dans le cas des centrales éoliennes ou photovoltaïques.
Le rapport Fourcade publié par le Sénat en juin 2011 a souligné cette lacune s'agissant du nouveau Fonds Stratégique d'Investissement (FSI), son principal sujet d'étude. Le dossier que publie la Fondation iFRAP dans ce numéro de juillet-août 2011 confirme cette analyse sur une période d'une vingtaine d'années. Fin 2010 (sans compter le FSI et le Grand Emprunt), les investissements de la Caisse se montaient à un peu plus de 3,5 milliards d'euros. On est passé de 85 M€ par an à 3.000 M€ par an. Aujourd'hui, on voit que la Caisse des Dépôts est au centre des mécanismes qui drainent l'argent public vers les PME : qu'il s'agisse du Grand Emprunt, du FSI, ou du capital-risque à travers France Investissement, l'établissement public de la rue de Lille se targue de couvrir toute la chaîne de financement.
Mais pour quels résultats ? Tout au plus peut-on faire une estimation de 40.000 emplois créés dans le cadre de France Investissement, ce qui porte le coût à 50.000 euros investis par emploi. Soit plus cher que les 25.000 euros par emploi créé dans le cadre d'une création d'entreprises par le privé (60.000 euros sont nécessaires dans le cadre d'une PME existante). Sans doute touchée par la montée de ces critiques, il semble que la CDC ait commandé, à un cabinet de consultants, une évaluation de la performance passée de ses investissements dans les petites entreprises.
Cette question se pose de manière d'autant plus aiguë qu'après la crise une nouvelle politique industrielle est à définir. Or, on ne peut qu'être choqué par les contradictions entre état des lieux et recommandations. Si tout le monde est d'accord pour dire que seule l'innovation peut sauver la compétitivité française et que, la crise ayant frappé les budgets publics, il faut aller chercher de l'argent privé pour soutenir l'économie, pourquoi vouloir privilégier le centralisme d'État ? On est particulièrement frappé par le retour à gauche comme à droite d'un projet de banque publique d'investissement qui fleure bon la planification. Pourquoi vouloir mettre un seul acteur au centre du processus d'investissement dans des industries d'avenir, au moment où ce sont justement les qualités de flexibilité, d'innovation inattendue, d'implication personnelle des créateurs qui donnent naissance aux plus brillantes entreprises ? Au contraire, l'État devrait encourager la multiplication des investisseurs en agissant comme assureur, privilégier la concurrence entre les acteurs pour s'assurer d'une vraie curiosité et prise de risque, plutôt que d'encourager le conformisme et la sécurité qui ne manqueront pas de s'imposer si une seule institution concentre tous les financements. La Caisse est coincée entre plusieurs objectifs bien trop contradictoires : elle intervient à la demande de l'État mais doit se comporter en investisseur avisé c'est-à-dire agissant selon les mêmes règles et mêmes méthodes que le secteur privé ; elle doit rechercher le cofinancement avec des investisseurs privés mais sa bureaucratie décourage ceux-ci. Elle doit enfin résoudre la quadrature du cercle en finançant des champions nationaux tout en investissant au nom de grands principes exigés par les pouvoirs publics : favoriser l'aménagement du territoire, encourager l'innovation, protéger l'industrie française, aider les ETI, etc.
Pas plus que le secteur privé le secteur public n'est omniscient sur les bons secteurs et les bons projets à financer. Le drame de la France c'est qu'elle n'a ni fonds souverains, ni fonds de pension pour irriguer son économie. Vouloir faire jouer ce rôle à un seul acteur public c'est se préparer des désillusions. L'État devrait s'en tenir à ce qui relève de ses responsabilités : comme en Allemagne, agir pour mettre en place un environnement culturel, économique, fiscal et social favorable au développement des entreprises.
A lire dans ce dossier :
L'État intervient de plus en plus
Combien d'argent pour quels résultats ? Récapitulatif des actions de la Caisse
L'investissement dans les PME : de la théorie à la pratique
Quels résultats ?
Interview du sénateur Jean-Pierre Fourcade
Les ambiguïtés de la Caisse
Des interventions sous de multiples motifs
Conclusion : les propositions de la Fondation iFRAP