Inflation normative : +19 milliards pour les collectivités locales depuis 2002
Le Sénat vient de lancer des Etats généraux de la simplification. Aujourd'hui, l’unique outil pérenne de contrôle de l’inflation normative mis en place en France est loin d’être performant : ainsi, le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales, le CNEN, vient de publier son dernier rapport annuel, quelques jours après l’audition au Sénat de son président, Alain Lambert… et alors que le Conseil n’avait pas publié de données depuis 2019. Ce qu'il faut retenir, c'est que le coût net de l'impact des normes pour les collectivités a augmenté de 200% depuis 2019 pour atteindre +2,5 milliards en 2022.
Pourquoi l’inflation normative pose-t-elle problème ? Car elle engendre des coûts inutiles qui freinent nos entreprises, ralentissent nos services publics et les démarches de tous les jours pour les particuliers. Conscients des enjeux, la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont tous commencé à aborder ces problématiques en se focalisant sur les entreprises, notamment sur les plus petites, dans l’objectif d'obtenir rapidement un échantillon représentatif.
Inflation normative impactant les collectivités : +19 milliards depuis 2009
Mais dans une stratégie à l’opposé, la France a, elle, démarré son combat contre l’inflation normative en 2008 en créant le CCEN qui devient le CNEN en 2013 afin d’évaluer les normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. En 2014, un Conseil de la simplification pour les entreprises est bien expérimenté mais il n’est pas reconduit en 2017.
Du côté du CNEN, le Conseil publie un rapport d’activité annuel qui indique le nombre de lois évaluées et leurs impacts sur les finances publiques des collectivités. Le dernier rapport annuel datait de 2019 pour l’année 2018 mais on sait que l’impact était cependant évalué puisque les données pour 2019 ont été publiés dans la Gazette des communes. Heureusement l’opacité semble s’être levée puisque début mars 2023, à la suite de l’audition du président du CNEN, Alain Lambert, un rapport d’activité 2019-2022 a été publié.
On sait ainsi que de 2009 à 2022, l’impact budgétaire des réformes soumises au CNEN est de 19,6 milliards. Dans ces nouveaux coûts, le ministère de la Transition écologique est particulièrement représenté :
En 2022, 88% des nouveaux coûts émanaient de lui :
- + 1,7 milliard d’euros brut liés aux nouvelles obligations concernant les systèmes de régulation de la température des systèmes de chauffage et de refroidissement et au calorifugeage des réseaux de distribution de chaleur et de froid,
- + 1,5 milliard d’euros liés aux nouvelles obligations concernant les systèmes d’automatisation et de contrôle des bâtiments tertiaires.
En 2018, c’était 44 % notamment sur les nuisances lumineuses.
Et le record, en termes d’impact net sur les finances des collectivités, lui est également dû en 2016 quand 4,4 des 6,9 milliards d’euros de coûts résultaient d’un seul projet : l’obligation d’effectuer des travaux d’amélioration de la performance énergétique dans certains bâtiments recevant du public.
Un point positif est cependant que le CNEN distingue, désormais, l’impact financier selon les années : année 0, soit celle de la mise en place, puis N+1, etc. On sait ainsi que le projet de décret relatif aux obligations d’actions de réduction des consommations d’énergie dans les bâtiments à usage tertiaire, voté en 2019, a impacté les finances des collectivités à hauteur de +941 millions d’euros bruts en N+1… pour ensuite permettre de générer 165 millions d’euros d’économies.
L’autre point à souligner, c’est que le rapport détaille également mieux les gains issus des nouvelles normes pour les collectivités. Sauf que le rapport ne fait pas la distinction entre les types de gains, ni les sources : il mêle ainsi que les « gains » qui sont des économies sur la dépense et les « gains » qui sont des nouvelles recettes (impôt ou taxe, par exemple)… et qui impactent alors un autre public, entreprise ou particulier ! En 2022, les collectivités ont obtenu 1,4 milliard de gains, portant l’impact net à 2,5 milliards d’euros.
Source : Rapports annuels du CNEN
Un mode de fonctionnement à repenser
Plus que la question de l’impact des normes, le dernier rapport du CNEN fait d’une priorité l’augmentation du nombre d’évaluation qui lui est demandé en urgence. En décembre 2022, une période intense pour l’activité parlementaire du fait des négociations sur le futur budget, le Conseil estimait que sur 40% des textes sur lequel il a été saisi, son évaluation devait être rendu en urgence. La « goutte d’eau » en trop puisque le président du CNEN, Alain Lambert, a, par la suite, écrit une lettre à la Première ministre lui demandant d’encadrer les procédures d’urgence qui ont augmenté de 20% depuis 2019.
Pour Alain Lambert, l’origine de ce problème réside, à la fois, dans une coopération dégradée entre les ministères et les élus locaux puisque que les instances de représentations des élus sont très peu mises à contribution, en amont, des projets de réforme. Il voit aussi dans l’augmentation des demandes « urgentes », une volonté d’empêcher le CNEN de faire son travail correctement.
Des inquiétudes légitimes mais qui demandent que l’on se penche, également, sur le fonctionnement du CNEN. Pour rappel, ce dernier, créé en 2013, est composé de 36 membres dont 27 élus locaux et 9 représentants de l’Etat renouvelés tous les 3 ans. Concernant son activité récente, 3 points doivent nous interpeller :
- Le nombre de séances annuelles baisse… alors que le nombre de projet à évaluer augmente. En effet, le nombre de séances tenues par le CNEN est faible et il est même passé de 23 séances en 2019 à 21 séances en 2022 (15 séances en 2020, une année… sans séance supplémentaire !). Il est surprenant que le rythme des séances n’a pas été augmenté alors que le nombre de projet évalué est passé de 287 en 2019 à 325 en 2022.
- Le taux de présence annuelle des élus est également faible même s’il s’améliore (un peu) : il est passé de 15% en 2019 à 21% en 2022.
- Enfin, le CNEN demande de plus en plus de reports d’examen : en 2019, le président du CNEN a demandé à l’exécutif 11 reports d’examen, 7 ont été approuvés. En 2020, ce rapport est passé de 14 à 12. En 2021, de 13 à 9. Et en 2022, de 28 à 9.
Si un effort sur la programmation des examens de la part de l’exécutif peut être fait, il apparait évident que le mode de fonctionnement du CNEN est également loin d’être optimale. Alain Lambert semble le reconnaitre volontiers lorsqu’il rappelle qu’au bout de 14 ans d’existence, il est légitime « que le CNEN s’interroge sur son fonctionnement et se compare avec ses voisins européens ».
La particularité de ces voisins ? Ils ont tous mis en place un coordinateur unique de la lute contre l’inflation normative et ce coordinateur avait d’abord comme priorité de réduire l’impact des normes pour les entreprises… C’est seulement une fois que des premiers résultats ont été obtenus pour les entreprises que les outils ont été élargis aux administrations, aux collectivités et aux particuliers. De ce point de vue, en France, tout est à construire. En s’inspirant des méthodes qui ont fonctionné à l’étranger, la France peut transformer son retard en opportunité et viser d’ici 5 ans, une baisse de 18 à 21 milliards d'euros sur les charges pesant sur les entreprises et une baisse de 12 à 25 milliards pour les collectivités, les services publics et les particuliers.
Les coordinateurs uniques : s’inspirer de la Belgique et de l’Allemagne La Belgique a créé, dès 1998, une Agence pour la Simplification administrative (ASA) rattachée au service de la Chancellerie du Premier ministre. À l’origine, l’ASA avait vocation à ne s’intéresser qu’à la problématique pour les entreprises, puis pour les citoyens à partir de 2003. En 2007, un Bureau de la mesure est créé à l’ASA avec comme objectif d’évaluer les diminutions de charges administratives potentielles (dans le stock en place et dans les projets potentiels). Les missions de l’ASA sont de faire des propositions de simplification, de stimuler et coordonner les initiatives, de réaliser des études, d’élaborer et d’appliquer une méthode de mesure des coûts pour les entreprises et les PME, d’organiser la collaboration des différentes administrations fédérales, d’élaborer les fiches d’impact administratif en collaboration avec les services du ministère des classes moyennes (mesure pour les particuliers), d’organiser la concertation relative à la simplification administrative avec tous les niveaux de pouvoir. Mais aussi, d’accompagner juridiquement le portage des projets d’e-gouvernement, de la concertation avec les administrations lors de la préparation d’actions de simplification, du rapport sur les résultats obtenus. En 2014, le budget de l’ASA était de 887 800 euros contre 611 800 euros en 2017, cela en gardant en mémoire que le calcul des charges administratives est sous-traité à un partenaire externe. Au niveau des effectifs, en 2014, l’Agence comptait 14 permanents contre 12 en 2017 mais, encore une fois, elle a recours à des externes pour les travaux de mesures (une dizaine de consultants en 2015) et lors des enquêtes biennales (60 000 euros par enquête). D’autres exemples d’institutions étrangères doivent aussi nous inspirer : le NormenKontrollrat, en Allemagne, qui existe depuis 2006 est une agence partiellement indépendante, rattachée au ministère des Finances, composée de 10 membres nommés pour 5 ans (sans appartenance administrative ou mandat électif) et soutenue par 15 agents chargés de contrôler les études d’impact et les évaluations sur le suivi des normes fournies par les ministères et d’assurer également le suivi infra-annuel des flux de législation avec agrégation des coûts des législations (et réglementations) publiées. |