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Coalition : comment ça marche chez nos voisins européens ?

Emmanuel Macron vient d’annoncer qu’il chargeait sa Première ministre de « continuer à élargir [la] majorité autant qu’elle le pourra avec des femmes et des hommes de bonne volonté ».  Cet élargissement au cas par cas serait préférable au prétexte que « c’est dur de bâtir des coalitions, ce n’est pas notre tradition politique »… Sauf que nos institutions permettent bien les coalitions. La Vème République, particulièrement souple, n’interdit en rien un accord de coalition en cours de mandat présidentiel entre plusieurs partis pour avoir une majorité avec un contrat clair et écrit sur les réformes à faire, et ce, sans dissolution ni même de changement de Premier ministre ou de remaniement gouvernemental obligatoirement, ce qui est une situation potentiellement unique en Europe. Une situation permise par notre régime semi-présidentiel ou parlementaire mixte, ce qui démultiplie les options. La mise en place d'une coalition déboucherait sur une sorte de « cohabitation choisie » mais qui permettrait de poursuivre les réformes. Le recours aux coalitions fonctionne, d’ailleurs, très bien chez nos voisins européens :

En Allemagne

L'Allemagne est un Etat fédéral et une démocratie parlementaire organisée sous le principe de la séparation des pouvoirs. Ainsi, le gouvernement est responsable devant le Parlement. En revanche, celui-ci ne peut renverser le gouvernement qu’en le remplaçant, à travers une motion de censure constructive. Dans les faits, chaque nouveau Chancelier pose une question de confiance en convoquant de nouvelles élections législatives. A noter que des élections législatives anticipées ne peuvent être provoquées que par un vote de confiance perdu.

Enfin, c'est le Président fédéral qui nomme la liste chargée de proposer une coalition, qui devra s’entendre sur un “contrat de coalition”, issu de négociations entre les partis qui veulent la former.

Lorsque le gouvernement propose un texte, ce denier passe en trois lectures au Bundestag. Les deux chambres peuvent amender le projet de loi. Il passe par un comité de conciliation des deux chambres. La dernière lecture se fait au Bundestag. A la fin, le texte doit être signé par le Président fédéral, qui n’use que très rarement de son veto.

  • Le Bundestag est composé de 736 députés, élus par un scrutin spécial qui mêle des éléments du scrutin majoritaire et du scrutin proportionnel. Si une liste fait moins de 5% aux élections législatives, elle ne peut être représentée au Bundestag.

On trouve 6 groupes au Bundestag avec d'un côté, la coalition qui compose aujourd'hui, la majorité :

  • SPD (sociaux-démocrates), 206 députés, 1 chancelier (Olaf Scholz) et 8 ministres, dont les plus importants sont l’Intérieur, le Travail et la Défense,
  • Grünen (Verts) : 118 députés, 5 ministres, dont l'Économie (Robert Habeck), les Affaires étrangères (Annalena Baerbock) et l’Environnement,
  • FDP (libéraux) : 92 députés, 4 ministres, dont les Finances (Christian Lindner), la Justice et les Transports.

Et l'opposition :

  • Union (CDU et CSU, chrétiens-démocrates) : 197 députés,
  • Alternative für Deutschland (extrême-droite) : 79 députés,
  • Linke (gauche radicale) : 39 députés.

Actuellement, la CDU/CSU est redevenue le premier parti mais les possibilités de coalition sont limitées. En effet, les Verts et le FDP sont considérés comme les partenaires de coalition dans la plupart des élections aux parlements des Länder par le SPD et la CDU, ce qui les place dans une position avantageuse. Durant les années Merkel, 3 de ses 4 cabinets étaient des “GroKo” (grande coalition, CDU/CSU-SPD) mais sa composition est largement impopulaire car elle impose aux deux grands partis historiques de faire des concessions. Lors de la dernière législative, la CDU aurait aimé faire une coalition “jamaïcaine”, avec le FDP et les Verts (car les couleurs des trois partis, à savoir noir, vert et jaune, sont celles du drapeau de la Jamaïque), mais comme le SPD était devant au nombre de députés, c’est ce dernier qui a eu l’initiative de créer un gouvernement. C'est, au final, une coalition “Ampel” (qui signifie "feu tricolore", car les couleurs des trois partis sont celles des feux de circulation en Allemagne) qui au pouvoir. Elle est assez critiquée, y compris à l’intérieur. Sur la guerre en Ukraine, les Verts reprochent au SPD et à Scholz un engagement trop faible. Le FDP et, en particulier, son ministre des Finances Lindner sont également affaiblis par leur ambiguïté : d’un côté, ils font partie de la majorité, mais d’un autre, ils gardent leur rôle historique de lanceur d’alerte sur les dépenses publiques.

Actuellement, la CDU/CSU est revenue à 30%, tandis que le SPD stagne autour de 20%, les Verts à 16%, et le FDP a plongé à 5-6%. C’est donc la CDU qui profite de son rôle d’opposant, mais qui fait face à un manque d’options pour gouverner à nouveau : le FDP s’est tellement affaibli, et les Verts n’ont pas envie de gouverner avec eux.

En Espagne

L'Espagne est une monarchie parlementaire où la chambre basse s’appelle, Congreso de los Diputados et la chambre haute, le Senado. Il y a 349 députés. Dans l'actuelle majorité, on retrouve :

  • 120 députés du PSOE (socialistes), menés par le Président du gouvernement Pedro Sanchez,
  • 33 de l’alliance de gauche radicale menée par Podemos.

Certains députés soutiennent le gouvernement, sans en faire partie. C’est le cas de 32 députés, ce qui permet d’atteindre ici 185 députés pro-gouvernement, donc une majorité. Ces députés viennent surtout de partis régionalistes (basques, catalans, galiciens), qui veulent des garanties de la part du gouvernement, sans participer à celui-ci.

Sinon, on retrouve un groupe “minorité”, à savoir les libéraux de Ciudadanos, composé de 9 députés. C’est ce qu’on pourrait comparer au groupe des Constructifs sous la précédente législature en France : ni soutien ni opposition. Cette position vient du fait que le parti libéral a perdu des électeurs ces dernières années et cherche à se replacer dans sa région historique, la Catalogne, en coopérant avec le gouvernement Sanchez.

Dans l’opposition claire et nette, on retrouve :

  • 88 députés du Parti populaire (conservateurs),
  • 52 députés du parti d’extrême-droite Vox,
  • 8 députés du groupe pluriel, qui rassemble des régionalistes de toute l’Espagne,
  • 7 non-inscrits.

Le gouvernement a été élu par le Parlement en 2020 mais, depuis, il a fait face à plusieurs remaniements. En 2021, le leader de Podemos, alors vice-président et ministre des Droits sociaux, Pablo Iglesias, démissionne pour se présenter à l'élection régionale de Madrid. Les remaniements sont difficiles, car il faut convaincre les partenaires de coalition de rester au gouvernement. Cette tâche est d’autant plus difficile que le Président du gouvernement a affaire non pas à des partis, mais à des alliances de partis multiples (provoqués par le système de scrutin proportionnel). De plus, il doit avoir confiance dans les partis qui le soutiennent sans participer au gouvernement. Tout cela, sur fond de revendications régionalistes, qui vont parfois jusqu’à l’indépendantisme. Des élections auront lieu normalement fin 2023, mais les tensions sont croissantes entre le PSOE et Podemos-IU sur de nombreux sujets géopolitiques (OTAN, Sahara occidental) ou sur les minorités régionales. Historiquement, l’Espagne était ancrée dans un bipartisme Parti socialiste/Parti populaire, qui tend à s’affaiblir depuis plus de dix ans.

Le Président du gouvernement qui dirige le Conseil des ministres, peut demander au Roi de dissoudre les deux chambres et peut également lui proposer de convoquer un référendum. Il contresigne les actes du Roi (sauf en ce qui concerne sa propre nomination). Il peut être renversé par une motion de censure constructive dont la proposition doit émaner de 10% au moins des députés et être votée à la majorité absolue. Après son élection, le Président du gouvernement pose une question de confiance au Parlement sur son programme.

Comme en Allemagne, l’Espagne a un système parlementaire assez fort, doublé par l'existence de parlements régionaux. Cependant, au contraire de l’Allemagne, l’Espagne est sujette à la montée d’une multitude de petits partis qui se distinguent par leurs particularités territoriales.

En Italie

L'Italie est une démocratie parlementaire décentralisée où un Parlement bicaméral (une Chambre des députés et un Sénat) où le Président est élu par les parlementaires, dans une séance commune et pour un mandat de 7 ans. Ce dernier, en concertation avec les partis politiques nomme le Président du Conseil des ministres qui prend la tête du gouvernement. Dans le cas où le "incarito" (personne chargée de former le gouvernement) ne parvient pas à former un gouvernement, il doit rendre son mandat au Président de la République. S’il a son gouvernement, le Président du Conseil doit obtenir un vote de confiance au Parlement, mais aussi l’approbation du Président de la République. Ce dernier a également la possibilité de mettre son veto sur des lois en dernier recours, s’il les juge inconstitutionnelles.

Le dernier gouvernement Meloni a obtenu la confiance en 2022 après la nomination de Giorgia Meloni par le président de la République Sergio Mattarella suite aux élections législatives. En Italie, les partis politiques ont l’habitude d’annoncer la coalition de leur choix avant l’élection. La formation d’un gouvernement avec le parti de Meloni Fratelli d’Italie, la Lega de Matteo Salvini et le parti de Berlusconi Forza Italia (ainsi que d’autres petits partis de droite) n’était donc pas une surprise. Les électeurs ont donc la possibilité de “choisir” la coalition. Dans le gouvernement, une partie des portefeuilles importants ont été donnés à Fratelli d’Italia : Justice, Défense, Relations avec le Parlement, Famille. La Lega obtient le Ministère des Infrastructures (dont le ministre est Matteo Salvini), l'Économie et les Finances et l'Éducation. Forza Italia obtient les Affaires étrangères (avec l’ancien président du Parlement européen Antonio Tajani) et l’Environnement.

Ce gouvernement émane de la composition de la majorité au sein de la Chambre des députés. Elle est, actuellement, composée de 238 députés :

  • Fratelli d’Italia : 118,
  • Lega : 66,
  • Forza Italia :44, 
  • Autres :10.

L'opposition est, elle, composée de 161 députés dont 69 du Parti démocrate (le parti de l’ancien chef du gouvernement Mario Draghi) et 52 du Mouvement 5 étoiles (qui avait également gouverné ces dernières années).

La coalition actuelle, historiquement la plus à droite de l’histoire de la République italienne, est considérée par beaucoup d’observateurs comme la conséquence d’un flou autour des précédentes coalitions, assez baroques (on se souvient de l’alliance entre le Parti démocrate de centre-gauche, le Mouvement 5 étoiles anti-système, réputé pour représenter les classes populaires du Mezzogiorno, et la Lega, qui est le parti populiste du Nord de l’Italie, autrefois sécessionniste).

Le scrutin italien est particulier : ⅓ de scrutin majoritaire, ⅔ de proportionnelle.

Historiquement, l’Italie était connue pour un parlementarisme relativement instable, rappelant la IVe République en France. Cette instabilité était le fait d’un bicamérisme parfait entre le Sénat et la Chambre des députés, mais également d’un nombre trop élevé de parlementaires. En 2015, une loi avait été votée pour garantir 55% des sièges au parti en tête. Puis un référendum de 2020 a introduit le système actuel qui avantage la recherche de majorités. 

Le système italien est traversé par deux tendances : l’éclatement des voix (cela fait très longtemps que le bipartisme a disparu) et la recherche de stabilité ces dernières années, qui peut conduire à la formation de coalitions improbables ou à la polarisation de la vie politique.

En Pologne

Le système politique polonais est intéressant, car il a des similitudes avec la France. En effet, le président de la République (actuellement Andrzej Duda) jouit d’un rôle plus important que dans les pays cités précédemment et est élu au suffrage universel direct pour 5 ans. Mais en même temps, le Premier ministre (actuellement Mateusz Morawiecki) mène la politique du pays et c’est lui qui représente la Pologne à l’étranger.

A la chambre basse (la Diète), c’est le scrutin proportionnel plurinominal qui détermine la composition. Comme en Italie, on a des coalitions préfabriquées qui se présentent avant les élections. En 2019, lors du dernier scrutin, c’est la coalition de droite conservatrice qui a gagné, avec 43,59 % des voix, ce qui lui donne la majorité absolue au Parlement. Or, cette coalition est en fait dominée par un seul parti, le PiS (Droit et justice).

Les 460 sièges de la Diète sont actuellement composés de :

  • 228 sièges pour la coalition au pouvoir,
  • 8 sièges de soutien sans participation,
  • 224 sièges pour l’opposition (principalement composée de libéraux).

Le parti Droit et justice domine la vie politique polonaise depuis plus d’une décennie. Déjà, l’exécutif est détenu en totalité par ce parti : le Premier ministre et le Président viennent du PiS (même si le président est considéré comme indépendant depuis 2015, date du début de son mandat) mais le parti est dirigé par Jarosław Kaczyński, frère jumeau de Lech, un ancien président décédé dans un accident d’avion en 2010. De fait, le vrai pouvoir est détenu par le chef du parti, qui a mené les différentes campagnes électorales. Même s’il n’occupe aucune fonction de ministre ou d’élu, ses déclarations et prises de position sont considérées comme celles du chef du gouvernement.

Le président de la République a, comme le Parlement et le gouvernement, l'initiative législative. Il peut apposer son veto sur un projet de loi, qui peut lui-même être annulé si ¾ des parlementaires le censurent. Le Président de la République a également la possibilité de demander un avis au Tribunal constitutionnel sur un projet de loi. Or, depuis quelques années, cette Cour suprême est très dépendante de l’exécutif.

Le Président a aussi le pouvoir de chef des armées et peut décider de la mobilisation générale en temps de guerre. Alors qu’en Espagne, en Italie et en Allemagne, le chef d’Etat (roi ou président) a un rôle de garant des institutions, en Pologne, il a un rôle qui s’apparente à un président gaullien.

La Pologne est donc un régime parlementaire, qui a tendance à se présidentialiser, sous l’impulsion d’un parti, Droit et justice, qui réussit presque à gouverner tout seul en obtenant près de la moitié des voix. On a certes un système de coalition, mais dans la réalité, c’est une coalition avec un parti central, et des petits partis qui s’y agrègent.

En Suède

La Suède est une monarchie parlementaire, l’une des plus anciennes du monde avec le Royaume-Uni. Le Parlement suédois n’est composé que d’une seule chambre, le Riksdag. Les députés sont élus au scrutin proportionnel uninominal. La composition de l’actuelle Riksdag est assez singulière : les deux partis (les sociaux-démocrates et les Démocrates de Suède, parti nationaliste) qui ont recueilli le plus de voix ne sont pas dans le gouvernement et celui-ci n’a pas de majorité absolue.

Avec 349 députés, le seuil de majorité est à 175. La composition est la suivante :

  • 103 députés pour le gouvernement de centre-droit : 68 modérés, 19 démocrates-chrétiens et 16 libéraux,
  • 73 députés qui soutiennent le gouvernement sans en faire partie : les Démocrates de Suède.

Ces deux groupes, avec 176 députés bénéficient de la majorité absolue mais le gouvernement est minoritaire car l'opposition est composée de :

  • 173 députés : 107 sociaux-démocrates, 24 socialistes, 24 centristes, 18 écologistes.

Ainsi, si les Démocrates de Suède ne participent pas au gouvernement, ils peuvent, de facto, le faire tomber. 

Seuls les partis ayant rassemblé au moins 4 % des suffrages exprimés sur l'ensemble du territoire sont admissibles à la répartition des sièges. À défaut, un parti qui aurait obtenu au moins 12 % des voix dans une circonscription peut avoir des élus mais ne peut bénéficier des mandats compensatoires.

Les députés peuvent proposer une motion de censure, qui nécessite la majorité absolue. Un seul ministre ou bien le gouvernement dans son ensemble peuvent être visés par cette motion. Le vote d'une motion de censure n'a pas d'effet si le gouvernement censuré organise des élections anticipées dans un délai d'une semaine.

En cas de chute du gouvernement, le président de la Diète royale (soit le président du Parlement) doit proposer un nouveau Premier ministre après consultation des présidents des groupes. Cette proposition est ensuite soumise au vote du Riksdag : elle est adoptée si moins de la moitié des députés votent contre.

En Suède aussi, le gouvernement est responsable devant le Parlement. Quant au Roi, il n’a qu’un rôle honorifique. Son rôle politique se limite à entretenir une relation privilégiée avec le chef du gouvernement, rencontrer les ministres quatre fois par an. Contrairement à d’autres monarchies, le Roi ne peut, même constitutionnellement, mettre un veto sur une loi. Quand une loi est adoptée par le Riksdag, deux ministres doivent la signer.

Qu'en conclure ?

Les exemples étrangers évoqués ci-dessus nous montrent que l'usage de coalitions de gouvernement recouvre une pratique tout à fait courante chez nos voisins européens qui disposent tous (qu'il s'agisse d'états fédéraux ou unitaires) de régimes parlementaires stricts voire "à tendance présidentialiste" pour la Pologne. La stricte logique parlementaire impose donc que le gouvernement soit responsable devant le Parlement et implique nécessairement l'organisation d'élections législatives avant tout pacte de coalition. La France de ce point de vue se situe dans une autre logique puisque son régime semi-présidentiel et sa pratique d'un parlementarisme "rationalisé", place le gouvernement et son chef le Premier ministre sous la double dépendance du Président de la République (qui nomme le second et le révoque sur présentation de la démission de son gouvernement) et du Parlement devant lequel il engage sa responsabilité. En ce sens, la mise en place d'une coalition et d'un pacte de gouvernement peuvent ne pas avoir à donner lieu à une démission du gouvernement actuel, mais à un simple remaniement, voir même à aucun remaniement, si l'on prend l'exemple suédois où les Démocrates de Suède soutiennent l'action du gouvernement sans y prendre part. La constitution française est donc particulièrement souple à cet égard en fonction du rapport de force législatif. Jusqu'à présent des lectures "présidentialiste" du régime ou "cohabitationniste" jusqu'à la mise en place du quinquennat se sont fait jour, en fonction de la congruence ou du désajustement entre la majorité présidentielle et législative... mais une lecture "parlementariste" est tout aussi légitime en cas d'éclatement des forces politiques. Une culture longtemps perdue depuis la fin de la IVème République voilà 65 ans et qu'il importe à la France de se réapproprier.