En 2070, le PIB de la zone euro pourrait ne représenter plus qu'un tiers du PIB américain
Plusieurs publications récentes sont venues alerter sur le décrochage européen par rapport à la croissance américaine. Le WSJ en juillet dernier titrait "Les Européens s'appauvrissent". Une autre étude du think tank European Center for International Political Economy (ECIPE) indiquait en juillet dernier que la France avait un PIB par habitant inférieur à celui de l'Arkansas, le 48e Etat le plus pauvre des Etats-Unis et concluait que "si la tendance se poursuit, l’écart de prospérité entre l’Européen moyen et l’Américain moyen en 2035 sera aussi grand qu’aujourd’hui entre l’Européen moyen et l’Indien." Cet écart de productivité entre nos deux continents a plusieurs causes que nous avions analysées dans l'étude ci-dessous et qui devraient conduire la France et l'Europe à mener une politique pro-croissance. Le risque étant que sans croissance, notre modèle social devienne intenable.
Si l'on compare la croissance des Etats européens et des Etats-Unis depuis 1995, on constate que seule la Suède a présenté un taux de croissance, très légèrement, supérieur à celui des Etats-Unis. Les deux pays se caractérisent, d'ailleurs, par des dépenses en recherche et en développement plus importante. Si un tel écart devait perdurer, il entraînerait un déclin relatif de l’Europe par rapport aux Etats-Unis. Sans changement, en 2070, le PIB de la zone euro pourrait ne représenter plus qu'un tiers du PIB américain contre la moitié aujourd'hui.
Comparaison USA-UE du taux de croissance des PIB
L’examen du taux de croissance du PIB des Etats-Unis avec un échantillon de pays membres de l’UE au développement économique comparable montre un dynamisme économique supérieur des premiers et ce, sur la période 1995 à 2021. Sur cette période, seule la Suède présente un taux de croissance très légèrement supérieur à celui des Etats-Unis. Pour expliquer cet écart trois axes sont en général avancées : l’accumulation du capital, le progrès technique, l’évolution de l’emploi.
PIB volume | 1995-2021 | par an | Ecart USA en point de % |
---|---|---|---|
États-Unis | 84% | 2,4% | |
Allemagne | 38% | 1,2% | -1,15 |
Espagne | 56% | 1,7% | -0,66 |
France | 46% | 1,5% | -0,93 |
Italie | 12% | 0,4% | -1,95 |
Suède | 85% | 2,4% | 0,01 |
Source : OCDE
Focus sur l'accumulation du capital
En ce qui concerne l’accumulation du capital, les ratios de gestion mesurant la marge brute (Excédent brut d’exploitation) et la capacité d’autofinancement (Epargne brute) sont examinés afin de voir s’il existe des différences essentielles dans les conditions d’exploitation des sociétés non financières. En effet, une accumulation de capital supérieure doit se traduire par un taux de marge et une capacité d’autofinancement supérieurs, permettant de financer des investissements supérieurs. En moyenne de 1995 à 2021 le taux de marge des Etats-Unis est inférieur à celui de l’ensemble des autres pays sélectionné.
Source : Eurostat, OCDE
Le même constat vaut pour la capacité d’autofinancement des sociétés non financières. Et donc, sans surprise, l’accumulation brute du capital a été plus faible aux Etats-Unis que dans les autres pays de notre échantillon
Source : Eurostat, OCDE
En revanche la consommation de capital fixe, qui correspond à la dépréciation subie par le stock d'actifs fixes au cours de la période considérée par suite d'usure normale et d'obsolescence prévisible ou de dommages accidentels pouvant être considérés comme normaux, est moins importante aux Etats-Unis. De ce fait l’accumulation nette de capital fixe est plus favorable.
Source : OCDE
Pour préciser le rôle de cette accumulation de capital, le rapport Capital fixe sur PIB a été calculé de 2000 à 2021 (années disponibles pour l’ensemble de l’échantillon)
Le tableau suivant reprend les moyennes de ces trois indicateurs :
Moyenne 1995-2021 en %de la valeur ajoutée SNF | Taux de marge | Capacité autofinancement | Investissement brut | Investissement net | Total économie 2000-2021 Capital fixe / PIB |
---|---|---|---|---|---|
États-Unis | 31.15% | 18.46% | 18.75% | 4.10% | 3.02 |
Allemagne | 40.66% | 21.49% | 21.01% | 3.12% | 3.25 |
Espagne | 39.87% | 26.42% | 25.36% | 8.23% | 3.59 |
France | 32.05% | 21.40% | 22.15% | 3.38% | 3.17 |
Italie | 45.46% | 18.81% | 21.84% | 2.27% | 3.29 |
Suède | 39.17% | 27.76% | 25.82% | 7.33% | 3.01 |
Source : Eurostat, OCDE
L’accumulation de capital explique donc très partiellement les meilleures performances de croissance des Etats-Unis et de la Suède. Le fort taux de l’Espagne traduit un phénomène de rattrapage du pays. Les grandes économies matures de la zone euro (Allemagne, France, Italie) présentent un faible taux d’investissement net par rapport aux Etats-Unis du fait d’une plus forte rotation des actifs fixes liée à une mise au rebus plus importante.
Focus sur les dépenses en recherche et développement
Le progrès technique résulte des investissements en recherche et développement qui permettent des innovations dans l’activité économique par l’introduction de nouveaux produits, nouveaux procédés ou organisations innovantes.
Source : OCDE
Les deux pays qui ont connu les plus fortes croissances, la Suède et les Etats-Unis ont tous deux les plus importantes dépenses en recherche et développement. Cependant, l’Allemagne qui se situe à un niveau très proche des Etats-Unis ne connaît pas un niveau de croissance comparable, 38% contre 84% sur la période et, l’Espagne qui a les plus faibles dépenses a une croissance supérieure (56%). Il semble donc que les dépenses en Recherche et développement ne soient pas la raison principale pour expliquer ces différences de performance.
Focus sur la démographie, l'emploi... et le temps de travail
Reste l’évolution démographique, l’emploi et les productivités respectives des pays. Le tableau suivant synthétise les évolutions de ces trois composantes :
1995-2021 par an (%) | Population | Population active | Emplois | PIB/heure travaillée | Heures travaillées | PIB |
---|---|---|---|---|---|---|
États-Unis | 0,86% | 0,70% | 0,74% | 1,69% | 0,68% | 2,38% |
Allemagne | 0,08% | 0,40% | 0,64% | 1,10% | 0,13% | 1,24% |
Espagne | 0,67% | 1,33% | 1,41% | 0,57% | 1,15% | 1,72% |
France | 0,51% | 0,61% | 0,80% | 0,95% | 0,49% | 1,45% |
Italie | 0,15% | 0,33% | 0,54% | 0,35% | 0,09% | 0,44% |
Suède | 0,64% | 0,77% | 0,83% | 1,65% | 0,73% | 2,39% |
Source : Banque mondiale OCDE
Qu'en conlure ? Que la croissance du PIB est liée d’une part, à la quantité de travail c’est-à-dire l’accroissement de l’emploi et l’évolution du temps de travail individuel et d’autre part, à l’accroissement de la productivité du travail
Croissance 1995-2021 | Part de la quantité de travail | Part de la productivité du travail |
---|---|---|
États-Unis | 29% | 71% |
Allemagne | 11% | 89% |
Espagne | 67% | 33% |
France | 34% | 66% |
Italie | 20% | 79% |
Suède | 30% | 69% |
L’influence de l’évolution du temps de travail individuel n’est pas négligeable sur l’accroissement de PIB. Si la croissance des pays européens est recalculée en leur appliquant l’évolution du temps de travail des Etats-Unis les écarts avec ces derniers se réduisent
1995-2021 | Temps de travail moyen en heures/an | Evolution du temps de travail | Taux de croissance PIB avec évolution du temps de travail USA/an | Total croissance PIB avec évolution du temps de travail USA (%) | Total croissance PIB (%) | Réduction écart |
---|---|---|---|---|---|---|
États-Unis | 1 760 | -0,07% | 2,38% | 84 | 84 | |
Allemagne | 1 432 | -0,51% | 1,69% | 51 | 38 | 14 |
Espagne | 1 711 | -0,26% | 1,92% | 62 | 56 | 7 |
France | 1 533 | -0,29% | 1,68% | 53 | 46 | 7 |
Italie | 1 778 | -0,43% | 0,80% | 22 | 12 | 10 |
Suède | 1 467 | -0,10% | 2,42% | 86 | 85 | 1 |
Et la consommation intermédiaire ?
Un autre facteur, rarement évoqué, joue sur les performances de croissance du PIB des pays. Celui-ci vient du poids (quantité et prix), dans la production, des consommations intermédiaires (biens et services transformés ou entièrement consommés au cours du processus de production). Rappelons que le PIB est la somme des valeurs ajoutées créées plus les impôts moins subventions sur les produits (TVA, douanes…) qui sont généralement un pourcentage de la valeur ajoutée. Le PIB augmente donc proportionnellement à la valeur ajoutée. La production nationale est la somme de la valeur ajoutée et des consommations intermédiaires. Si la part des consommations intermédiaires augmente dans le processus de production alors pour une croissance donnée de la valeur ajoutée (PIB) il faudra produire plus que proportionnellement. Inversement, si cette part diminue, pour une croissance du PIB donnée, il faudra moins de croissance de la production. Or, de 1997 à 2021 la part des consommations intermédiaires a varié dans notre échantillon
1995-2021, par an | Part des consommations intermédiaires | PIB | Consommations intermédiaires | Production |
---|---|---|---|---|
États-Unis | -0,10% | 2,38% | 2,28% | 2,34% |
Allemagne | 0,80% | 1,24% | 2,05% | 1,62% |
Espagne | -0,05% | 1,72% | 1,68% | 1,70% |
France | 0,43% | 1,45% | 1,89% | 1,65% |
Italie | 0,48% | 0,44% | 0,91% | 0,68% |
Suède | -0,04% | 2,39% | 2,35% | 2,37% |
Source : OCDE
Si on regarde alors le taux de croissance de la production et non pas celui du PIB on remarque que l’écart avec les Etats-Unis s’est réduit notablement. L’effort à fournir en termes de production totale pour un même gain de PIB est plus important en Allemagne, en France, en Italie qu’aux Etats-Unis, en Suède et en Espagne. La baisse ou la hausse du poids des consommations intermédiaires s’explique par la nature des productions (industrie, services, agroalimentaire, services non marchands, externalisation…) qui impacte la nature des achats des producteurs (énergie, matières premières, produits intermédiaires, services…).
Conclusion
Les performances de croissance s’expliquent donc par une combinaison de phénomènes. La démographie, le dynamisme de l’emploi et le temps de travail individuel expliquent une partie non négligeable de la dynamique de croissance, comme le montre les performances de la Suède, des Etats-Unis, et de l’Espagne par rapport aux autres pays. L’autre groupe d’influence est constitué par l’évolution du capital fixe sur la période, le progrès technique incorporé qui en améliore la performance et dont les dépenses en recherche et développement sont une mesure indicative. C’est ce qui sauve la croissance de l’Allemagne, dans une moindre mesure celle de la France et freine l’Espagne. Les gains de productivité engendrés expliquent les performances des Etats-Unis et de la Suède. Enfin, le processus et la nature des productions rendent l’acquisition de croissance de PIB plus ou moins lourde en termes d’effort de production totale.
Il est certain que cet écart de performance s’il devait durer entraînerait un déclin relatif de l’Europe par rapport aux Etats-Unis.
Par exemple, le rapport du PIB des Etats-Unis au PIB français sera 1.5 fois supérieur à celui d’aujourd’hui dans 40 ans environs et 2 fois supérieur dans 70 ans.
PIB en milliards, en volume | 1995 | 2005 | 2015 | 2019 | 2020 | 2021 | 2030 | 2050 | 2070 | Taux de croissance 1995-2021 |
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En $ | ||||||||||
États-Unis | 11 136 | 15 600 | 18 206 | 19 929 | 19 377 | 20 529 | 25 371 | 40 614 | 65 017 | 2.38% |
En € | ||||||||||
Zone euro (à 19) | 7 394 | 9 156 | 9 917 | 10 718 | 10 064 | 10 597 | 11 967 | 15 679 | 20 542 | 1.36% |
Zone euro (à 12) | 7 279 | 8 983 | 9 702 | 10 469 | 9 822 | 10 341 | 11 713 | 15 449 | 20 375 | 1.39% |
Zone France Allemagne Italie Espagne | 6 140 | 7 396 | 7 958 | 8 522 | 7 927 | 8 322 | 9 246 | 11 682 | 14 760 | 1.18% |