Programmation militaire 2024-2030 : encore insuffisante pour atteindre les 2% du PIB
Le Haut conseil des finances publiques (HCFP) vient de publier le 27 mars 2023 un avis relatif au projet de loi de programmation militaire 2024-2030. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il subsiste certaines zones d’ombre.
- Tout d’abord, il relève que son contrôle du projet de loi de programmation ne peut s’effectuer dans des conditions satisfaisantes. En effet, faute de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 votée, le Haut Conseil n’est pas en mesure de comparer la programmation envisagée à celle projetée en matière de finances publiques. « Néanmoins, conformément à la demande du Gouvernement (…) [il] a examiné (…) la compatibilité du PLPM avec la trajectoire proposée dans le PLPFP [2023-2027] ». On a donc une comparaison d’un projet par rapport à un projet.
- Ensuite, et malgré le PLPFP 2023-2027, le HCFP n’a pas été en mesure de vérifier les dépenses pour 2026 et 2027 car « le PLPFP ne présent[e] les crédits des missions budgétaires que sur les trois premières années de la programmation. » Il doit donc se fier aux affirmations de l’Exécutif selon lesquels les crédits envisagés sont conformes aux crédits prévisionnels envisagés au 26 septembre 2022.
- Enfin, il existe un mystère s’agissant des 13,3 milliards d’€ des besoins programmés qui s’ajoutent aux 400 milliards d’euros cumulés documentés par le PLPM 2024-2030. En effet, il apparaît que seuls des crédits totaux de 413,3 milliards d’euros cumulés permettraient d’atteindre à horizon 2030 des dépenses militaires de 2,01% du PIB. Or cette enveloppe complémentaire, les dépenses militaires opérationnelles programmées n’atteindraient que 1,96% du PIB.
- Enfin, le HCFP relève l’augmentation de la rigidification des dépenses budgétaires de l’Etat : « les dépenses couvertes par des lois de programmation » représentant 21% des dépenses de l’Etat (soit 107,2 milliards d’euros sur un segment de 509,0 milliards) en 2027. Si on y ajoutait les dépenses projetées du Plan d’action des Etats généraux de la justice, le total des dépenses « contraintes » et programmées représenterait 23,2%[1].
Une augmentation des crédits sans doute insuffisante pour atteindre les 2% du PIB
D’après la trajectoire définie pour la mission Défense, hors CAS pensions et hors fonds de concours et attributions de produits, les crédits augmenteraient de 3 milliards d’euros/an entre 2024 et 2027, puis accélèrerait encore avec +4,3 milliards d’euros/an entre 2028 et 2030. Les dépenses de Défense passeraient alors de 47,04 milliards d’euros en 2024 à 68,91 milliards d’euros en 2030. Par ailleurs, les dépenses militaires seraient augmentées dès cette année de +1,5 milliard d’euros et atteindraient 45,4 milliards d’euros contre 43,9 milliards d’euros ouverts en LFI[2].
Cependant, cette injection documentée de 400 milliards d’euros cumulés entre 2024 et 2030 ne serait pas suffisante pour atteindre les 2% du PIB à horizon de programmation (2030). « Sous l’hypothèse, plausible, que les clés de passage permettant de transcrire en comptabilité nationale les montants en comptabilité budgétaire [soient] identiques dans le PLPFP et dans le PLPM. » En tout cas, le HCFP a été incapable de vérifier ces éléments (clés de passage) et identité des programmations entre le PLPFP et le PLPM, le 1er ne détaillant pas la ventilation des crédits au-delà de l’exercice 2025.
Source : Documents budgétaires et PLPM 2024-2030.
Pour parvenir à atteindre les 2% du PIB en 2030, les dépenses militaires devraient intégrer « les ressources supplémentaires, s’ajoutant aux crédits budgétaires prévus (400 Md€), à hauteur de 13,3 Md€ sur la période 2024-2030, soit un montant des besoins programmés de 413,3 milliards € ». En effet, la trajectoire exprimée alors en points de PIB serait la suivante :
Source : Documents budgétaires et PLPM 2024-2030.
Nous avons modélisé un décaissement de 1,9 milliards d’€ de crédits supplémentaires par an sur l’ensemble de la durée de programmation. Bien évidemment un effort plus important pourrait être apporté avec une répartition différente (spécialement en fin de programmation). Sous cette hypothèse, les dépenses militaires atteindraient 70,81 milliards d’euros en 2030, soit 2,01% du PIB. Les mesures annoncées ne sont donc pas à ce point importantes qu’elles permettraient de dépasser les 2% du PIB avant la toute fin de la durée de programmation.
Par ailleurs comme le relève le Haut Conseil, il existe un grand flou dans la composition de ces 13,3 milliards de dépenses supplémentaires, ce qui pourrait jouer en sens inverse et empêcher le franchissement de la barre des 2% du PIB en comptabilité nationale pour la mission Défense (en dehors d’une injection en début ou milieu de programmation) : « Ces dépenses supplémentaires seraient financées de trois manières : »
- Des attributions de produits ou un abondement de fonds de concours, via « des ressources extra-budgétaires », se traduisant par des recettes de cession immobilières, des cessions de matériels (remboursement des financements de la guerre en Ukraine, via le dispositif de Facilité européenne pour la paix[3]), recettes du service de santé des armées. Un ensemble de dispositifs qui contribueraient à abonder le budget militaire à hauteur de 5,9 milliards d’euros sur la période ;
- Des besoins supplémentaires financés par « solidarité interministérielle » soit une « compensation par des moindres dépenses sur les autres budgets ministériels », pour un montant non communiqué ;
- Enfin le recours à des redéploiements internes : des moindres dépenses généralement constatées en exécution (surbudgétisation), aboutissant à un redéploiement de « marges frictionnelle », ainsi qu’une mobilisation des reports de charges des exercices précédents. Cette troisième option, par redéploiement et mobilisation interne, ne permettrait pas en tout état de cause d’atteindre les 2% sus-évoqués, hors reports de charges en comptabilité générale aboutissant à des ouvertures de crédits supplémentaires en cours de gestion.
Un flou entretenu s’agissant de l’augmentation des effectifs opérationnels
Le Haut Conseil ne se positionne pas sur la répartition interne des crédits connu du projet de loi de programmation. En revanche, en rapprochant les schéma d’emplois prévisionnels de la LPM 2019-2025 avec celle du PLPM 2024-2030, on s’aperçoit que les ambitions en terme de recrutement humain sont non seulement identiques, mais simplement reportés de 5 ans, le respect de la trajectoire budgétaire programmée en euros courants se faisant au profit du matériel et des salaires mais au détriment des embauches :
Source : Documents budgétaires, LPM 2019-2025 et PLPM 2024-2030.
Ainsi, dans sa version originelle telle qu’elle apparaît dans le bilan que lui consacre un rapport de l’Assemblée nationale (15 février 2023[4]) l’effort de recrutement entre 2019 et 2025 devait permettre d’atteindre un effectif de forces opérationnelles de 274.936 ETP en 2025. Ce niveau ne sera pas atteint dans la nouvelle loi de programmation même en 2030 (274.800 ETP). Il existe donc un risque important de cannibalisation des crédits initialement consacrés à l’augmentation des effectifs opérationnels par d’autres sources de dépenses et par l’inflation si celle-ci devait être plus élevée que prévue (notamment s’agissant de l’évolution de la masse salariale des personnels en poste et du coût des investissements et achats projetés).
La multiplication des « lois de programmation sectorielles » rigidifie la dépense
Enfin, le projet de loi de programmation, aussi nécessaire soit-il, s’inscrit dans un contexte législatif plus large qui voit se multiplier les lois de programmation sectorielles. Ce phénomène contribue à rendre l’arbitrage de la dépense plus difficile car beaucoup plus « rigide » en cours de programmation.
Le Haut Conseil a donc fait la somme hors charge de la dette, CAS pensions et remboursements et dégrèvements, du total des dépenses de l’Etat. Et comparé cet agrégat à celui résultant de l’addition des lois de programmation en cours de validité (hors loi de programmation relative au développement solidaire et aux inégalités mondiales du 4 août 2021) : soit la LOPMI du 24 janvier 2023 pour la période 2023-2027, la loi de programmation de la recherche du 24 décembre 2020 pour la période 2021-2030 et le présent projet de loi de programmation militaire 2024-2030. La Fondation iFRAP a voulu y ajouter une hypothèse intégrant le plan d’action des Etats généraux de la Justice 2023-2027. Les résultats sont les suivants :
Exécution | Exécution | LFI | Plan d'action des états généraux de la Justice | |||||
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Mds € | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | 2024 | 2025 | 2026 | 2027 |
HCAS | 7,6 | 8,2 | 8,9 | 9,57 | 10,1 | 10,7 | 10,9 | 11 |
y.c. CAS | 9,2 | 9,871 | 10,739 | 11,56 | 12,1 | 12,8 | 13,1 | 13,3 |
CAS | 1,60 | 1,67 | 1,84 | 1,99 | 2,00 | 2,10 | 2,2 | 2,3 |
Source : Exécution budgétaire, PLF 2023, Plan d’action du ministère.
Soit au niveau de l’ensemble des dépenses concernées hors justice, un ratio de dépenses programmées de passant de 19,4% à près de 21,1% du total des dépenses de l’Etat prévue dans le cadre du PLPFP 2023-2027. Mais entre 21,5% et 23,2% du total des dépenses de l’Etat en y incluant la projection de l’évolution des crédits issus du Plan d’action de la Chancellerie.
Mds €/% dépenses budgétaires | 2024 | 2025 | 2026 | 2027 |
---|---|---|---|---|
Dépenses totales de l'Etat prévues dans le PLPFP (Mds€ courants) | 485 | 496 | 501 | 509 |
Dépenses couvertes par les lois de programmation en vigueur y compris le PLPM 2024-2030. | 94,3 | 98,9 | 103 | 107,2 |
Ratio | 19,4% | 19,9% | 20,6% | 21,1% |
Justice | 10,1 | 10,7 | 10,9 | 11 |
Si on y ajoute les dépenses de justice suivant le Plan d'action | 104,4 | 109,6 | 113,9 | 118,2 |
Ratio | 21,5% | 22,1% | 22,7% | 23,2% |
Source : Avis du HCFP et calculs Fondation iFRAP avril 2023.
Conclusion
Le projet de loi de programmation militaire 2024-2030 semble annoncer des ambitions claires et empiler les milliards (413,3 milliards). Indépendamment de sa composition intrinsèque et des choix stratégiques retenus, comme la mise en service d’ici 2034 d’un PANG (porte avion[5]) ou le renforcement des capacités spatiales et cyber et le reprofilage de l’armée française pour le combat de haute intensité, 13,3 milliards ne sont quasiment pas documentés. On peut en comprendre les raisons qui peuvent être couvertes par le secret défense (dont le soutien à l’Ukraine). En revanche, ces montants sont importants parce qu’ils permettraient seuls aux dépenses militaires d’atteindre les 2% du PIB et uniquement en 2030. Par ailleurs il existe un risque de cannibalisation des embauches par le financement de l’existant. La comparaison de la trajectoire des schémas d’emplois des forces opérationnelles entre deux lois de programmation suffit à s’en convaincre.
[1] Consulter le document de présentation du Plan d’action des Etats généraux de la Justice, https://www.justice.gouv.fr/_telechargement/Plan_action_issu_des_EGJ_janvier_2023.pdf#page=11, ainsi que la dernière documentation disponible : Sénat, M. Antoine Lefebvre sénateur, rapport tome III volume 18 annexé au PLF 2023, 17 novembre 2022, p.25 https://www.senat.fr/rap/l22-115-318/l22-115-3181.pdf#page=25
[2] Voir par exemple L’Opinion, https://www.lopinion.fr/politique/defense-la-loi-de-programmation-militaire-prevoit-un-effort-massif-pour-les-armees ou Le Parisien, https://www.leparisien.fr/politique/nouveau-porte-avions-loi-de-programmation-militaire-ukraine-le-ministre-des-armees-fait-le-point-01-04-2023-WW4BB3ZFMBFI3P7DITTAS6MZRY.php?ts=1680526377195, Les Echos, https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/nouveau-coup-de-pouce-budgetaire-du-gouvernement-aux-armees-1921402
[3] https://france.representation.ec.europa.eu/informations/la-commission-verse-une-premiere-tranche-de-3-milliards-deuros-lukraine-au-titre-de-linstrument-2023-01-17_fr
[4] Assemblée nationale, CHENEVARD et JACOBELLI, rapport d’information n°864, Bilan de la loi de programmation militaire 2019-2025, 15 février 2023 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_def/l16b0864_rapport-information.pdf?v=1679559143
[5] https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/04/04/budget-des-armees-413-milliards-d-effort-inedit-mais-aussi-des-renoncements_6168175_823448.html