Actualité

Réforme des collectivités territoriales : que faire de l'immobilier vacant ?

Réduire le nombre des collectivités territoriales, qu'il s'agisse de faire fusionner les communes entre elles, les communes avec les intercommunalités, créer des régions plus grandes ou supprimer les départements, va aboutir à des rationalisations immobilières de très grande ampleur. Une ampleur encore démultipliée lorsque les services de l'État déconcentré seront amenés eux aussi à évoluer très substantiellement dans le sens de la rétractation dans les prochaines années. Pour le seul patrimoine immobilier local, les volumes sont importants, représentant 278,4 milliards d'euros de bâtiments non résidentiels et 427,6 milliards d'euros de terrains bâtis [1]. On imagine donc sans difficulté que la rationalisation, ne serait-ce que de 0,5% de ce parc, représenterait un potentiel de cessions de l'ordre de 3,54 milliards d'euros (mais la vraie marge de manoeuvre issue notamment des mutualisations devrait être d'un ordre minimum de 10%). Un volume en réalité très proche de celui actuellement mis sous gestion par le gouvernement italien auprès de la Cassa Depositi e Prestiti (l'équivalent de notre Caisse des dépôts et consignations CdC) ou CDP, via une structure ad hoc de valorisation, le Fondo Investimenti per la Valorizzazione (FIV) pour un montant total de biens à valoriser d'environ 4,5 milliards d'euros [2].

Quel est le véritable montant de l'immobilier des collectivités territoriales dans le patrimoine public ?

Faute d'inventaire général centralisé, les volumes ne peuvent être approchés que par l'intermédiaire de la comptabilité nationale ou des recensements effectués par le CIE (conseil de l'immobilier de l'État). Dans le premier cas pour 2012, nous trouvons une fourchette d'actifs immobiliers comprise entre 375,4 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations publiques si l'on ne tient compte que de la valorisation des bâtiments non résidentiels et 418 milliards évalués par le CIE [3].

Si on choisit par contre de réintégrer les actifs non produits assimilables aux terrains bâtis, il faudrait y rajouter une valorisation de 576 milliards d'euros [4].

Comptes de patrimoine des secteurs institutionnels de l'année 2012

Au sein des administrations publiques, les collectivités locales représentent en actifs immobiliers sur le plan de la comptabilité nationale environ 278,4 milliards d'euros en bâtiments non résidentiels et pour 427,6 milliards de terrains bâtis. Il est donc aisé d'imaginer que le passage par exemple de 36.600 communes à 5.000 nouvelles entités ou de 22 régions à 12, ou la suppression par exemple de 100 départements, vont avoir des impacts immobiliers massifs.

L'exemple italien du Fondo Investimenti per la Valorizzazione (FIV) :

Les pouvoirs publics italiens dans le cadre du décret-loi du 22 juin 2012, ont jeté les bases du FIV, adossé à la CDP afin d'assurer la promotion et la valorisation des actifs immobiliers publics dont l'État ou les collectivités territoriales désiraient se défaire. Le montant annoncé dans la loi est conséquent, 4,5 milliards d'euros. Le fonds quant à lui est rentré en activité à compter du 30 octobre 2012 avec une durée de vie de 30 ans, puisqu'il est programmé pour cesser ses activités au 31 décembre 2032. Le fonds a été souscrit par la CDP pour un montant de 250 millions d'euros, capitalisation qui a été accrue via les souscriptions de l'État et des collectivités territoriales. Au 31 décembre 2013, le fonds gérait 190 millions d'euros provenant de collectivités territoriales, et 300 millions d'euros de propriétés d'État, transférées au fonds par l'Agence des domaines (Agenzia del Demanio). L'ensemble des capitaux investis dans le FIV représentait 825 millions d'euros environ. Le portefeuille sous gestion étant par ailleurs « titrisable » via le recours à des fonds communs de placements ouverts au public.

Le fonds d'investissement pour la valorisation (FIV) dispose de deux sous-compartiments :

  • Le FIV compartiment plus : celui-ci a pour objet de « valoriser » l'immobilier existant et d'apporter une structure d'appui aux opérations de cession. L'objectif de rendement des opérations est au minimum de 9,6% en termes de taux de rendement interne sur le capital investi sans recours à l'endettement (soit 7% net annuel). Les biens éligibles ne doivent pas dépasser une valeur de 30 millions d'euros (brut de toute restructuration ou reconversion et d'un minimum de 1 million d'euros). Ce compartiment du fonds est actuellement capitalisé à hauteur de 100 millions d'euros par la CDP. Selon les lignes directrices émises par le fonds, le processus est divisé en quatre phases successives :
    • La confection d'une étude de faisabilité via un protocole d'accord avec la collectivité propriétaire. L'étude cherchant à définir la meilleure stratégie pour la valorisation de l'actif et le bilan économique et financier de l'opération projetée.
    • Le fonds s'engage à acheter le bien à un prix convenu d'avance si l'appel d'offre s'avérait infructueux il s'agit alors du prix plancher servant de prix de lancement des appels d'offres publics.
    • La phase d'appel d'offres : le propriétaire propose son bien à la vente en respectant les obligations de publicité foncière. La vente aux enchères a lieu, avec une notice fournie aux participants contenant l'étude de faisabilité, le prix plancher de l'opération et le rôle éventuel du fonds comme acheteur en dernier ressort. L'acheteur devant rembourser en cas de conclusion de la vente, au fonds le coût de l'étude de faisabilité.
    • L'achat de l'actif par le FIV : au cas où aucun acheteur ne se manifesterait, le fonds procède à l'achat du bien au prix convenu, et procédera lui-même à la valorisation du bien.
  • Le FIV compartiment extra : Il réalise des opérations directes d'acquisition extraordinaires relatives à l'immobilier public. Doté d'une souscription de la CDP d'environ 725 millions d'euros, il procède aux acquisitions directes du fonds, en vertu du décret d'autorisation du directeur général du ministère de l'économie et des finances du 20 et 23 décembre 2013 [5]. Les 26 et 27 décembre 2013, le fonds a assuré l'acquisition de 40 immeubles dont 33 provenaient de l'État, et 7 d'entités territoriales (6 entités) pour une valeur d'environ 490 millions d'euros. Sur les 40 immeubles acquis 33 comportaient une valeur historique ou artistique.

Les valorisations des biens acquis ou pour lesquels des propositions de promotion sont entreprises, doivent pouvoir être convertis en locaux accueillant des activités résidentielles, commerciales, tertiaires ou d'hôtellerie.

Quels enseignements pour le cas français :

Dans le cadre de la rationalisation des emprises immobilières publiques locales, il serait possible pour les pouvoirs publics d'intéresser la Caisse des dépôts et ses foncières à la promotion immobilière des immeubles et terrains devenus vacants. Les collectivités territoriales devraient bien évidemment y trouver leur compte. Les secours de la Caisse sont envisagés parce qu'elle a réussi (parfois au détriment objectif de certaines entités publiques) à bien valoriser ses actifs immobiliers sous gestion, y compris au moyen d'opérations complexes (que l'on songe à la filiale ICADE ou à la SNI pour des opérations combinées mêlant promotion immobilière et commerciale et logement social et résidentiel), ce que n'est pas parvenu à réaliser pour le compte de l'État, ni France Domaine, ni la SOVAFIM [6].

Or il apparaîtra qu'il est possible d'encourager les collectivités territoriales à participer à la création de ce fonds ad hoc hébergé par la Caisse, en assurant la jonction entre la réforme territoriale elle-même et ce dernier. Nous proposons qu'une partie substantielle des boni rétrocédés aux collectivités s'engageant contractuellement à réduire leurs dépenses publiques prennent la forme de dotations d'investissement non consomptibles ouvrant droit à intérêts qui leurs seraient directement versés ; les dotations d'investissement étant alors fléchées vers la capitalisation de ce fonds. Celui-ci, comme son modèle italien proposerait alors aux collectivités territoriales propriétaires (qui possèdent d'ailleurs souvent de locaux occupés par les services déconcentrés de l'État) :

  • Soit d'effectuer une étude de marché permettant de déterminer la valorisation optimale du bien et d'assurer l'appel d'offres et la vente du bien auprès des tiers, pour le compte de la collectivité ;
  • Soit d'acheter lui-même le bien au prix plancher proposé ; Le fonds apportant alors une garantie de prix pour la collectivité ne trouvant pas preneur après la mise aux enchères du bien. A charge pour le fonds d'assurer lui-même la promotion de l'opération en portant de bout en bout le projet (réseau d'hôtelleries en milieu rural, tertiarisation par accueil d'activités commerciales ou de service, transformation en habitat standard ou de luxe etc.) avec ou sans vente du bien concerné ;
  • Voire d'acquérir par lui-même le bien pour le valoriser directement et le vendre sur le marché (soit directement, soit par titrisation via des fonds de placement ouverts aux souscripteurs privés). Il s'agit d'une simple opération d'achat/vente, sans commercialisation particulière (transformation en surfaces commerciales, en hôtel/restaurant, etc.), mais ouvrant droit à une vente des biens divisés en lots.

On imagine sans mal que des mairies « de caractère » devenues « lieux-dits » pourraient séduire des réseaux hôteliers nationaux ou internationaux, tout en réduisant substantiellement leurs services publics sur place (ce qui pose la question de leur présence physique sur le territoire [7]), que des biens à forte composante culturelle pourraient évidemment trouver preneur et que les 36.600 communes devenant 5.000 entités de plein exercice au niveau local, représenteraient un gisement potentiel important de biens pour particuliers et institutionnels, mais aussi des ressources supplémentaires afin d'internaliser une partie des coûts de fusion que le remembrement territorial devra nécessairement occasionner (via des produits de cessions et des dividendes perçus sur les opérations réalisées sur le futur fonds dont les collectivités locales volontaires pourraient devenir sociétaires [8]).

Conclusion : brade-t-on le patrimoine ?

Lorsque l'on regarde comme nous l'avons fait en introduction la valorisation du patrimoine des collectivités territoriales (278,4 milliards d'euros de bâtiments non résidentiels et 427,6 milliards d'euros de terrains bâtis) en comptabilité nationale, on comprend que les enjeux de valorisation offriront des gisements très importants sur le long terme. Il est évident que la gestion optimale de ce parc, nécessairement redimensionné, pourrait permettre alternativement de vendre des actifs ou de gérer ces actifs au besoin par le truchement de tiers (le fonds de la Caisse des dépôts ou d'autres). Il permettra aux collectivités de dégager suivant les cas, de substantiels profits à moyen et long terme.

Appliquer la stratégie immobilières de l'Etat aux collectivités territoriales

Le patrimoine des collectivités territoriales est mal connu. Un important travail de recensement s'impose. Travail qui pourrait d'ailleurs faire partie de la "contractualisation" entre Etat et collectivités territoriales. Parmi les engagements susceptibles d'être souscrits on devrait trouver :
- l'évaluation fiabilisée de la surface SHON et SUN des bureaux, avec l'application de la cible de 12 m²/agent et l'occupation actuelle des locaux, ainsi que la trajectoire envisagée entre l'état actuel et la cible à atteindre.
- le recensement exhaustif des emprises immobilières, bâties, non bâties, dont chaque collectivité est propriétaire ou pour laquelle elle est locataire (avec séparation domaine public, domaine privé, et liste des déclassements envisagés).
- l'évaluation des coûts d'entretien de ces bâtiments (gros oeuvre, vétusté, entretien courant, etc.).
- Une évaluation du parc "valorisable" : cessible, commercialisable, locatif, etc.
- Une évaluation des gains immobiliers à dégager à l'issue des processus de rapprochement et de fusion entrepris (taille des emprises avant et après l'opération projetée, mètres carrés libérés, économies d'entretien, rentes foncières constituées, etc.), produits de cession escomptés, etc.

Il ne faut donc pas trop brandir l'image d'un patrimoine bradé et vendu à l'encan car les ressources sont trop importantes, et qu'une bonne valorisation suppose également d'intégrer les contraintes et la profondeur des marchés. Autant d'éléments que des professionnels de l'immobilier mis dans la boucle ne pourront que relever, pour le plus grand profit (financier et fiscal) des collectivités volontaires et qu'une titrisation adaptée pourra permettre de revendre dans les meilleures conditions (de risque) aux investisseurs (personnes physiques et institutionnels) intéressés. S'agissant de l'Italie, voilà au moins une réforme initiée par Mario Monti et poursuivie sans coup férir par Matteo Renzi. Exemple à méditer, exemple à suivre…

[1] On peut relever pour les développements qui vont suivre que le patrimoine de l'Etat en France et celui existant en Italie quant à la valorisation des bureaux sont relativement comparables, 60 milliards en Italie en 2011 contre 63 milliards d'euros pour l'Etat (rapport CIE) en France pour 2012. Il s'agit alors d'une mesure de comptabilité budgétaire et non plus de comptabilité nationale.

[2] On se reportera à notre note sur la [Cassa en date du 20 juillet 2012, Plan de cession italien, un exemple pour la France ?

[3] Voir en particulier l'encadré de notre note du 23 janvier 2014 Quelle stratégie immobilière pour l'immobilier public ?

[4] On se reportera à l'INSEE pour l'évaluation des actifs non financiers et financiers en comptabilité nationale, en particulier pour les comptes de patrimoine des secteurs institutionnels et en particulier les comptes 8.200 pour 2012.

[5] Sur la base de l'article 11 quinquies du décret-loi 203/2005

[6] Pour ce dernier sujet, on se reportera au récent rapport annuel de la Cour des comptes 2014 et à son insertion concernant la SOVAFIM, p.349

[7] Cette « reprise » de réseau, est évoquée dans notre dossier à paraître concernant la réforme territoriale. Elle pourrait être portée comme certains points de contact de services déconcentrés de l'État, via des réseaux préexistants de proximité : Poste, réseau des buralistes, auto-écoles, réseaux de pharmacies, réseaux d'infirmières à domicile etc. Avec pour certains d'entre eux, distribution de ces offres de services directement chez l'habitant (pour les réseaux itinérants)

[8] Sans même évoquer le dynamisme retrouvé de certaines bases fiscales, liées à la valorisation de cet immobilier vacant (CFE, taxes directes locales etc.).