Immobilier de l'Etat au Royaume-Uni
Avec l'arrivée du nouveau gouvernement Cameron au pouvoir au Royaume-Uni, un coup de projecteur décisif sur le train de vie de l'Etat britannique vient d'être donné grâce au récent rapport de Sir Philip Green : « Efficiency Review » en octobre 2010. S'agissant de la politique immobilière de l'Etat, le rapporteur met en avant des insuffisances importantes dans la gestion des baux des ministères à l'heure où 484 d'entre eux arrivent à échéance, représentant un enjeu de près de 57 millions de £. Mais au-delà, ce qui frappe, c'est l'importance de la rationalisation du parc immobilier des ministères britanniques : près de 1,5 million de m² en moins en 2 ans ! En face, la performance de la France n'est que de -183 000 m² de bureaux… Des différences profondes se font jour qui ne sont pas en notre faveur… Explications.
Les Britanniques connaissent le périmètre total de leur immobilier public, ce qui n'est pas le cas en France [1] : celui-ci s'établirait à 185,8 millions de m², pour un coût global estimé à 12,4 milliards £ [2]. Il s'agit bien entendu de l'ensemble du patrimoine immobilier public, y compris les patrimoines immobiliers des hôpitaux (NHS), du ministère de la défense et des collectivités locales. Sur ce patrimoine, le volume de biens immobiliers directement gérés par l'OGC [3] (Office of Government Commerce) représentait en 2008, près de 12,05 millions de m². Or, il est tentant de comparer ce patrimoine à son homologue français puisque les derniers chiffres (très lacunaires) délivrés par Bercy, donnent un périmètre de l'immobilier de l'Etat de 60 millions de m² dont 12,25 millions de m² de bureaux.
Les 12,05 millions de m² britanniques correspondent précisément au volume occupé par l'immobilier des ministères [4] et de leurs opérateurs associés. Un volume plus faible que la somme des surfaces de bureaux des ministères et des opérateurs en France qui représentent 14,65 millions de m² [5]. Or, que constate-t-on depuis deux ans ? Une rationalisation sans précédent de l'immobilier des ministères britanniques [6] : en effet, les surfaces occupées ont été réduites de 672.319 m² en 2008, le volume immobilier s'établissant désormais à 11,3 millions de m², mouvement poursuivi en 2009 avec 381.004 m² de réductions supplémentaires [7]. Le patrimoine des ministères et de leurs opérateurs est désormais fixé à 10,72 millions de m², la contraction réelle en deux ans s'élevant à près de 1,053 million de m² (voir pour le détail le tableau) ! Soit une baisse de près de 8,7% de leurs surfaces de bureaux. Dans le même temps, la France ne parvient à contracter ses surfaces que de 123.923 m² soit 1%, 1,5% si l'on considère la variation sur trois ans (-183.803 m²). Les réductions surfaciques françaises se font au compte goûte par rapport aux efforts britanniques, dans un rapport de presque 1 à 9.
Au niveau de la densité effective de fonctionnaires par m² occupés, là encore le décalage France / Grande-Bretagne est visible : en effet, les statistiques immobilières britanniques affichent une performance de 13,1 m²/ETPT (équivalent temps plein travaillé) tandis que les statistiques françaises s'établissent à 15,3 m²/ETPT. L'objectif anglais étant de parvenir à 11 m²/agent tandis que la France se fixe, elle, la limite de 12 m². Par ailleurs, alors que le « dépaysement » des services ministériels en périphéries de la capitale n'est qu'initiée en France, celui-ci progresse continûment depuis 3 ans en Grande Bretagne, et vise à rééquilibrer plus globalement la fracture entre Londres et les autres régions du territoire national tout en allégeant les coûts immobiliers d'autant.
Signe des temps, durant l'été 2010, l'OGC a été directement placée auprès des services du Premier ministre britannique (Cabinet Office) afin d'impulser une rationalisation encore plus importante du parc immobilier des ministères. A cette fin, le 11 octobre 2010 le rapport de Sir Philip Green portait un regard sans concession sur le bilan de la gestion de la politique immobilière des ministères par l'OGC : en particulier, Green révélait que seulement 6% du patrimoine était contrôlé effectivement par les administrateurs de l'OGC [8]. Dans la mesure où pas moins de 484 contrats de location expirent dans les 6 prochains mois, représentant pour l'Etat locataire un coût de 47 millions de £ (avec un stock de surfaces louées de 12,8 millions de m²), le rapporteur propose de centraliser le contrôle des baux passés par les ministères et les opérateurs et leur renouvellement éventuel, et de renforcer la tutelle de l'Office sur l'occupation adéquate des locaux acquis en pleine propriété ainsi que les projets réalisés suivant des partenariats public-privé. Bref, de rendre l'OGC parfaitement maître de la stratégie immobilière à l'heure où les surfaces occupées se redessinent (Les -490.000 fonctionnaires en 4 ans pourraient libérer plusieurs millions de m² supplémentaires valorisables rapidement, auxquels devraient participer la suppression prochaine de 192 quangos). L'OGC étant désormais adossé aux services du Premier ministre, c'est à ce niveau que les arbitrages seront désormais rendus, une bonne nouvelle, alors que France Domaine peine encore à s'imposer comme l'interlocuteur obligatoire des ministères… il serait pourtant plus que temps de passer chez nous aussi à la vitesse supérieure.
[1] En raison de l'inexistence pour le moment d'une RGPP locale et d'une confidentialité savamment entretenue quant à l'importance de l'immobilier des organismes hospitaliers et sociaux… tout au plus sait-on que l'immobilier de l'Etat et de ses opérateurs avoisinerait les 100 millions de m² (opérateurs compris) pour une valeur 102 milliards d'€ (42 milliards relevant des opérateurs). Mais bien entendu, aucun détail ministère par ministère n'est donné… en termes de surface, de localisation Paris/Province et de m²/agent, ou de coûts comme dans les rapports britanniques.
[2] Voir en particulier le dernier rapport en date du 11 octobre 2010, Efficiency Review by Sir Philip Green, Key findings and Recommendations, p.25. L'évaluation est estimée à 2 milliards de pieds carrés.
[3] Petit rappel au lecteur : l'OGC (Office of Government Commerce) est une agence indépendante rattachée au Trésor Britannique depuis avril 2000. Elle a été créée en même temps qu'une entité spécialisée dans l'achat public, l'OGCbuying.solutions (issue de la fusion entre la centrale d'achat de l'Etat (Buying Agence) et la Central Computer & Telecommunications Agency).
[4] L'immobilier des ministères est recensé dans l'équivalent britannique du TGP (Tableau général des propriétés de l'Etat, désormais en cours de basculement vers l'application Chorus-RE (mis pour Chorus Real Estate)), appelé e-PIMTM qui gère l'ensemble du Civil Estate (patrimoine administratif), celui-ci est lui-même composé du « patrimoine sous gestion » (mandated Estate) qui est seul considéré ici, regroupant principalement les ministères et les opérateurs, les agences, ainsi que les propriétés « spéciales » du gouvernement central telles que les palais de justices et les laboratoires. Voir Definitions of the « estates » in the public sector, du rapport annuel The State of the Estate in 2009, p.8. Voir sur ces définitions la circulaire administrative DAO (Gen) 08/05, ainsi que Machinery of Government changes following the General Election 2010, An explanatory Document, 27 juillet 2010.
[5] Les opérateurs en France représentent 40 millions de m² d'immeubles bâtis dont 2,4 millions de m² de bureaux. La surface des bureaux de l'Etat et des opérateurs en France est donc de 14,65 millions de m² quand nos voisins d'outre-manche ne disposent que de 12,05 millions de m² en tout et pour tout. Par ailleurs, 52% du parc géré par les opérateurs en France, appartiennent à l'Etat, voir le rapport du député Deniaud sur l'immobilier de l'Etat PLF 2011, p30 : http://www.assemblee-nationale.fr/1….
[6] Significativement depuis l'audit terrible du NAO de février 2007 : The efficiency programm, montrant que sur les 20 milliards d'économies envisagées en 2004, 13,3 milliards d'économies annuelles (sur les désormais 21,5 milliards d'objectifs corrigés) avaient été reportées… ainsi que la réduction de 64,5% des réductions d'effectifs de fonctionnaires envisagés (70 600).
[7] Si on y intègre les changements de périmètres avec la sortie d'entités autrefois comprises dans le mandated Estate, soit une sortie de 279.026 m² hors du champ des « ministères et administrations centrales ».
[8] http://www.cabinetoffice.gov.uk/new… mais aussi http://download.cabinetoffice.gov.u…