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Les 10 mesures prises par la Suède pour redresser ses finances publiques

Pour notre tour des pays d’Europe et leurs solutions pour redresser les finances publiques, nous commençons par la Suède. Aujourd’hui, la Suède a une dette publique d’environ 31% du produit intérieur brut (contre près de 82% pour la moyenne de l’Union européenne et 111% pour la France), un solde budgétaire de -0,6% du PIB en 2023 et le chômage devrait atteindre 8,3% de la population active en 2024 alors que les indicateurs étaient catastrophiques dans les années 1990 avec des dépenses publiques s’élèvent à 61%, un taux de prélèvements obligatoires à 57% du PIB et un nombre de fonctionnaires qui a triplé depuis les années 60.

Le rapport Lindbeck en 1992, un tournant majeur

Historiquement, la Suède est un pays qui a développé un modèle d’Etat-providence important, notamment sous les quarante ans ininterrompus de gouvernements sociaux-démocrates (1936-1976). Ce modèle inspiré du keynésianisme imposait une redistribution forte et s’appuyait sur le plein-emploi, caractérisé par le poids de l’industrie. Mais l’explosion d’une bulle immobilière au début des années 1990 met en lumière le ralentissement de l’économie suédois depuis les années 1970 et l’endettement des ménages qui ralentit l’épargne et entraîne l’inflation de la couronne suédoise. A noter que d’abord, en 1991, le gouvernement de Carl Bildt tente de maîtriser l’inflation en accordant la couronne au système monétaire européen (qui avait mis en place l’ECU), avant d’en sortir un an plus tard. Le secteur bancaire est également touché pendant cette période. Le gouvernement conservateur de Carl Bildt commande un rapport à l’économiste Assar Lindbeck. Celui-ci démontre que l’Etat suédois est devenu particulièrement inefficace dans ses dépenses : entre 1960 et 1990, le nombre de fonctionnaires a triplé ; en 1990, les dépenses publiques s’élèvent à 61% du PIB, et le taux de prélèvements obligatoires est de 57% du PIB. Le creusement du déficit n’a pas de conséquence positive sur la croissance du pays. Après la publication du rapport Lindbeck, le gouvernement va adopter une stratégie radicale qui finalement aura permis de préserver leur modèle social.

Le gouvernement réduit drastiquement les investissements publics, les coûts de production des services publics, supprime 70 000 emplois publics entre 1993 et 2000, soit -4%. L’âge de la retraite est déplacé à 65 ans. Mais avant toute chose, l’Etat s’impose une règle d’or : son budget doit présenter un excédent de 2% du PIB, quel que soit le gouvernement. Ainsi, le gouvernement suédois est en quelque sorte un précurseur du TSCG européen (à noter que la Suède ne rejoint l’UE qu’en 1995). Cette règle est décidée par le gouvernement social-démocrate de Göran Persson en 1998. Trois ans auparavant, le budget présentait un déficit de 7% du PIB ! Depuis lors, le budget suédois a été en excédent la plupart du temps (14 années sur 26) et n’a dépassé les 3% imposés par l’UE qu’une seule année, en 2020. Loin de casser la consommation, la réduction du déficit a même entraîné une croissance du PIB de 26% entre 1993 et 1996.

Mais comment l’Etat suédois a-t-il réussi à réduire autant son déficit ? Cet allègement s’est d’abord accompagné d’une explosion de la dette publique, passée de 32% du PIB en 1991 à 88% en 1997. Mais grâce aux réformes structurelles menées par les différents gouvernements sociaux-démocrates et conservateurs, la dette s’est résorbée presque aussi rapidement qu’elle avait augmenté, en atteignant moins de 60% du PIB en 2002. Cette réduction rapide de la dette a d’ailleurs permis à la Suède de retrouver en 2004 son triple AAA, perdu en 1993.

D’ailleurs, non seulement la dette de la Suède a baissé en part de PIB pendant cette période, mais elle s’est maintenue et a même été réduite en valeur nominale. Alors qu’en France, entre 1995 et 2000, la dette a grimpé de 165,3 milliards d’euros/ECU courants, elle a baissé de 13,3 milliards d’euros/ECU en Suède.

Le rééquilibrage du budget, mère de toutes les batailles

Même s’il y a eu plusieurs alternances dans les années 1990, avec des gouvernements dressant des priorités différentes, tous ont concentré leurs efforts sur la maîtrise des dépenses. Malgré certaines phases avec une inflation, une dette ou un taux de chômage importants, la réduction du déficit a permis à la Suède de retrouver une santé économique dans laquelle chacun de ces trois indicateurs est revenu au vert. En outre, toute la décennie est marquée par une ouverture à la concurrence dans de nombreux secteurs (transports, communication, santé…).

Les taux de cotisations sociales ont été majorés durant cette période, ainsi que le taux marginal d’imposition. La « réforme fiscale du siècle » qui devait garantir un taux marginal d’imposition inférieur à 50% fut abandonnée en 1995. Dans sa volonté de corriger l’inflation, les réformes du début des années 1990 avaient également créé une forte augmentation du taux de chômage. Mais assez vite, une politique active de l’emploi a été mise en place. La Suède place l’employabilité au cœur de ses préoccupations, mettant ainsi à jour le modèle Rehn-Meidner, qui est la base de l’Etat-providence suédois, et qui repose sur le plein-emploi, une faible inflation, une forte croissance et une répartition égale des revenus. Pour ce faire, l’Etat a dessiné deux priorités : l’emploi des jeunes, incités par de nombreux parcours de formation professionnelle efficaces ; et la délégation aux communes de la lutte contre le chômage de longue durée. Ainsi, dans de nombreuses communes, après les 24 mois d’assurance-chômage, les demandeurs d’emploi ont pu intégrer un programme d’insertion (Aktivitetsgarantin) correspondant aux besoins de main d’œuvre industrielle, au lieu de passer directement dans un régime d’assistance publique.

Sous les gouvernements de Carl Bildt (conservateur), d’Ingvar Carlsson et de Göran Persson (sociaux-démocrates), la Suède réduit drastiquement les coûts de certains secteurs. Dans l’éducation, cela se traduit à la fois par une décentralisation radicale, qui délègue l’organisation de l’enseignement aux communes, ne gardant qu’un document de 19 pages comme socle commun à l’échelle nationale, et par la création de nombreuses écoles privées (61 en 1991, 475 en 2000), encouragées par la mise en concurrence complète des établissements et la fin de la carte scolaire. Résultat : un taux de scolarisation record du monde en 2003 (95% des adolescents de 18 ans).

Au niveau des impôts, la Suède a gardé sa tradition de pays redistributif pendant cette période. Les recettes augmentent de 31% sur la période. Mais comme l’explique l’ancien Premier ministre social-démocrate Göran Persson (1996-2006), le redressement des comptes passe d’abord par la réduction des dépenses avant l’augmentation des recettes. Les dépenses passent de 60,7 points de PIB à 49,1 sur la même période. 

Dans la santé, l’administration et le financement des hôpitaux est délégué aux län (comtés), les médecins peuvent installer leur cabinet librement, etc. Pour lutter contre les effets de désertification, les patients peuvent prendre rendez-vous chez un médecin d’un autre län s’il n’ont pas pu trouver de rendez-vous chez eux après trois mois. Au niveau de la garde des enfants, là aussi, la décentralisation est instaurée. Chaque municipalité est tenue de proposer et d’organiser elle-même des garderies. De plus, l’ouverture à la concurrence du secteur privé est aussi décidée pour ce secteur, de même que pour les soins aux plus âgés, en centre comme à domicile. Dans ces secteurs, on remarque néanmoins une concentration dans les grandes villes de ces services.

En 2006, les conservateurs reviennent aux affaires, avec Fredrik Reinfeldt. Celui-ci supprime les droits de succession et renforce le conditionnement de l’accès aux allocations chômage et aux indemnités en cas d’arrêt maladie. Il poursuit la politique d’ouverture au privé. 

Les ouvertures au marché nécessaires pour préserver l’équilibre 

Bilan des années 1990 : en dix ans, l’Etat a ouvert à la concurrence les taxis (1990), les maisons de retraite (1991), le trafic aérien intérieur, les écoles maternelles, les agences pour l’emploi (1992), la poste et les télécoms (1993), le fret ferroviaire (1996), avant le marché des pharmacies (2009), le contrôle technique automobile et le transport ferroviaire de passagers (2010). Ces économies permettent une baisse de 14 points du ratio de dépenses pour l’Etat et sont un pilier du frein à l’endettement suédois. 

Toutes ces réformes ont donné à la Suède un double mérite : celui de représenter la stabilité budgétaire en Europe, illustrée par sa note AAA dans toutes les agences de notation ; celui d’avoir gardé un modèle social grâce à sa capacité de financement. La Suède, premier pays à avoir mis en place un congé parental, a aussi réussi à le maintenir au moment le pays se serrait la ceinture : le taux d’indemnisation était de 80% depuis 1974 pour les deux parents, et n’est descendu qu’à 75% entre 1995 et 1997, avant de repasser à son niveau d’origine. Mais cela n’a été rendu possible que par une maximisation de l’efficacité de toutes les autres dépenses. Malgré une grave crise immobilière, bancaire et monétaire il y a trente ans, la Suède a réussi à maintenir des comptes au vert et devenir la meilleure des grandes économies européennes en la matière. Même l’inflation est aujourd’hui plus basse que la moyenne européenne.

Principales mesures du gouvernement suédois dans les années 1990 :