Tribune

Endettement, normes, bureaucratie... L’Union européenne a-t-elle été contaminée par la France ?

De quelle Europe voulons-nous ? Pour avoir envie d'Europe, nos concitoyens doivent pouvoir croire à un avenir prospère et pas à un déclassement. L'Europe ne doit plus être ressentie comme un fardeau mais comme un booster. Depuis la crise financière, l'Europe a connu une croissance de 13% quand les États-Unis ont connu une croissance de 28%.

Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, le 31 mai 2024.

En ce moment, le PIB des USA est à plus de 20.000 milliards quand celui de la zone euro est à plus de 10.000 milliards. Si nous continuons sur cette lancée, en 2070, le PIB de la zone euro ne représentera plus que le tiers du PIB américain. L'Europe doit se réveiller si elle veut compter demain dans la compétition et dans la production mondiale.

Dans son discours de la Sorbonne du 25 avril 2024, le président de la République a déclaré vouloir « doubler la capacité d'action financière » du budget européen. Sauf que cela revient à continuer la course vers plus de dette au niveau européen. La Commission européenne, après avoir fait la chasse à la dette et au déficit chez les États membres, a clairement basculé dans les délices de l'endettement de la crise du Covid. Depuis 2020, deux mécanismes ont accéléré l'endettement de l'Union européenne. L’instrument SURE, de soutien temporaire à l'atténuation des risques de chômage en situation d'urgence, et le plan de relance post-Covid, Next Generation EU, financé par endettement à hauteur de 750 milliards d'euros.

Cette dette contractée par emprunt est de 344 milliards en 2022 mais il faut encore y ajouter la dette, qui s'est constituée dans les comptes consolidés de l'Union pour le personnel (80 milliards), pour le mécanisme européen de stabilité (MES), pour la banque européenne d'investissement (BEI) et pour l'Eurosystème (BCE) : en tout, 969 milliards. Ce qui porte la « dette européenne totale » à fin 2022 à près de 1300 milliards d'euros. Face à cette dette, les pays membres se divisent : les mieux gérés veulent en faire un usage d'urgence ponctuel, tandis que les autres, plus déficitaires et plus endettés (et sans surprise la France), veulent y voir un outil pour continuer le jeu de l'endettement public à un niveau supranational. Une dette européenne, mais pour quoi faire ? Pour continuer à tout réglementer de manière excessive ?

Songeons à l'interdiction de l'automobile thermique décidée à partir de 2035, alors que nous ne sommes pas du tout prêts à assurer cette transition. Et ce alors que les États-Unis ont pour objectif un mix de 50% de véhicules thermiques et de 50% de véhicules électriques ou hybrides neufs vendus en 2030, ce qui est beaucoup moins contraignant. L'Europe est beaucoup trop jusqu'au-boutiste sur la transition et risque de mettre en danger sa propre industrie, à force de volontarisme mal calibré. D'ailleurs, le rapport spécial de la Cour des comptes européenne souligne que le financement public des producteurs de batteries est « insuffisamment coordonné », et que cela pourrait « pousser les producteurs à privilégier d'autres pays, et notamment les États-Unis » qui, sous le régime de l'Inflation Reduction Act (IRA), voté en 2022, proposent d'importantes incitations fiscales en ce sens.

La Cour rappelle aussi que « le soutien financier des États membres aux producteurs de batteries est soumis aux règles de l'UE en matière d'aides d'État », c'est-à-dire à une interdiction de principe. Cette réglementation peut être assouplie, mais il faut, pour cela, se plier à des procédures dérogatoires, qui restent bureaucratiques et prennent un temps fou. Là où l'administration américaine, si le besoin s'en fait sentir, ne s'embarrasse pas de respecter le droit de la concurrence, l'administration de l'Union paraît s'enliser dans les procédures de contrôle et ralentir les choses, en superposant ses propres aides à celles des États membres. Il apparaît que la stratégie « normative » de l'Europe ne favorise en rien sa compétitivité face à ses concurrents mondiaux.

On peut estimer que la part des charges administratives européennes pesant sur l'ensemble des pays de l'UE serait de 120 milliards d'euros. Si la France a toujours refusé de s'atteler au chantier qu'est la lutte contre l'inflation normative, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas ou encore le Royaume-Uni ont conduit des politiques de réductions tellement abouties qu'aujourd'hui, sept nations se sont réunies dans une organisation, RegWatchEurope, pour surveiller la politique européenne sur le sujet. Les évaluations du Normenkontrollrat allemand montrent que ce sont les entreprises qui sont les plus impactées par les normes européennes. Et ce n'est pas fini avec la multiplication des reportings extrafinanciers et des directives, comme la CSRD qui va demander des heures de travail aux entreprises concernées pour remplir des tableurs sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises.

L'Europe ne se trompe-t-elle pas de stratégie ? Dans l'approche américaine, l'IRA est d'autant plus puissant qu'il fonctionne par des incitations fiscales avec des crédits d'impôts et des déductions fiscales à fort effet de levier, et non via des subventions ultra-longues à instruire. Sur le Vieux Continent, nous manquons de vélocité et nous nous engluons dans les process de demandes de subventions. La France a contaminé l'UE avec son virus bureaucratique et, à force d'inventer toujours plus de normes environnementales et sociales, nous risquons de produire de moins en moins pour devenir une belle destination touristique sans usines.