Prix et gestion de l'eau : le SEDIF, entre concurrence et monopole
Dans les villages comme dans les plus grandes villes, chaque fois qu'un contrat de fourniture d'eau arrive à échéance, le débat fait rage : Régie directe (monopole) ou Externalisation (concurrence). Après des décennies avec le même fournisseur (Veolia, ex-Générale des eaux), il est sain et naturel de se demander s'il serait possible d'avoir mieux et moins cher. Le plus gros contrat européen de gestion d'eau, celui du SEDIF, va justement être attribué le 24 juin 2010. Un mois à l'avance, une seule certitude, les habitants de 135 communes de la périphérie parisienne seront gagnants sur le prix de l'eau.
A la périphérie de Paris
En Ile-de-France, 135 communes et 4,2 millions d'habitants sont desservis par le Syndicat des eaux d'Ile-de-France (SEDIF). En prévision de l'arrivée à terme en 2010 du contrat précédent, ce Syndicat a lancé dès 2008 un nouvel appel d'offres. Quatre entreprises, dont une étrangère, ont demandé à participer à cette compétition. L'une a décidé d'abandonner au bout de quelques mois. Une seconde n'a pas été retenue après le premier tour de sélection. Les deux restantes ont continué à travailler sur le dossier et ont déposé leurs propositions fin 2009. En mars 2010, pour pouvoir étudier plus à fond les volumineux dossiers remis par les deux candidats, les élus ont repoussé leur décision de 3 mois.
Pour juger de la qualité d'un dossier, le prix du m3 d'eau payé par le consommateur final est un facteur sensible, mais de très nombreux autres paramètres sont à prendre en considération : qualité de l'eau, sécurité d'approvisionnement, entretien du réseau, économie d'eau, traitement des eaux usées, environnement des usines de traitement de l'eau, services et relations avec les consommateurs, engagements sociaux … .
A ce jour, on ne sait pas si le gestionnaire précédent sera reconduit ou si le SEDIF préfèrera son concurrent. Mais de toute manière, ce long processus aura produit deux résultats significatifs :
Le prix de l'eau va baisser
Les équipes des entreprises candidates (des dizaines de personnes chacune) auront fourni au SEDIF le résultat de plusieurs années de travail dans des dossiers décrits dans la presse comme comportant plusieurs milliers de pages. Ces réponses à l'appel d'offres contiennent vraisemblablement de multiples propositions pour améliorer le niveau de service fourni aux clients finaux et aux collectivités ordonnatrices : techniques, environnementales, organisationnelles, sociales. Et il est vraisemblable que le SEDIF pourra demander au gagnant d'intégrer dans son projet les meilleures propositions de ses concurrents.
A Paris
Le contraste est frappant avec ce qui s'est passé à Paris, en 2009, quand l'équipe municipale a décidé de reprendre en direct la gestion de l'eau dans la capitale. C'était conforme à l'engagement de campagne électorale du Maire, mais, malgré la taille du contrat, la décision a été prise sans mise en concurrence. Résultat :
Pas de baisse du prix de l'eau pour les Parisiens ; la mairie s'est seulement engagée à ne pas augmenter le prix de l'eau
Pas d'étude comparative pour améliorer le fonctionnement du système
A Marseille
A Marseille et dans 17 autres communes voisines, autre scénario. Le contrat entre la Communauté Marseille-Provence-Métropole et son sous-traitant arrive à expiration en 2012-2013. Quoique PS, son président Eugène Caselli a déclaré ne pas souhaiter, a priori, gérer directement la distribution de l'eau. Mais il dispose évidemment d'un moyen de pression logique, et négocie toute une série de progrès favorables à ses administrés. Marseille a déjà obtenu une baisse du prix de l'eau et des raccordements, et un abandon de créances en faveur de particuliers en difficulté.
Interviewé par Le Figaro et Les Echos, Eugène Caselli a fait remarquer que "A Toulouse, le nouveau Maire avait promis le retour en régie pendant la campagne. Une fois élu, il ne l'a pas fait, mais a obtenu une baisse de prix de 25 %".
"A Paris, Delanoë l'a fait à un moment où il voulait prendre le PS, mais n'a pas diminué les prix."
On sait par ailleurs que Grenoble a repris la gestion de l'eau en régie et a aussi baissé les tarifs. Mais cela ne garantit en rien que les nouveau prix et services soient les meilleurs possibles.
A chacun son métier
L'externalisation des métiers pour lesquels les ordonnateurs, fonctionnaires, élus ou entreprises, ne sont pas compétents est souvent préférable à la gestion directe. Dans le cas de l'eau, ce choix est particulièrement justifié, la comparaison des coûts entre villes étant très difficile. Selon les endroits, les fournisseurs peuvent disposer d'eau proche ou lointaine, abondante ou rare, pure ou polluée. La distribution peut aussi être plus ou moins coûteuse suivant la configuration de la ville ou des villes concernées, la densité et le type de population et l'état du réseau au début et à la fin de la concession. Enfin, le prix des terrains et de l'immobilier, la difficulté des travaux de voirie, le coût de la main-d'œuvre peuvent aussi varier très fortement.
Résultat, la seule façon de connaître le juste prix de l'eau dans un endroit donné est de remettre régulièrement les contrats en jeu. Même s'ils sont justifiés, les doutes sur les conditions dans lesquelles les anciens contrats ont été passés ne peuvent pas servir de prétexte pour ne pas passer des appels d'offres « dans les règles ». Depuis 20 ans, Bruxelles et de nombreuses lois françaises ont ouvert, règlementé et moralisé tous les d'achats des collectivités locales. Sur le sujet de l'eau, on peut aussi compter sur la vigilance des élus de l'opposition et des associations. Il serait certes souhaitable que plus d'entreprises étrangères répondent aux appels d'offres en France, mais il est difficile de regretter que des entreprises françaises soient des leaders mondiaux dans ce domaine.
Pour les élus, les administrations et aussi les entreprises, « faire plutôt que de faire faire » est très tentant. Soit pour des raisons idéologiques soit plus prosaïquement parce que Faire implique plus de pouvoir, plus de postes à prendre, plus d'embauches directes et donc plus de « clientélisme ». Pour éviter ce risque, pourquoi ne pas exiger des collectivités locales, une mise en concurrence ouverte des entreprises privées et de la régie municipale ? Au Royaume-Uni, cette règle a été imposée à de nombreux services de l'administration publique avec des résultats très positifs pour les citoyens.
Les syndicats : surtout ne changez rien !Dans le cas où le SEDIF de la région parisienne déciderait de changer de délégataire, la loi impose logiquement au nouvel opérateur de reprendre les salariés du précédent opérateur. La réaction des syndicats à cette perspective est assez surprenante : une grève préventive illimitée, preuve de leur attachement à la situation actuelle.
Les tracts de la CGT et de FO décrivent une situation très fonctionnarisée dans cette entreprise privée : salaires à l'ancienneté, prime de gestion garantie pour tous, alignement sur la convention collective de Paris. Si l'attribution de ce nouveau contrat doit se traduire par une baisse du prix de l'eau, une amélioration de l'efficacité de l'ensemble de l'entreprise est évidemment nécessaire, prenant en compte les progrès technologiques et une meilleure organisation. Les syndicats semblent le refuser à l'avance en exigeant "l'abandon des projets d'organisation du travail productivistes et destructeurs d'emplois, et le remplacement de tout salarié partant en retraite".
Dans ce domaine social, le renouvellement des contrats constitue une occasion naturelle de repenser l'organisation de la gestion, le nombre de salariés et leurs conditions de travail. Dans la plupart des secteurs concurrentiels cette adaptation se fait très progressivement. Dans la gestion de l'eau, seulement tous les 20 ou 30 ans. Un exercice qui est encore moins souvent fait dans les organismes publics où les dirigeants privilégient souvent leur tranquillité et donc les intérêts de leurs salariés au dépens de ceux de leurs clients ou de leurs administrés.