Aide médicale d’Etat : comment cela fonctionne chez nos voisins européens ?
Dans le cadre des dernières négociations autour de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration et alors que l’AME semble un point de cristallisation entre la majorité et l’opposition Les Républicains, il nous semble important de fournir une comparaison synthétique entre le régime de l’AME (aide médicale d’Etat) actuellement en vigueur en France et les mesures similaires en vigueur (lorsqu’elles existent) chez certains de nos voisins européens.
Afin de réaliser ce comparatif nous nous appuyons sur l’annexe 5 du rapport EVIN/STEFANINI de décembre 2023 ainsi que sur l’annexe II du rapport IGF/IGAS relatif à l’AME publié en 2019.
En Allemagne, une couverture immédiate et sans limitation de durée mais sur un panier de prestations resserré
La loi sur les avantages pour les demandeurs d’asile (AsylbLG) du 30 juin 1993 modifiée par l’article 4 de la loi du 17 juillet 2017 définit le régime des prestations applicables « aux personnes devant quitter le territoire (…) même si la menace d’expulsion n’est pas encore ou n’est plus exécutoire ». En ce sens cette loi s’applique aux personnes sans titre de séjour régulier.
Cette base juridique permet donc un accès inconditionnel et gratuit aux soins urgents dont le périmètre est défini comme les soins médicaux et dentaires nécessaires pour faire face à des « les maladies et douleurs aiguës ». A ce titre les prestations s’accompagnent de la fourniture de médicaments et de pansement, ainsi que « les autres services nécessaires au rétablissement, à l’amélioration ou au soulagement des maladies ou des conséquences de la maladie » ce qui ouvre dans une certaine mesure vers des soins d’aval, ainsi que les maladies contagieuses[1].
S’y ajoutent l’assistance aux femmes enceintes et allaitantes, via un soutien médical et infirmier, l’aide de sage-femmes, de médicaments, de pansements et autres traitements.
D’autres prestations sont fournies par les autorités sanitaires locales dépendantes des Länder : notamment si elles sont indispensables au maintien de la vie ou de la santé, aux besoins particuliers des enfants ou nécessaires à l’accomplissement d’un devoir de coopération administrative.
En pratique deux cas existent :
Pour les soins d’urgence (Eilfall), les prestations médicales sont fournies de façon non conditionnelle et gratuite par les professionnels de santé, qui seront remboursés à posteriori par les autorités compétentes ;
Pour les soins non-urgents (ambulatoires ou planifiés) les personnes en situation irrégulière doivent solliciter un « bon-maladie » (Krankenschien) auprès des autorités sanitaires locales. Ce bon « formalise l’accord préalable des autorités pour rembourser tout ou partie des soins engagés ». Il doit être présentés aux professionnels de santé pour l’obtention des soins.
Cependant les autorités sanitaires sollicitées[2] pour une feuille de soin (hors médecins couverts par le secret médical) ont une obligation de signalement aux autorités responsables de la politique migratoire. Cette obligation de signalement est cependant levée partiellement par extension du secret professionnel aux travailleurs sociaux des hôpitaux et au personnel des autorités sanitaires « en cas d’urgence ».
Le développement progressif des « bons de soin anonymes » mais plafonnés Pour éviter cependant un trop grand renoncement au soin (non-recours), le Land de Basse-Saxe a introduit en 2016 une expérimentation visant à délivrer des autorisations de soins anonymes (anonymer Krankenschein), permettant le traitement des étrangers en situation irrégulière. Les Länder de Thuringe et de Berlin ont suivi cet exemple. Actuellement, 10 Länder sur 16 soutiennent des centres de clearing (Clearingsstellen) dont une grande partie peut délivrer des bons de prise en charge anonymes. Dans le cas de la Thuringe, le Land soutien depuis 2017 l’association « bon de santé anonyme Thuringe). Ces bons couvrant auprès des médecins et des hôpitaux les soins « jusqu’à 500 euros ». Au-delà, l’association doit au préalable garantir le remboursement de soins (en se portant caution). Ainsi en pratique les personnes en situation irrégulière se tournent vers les prestations fournies par les associations qui sont en grande partie gratuite. L’offre associative peut toutefois demander au patient une participation aux frais (qui fait office de ticket modérateur) mais sur un plan totalement optionnel. |
En pratique le dispositif d’assistance médicale accordés aux demandeurs d’asile et aux étrangers en situation irrégulière est entièrement financé par les Länder avec une grande hétérogénéité (en vertu des principes de libre administration et de subsidiarité). Cependant, les hôpitaux peuvent voir contester par le bureau d’aide sociale la réalité de l’urgence lorsque cette catégorisation est alléguée.
Trois limites existent cependant au champ d’application des soins aux étrangers illégaux :
Le concept de maladie aiguë, qui exclut par définition les maladies chroniques du périmètre des soins à fournir de façon inconditionnelle et gratuite. C’est le cas du VIH bien que cette affection devrait théoriquement être prises en charge par les dispositions de la loi sur la protection sur les infections qui ne connait aucune exception (IfSG).
La définition des cas d’urgence (seul cas où une prise en charge puisse avoir lieu sans accord préalable des autorités sanitaires et délivrance d’un bon-maladie) est peu précise, ce qui laisse une grande marge d’interprétation aux autorités locales en charge de la politique de santé, Länder, communes, et donc de profondes divergences.
Afin d’obtenir un remboursement des soins les établissements médicaux doivent faire la preuve de l’indigence de la personne. Or cette preuve n’est démontrable que par la production de pièces difficiles à obtenir auprès de la population concernée. Il est donc fréquent que les demandes de remboursement des autorités sanitaires n’aboutissent pas.
Précisons qu’en Allemagne, le régime de prise en charge médicale dérogatoire est commun aux demandeurs d’asile et aux étrangers en situation irrégulière sans distinction. Il n’y a pas de délai de carence (il est d’application immédiate), par ailleurs il prend fin au bout de 18 mois pour les demandeurs d’asile (dont la demande est instruite en 7,6 mois en moyenne en Allemagne), durée portée par le dernier accord le 6 novembre 2023 à 36 mois[3]. Il est en revanche sans limitation de durée pour les personnes en situation irrégulière.
Belgique, un dispositif décentralisé, complexe et non centré sur les illégaux
En Belgique, le régime régissant l’accès des personnes en situation irrégulière est défini par la conjonction de la loi du 8 juillet 1964, de la loi du 8 juillet 1976, de l’arrêté royal du 12 décembre 1996 et de la loi du 18 mars 2018. En vertu de ces dispositions, les personnes en situation irrégulières peuvent bénéficier gratuitement de l’AMU (aide médicale urgente) en étant considérées comme « indigentes ».
Des conditions existent pour bénéficier de l’AMU :
L’AMU n’est activable qu’après un délai de carence de 3 mois depuis l’entrée sur le territoire.
Les soins doivent avoir été prescrits par un professionnel de santé qui remplit une attestation d’urgence prouvant la « nécessité » des soins ;
La personne doit prouver qu’elle réside dans le district où se situent son CPAS (centre public d’action sociale) et qu’elle apporte les preuves de son « indigence » la rendant incapable de rendre en charge ses frais de soins ;
L’enquête sociale[4] permettant de déterminer l’indigence du demandeur vérifie que le seuil correspondant au revenu d’intégration n’est pas dépassé (1.263 euros pour une personne seule, 842 euros pour une personne cohabitante).
Cependant il n’existe pas de définition des « soins nécessaires » ni d’une liste des soins admissibles pour l’AMU. Pourtant son périmètre est très extensif :
D’une part en vertu de l’arrêté royal du 12 décembre 1996, l’AMU « peut être prestée tant de manière ambulatoire que dans un établissement de soins », tandis que l’AMU peut couvrir des soins curatifs mais aussi préventifs, en cas de maladie contagieuse et des mesures de prophylaxie. L’AMU peut permettre la continuité des soins et assurer la protection du patient et de la santé publique ;
D’autre part l’avis du 19 septembre 2015 du Conseil national de l’ordre des médecins qui a définit la notion de caractère urgent : « ce n’est pas à la dénomination de l’aide médicale qu’il convient de s’attacher, mais aux besoins qu’elle doit couvrir. » Ainsi, « les soins médicaux dispensés aux étrangers en séjour irrégulier ne peuvent se limiter aux soins immédiats et urgents à caractère vital mais qu’ils doivent inclure tous les soins nécessaires à une vie conforme à la dignité humaine. »
Ainsi l’architecture globale repose sur le médecin qui à la charge de prescription des soins et de leur administration mais également doit remplir l’attestation d’urgence. Cependant la loi du 18 mars 2018 cherche à maîtriser la très grande ouverture du panier de soin de l’AMU :
Elle crée une procédure de contrôle exercé par un médecin de la Caisse auxiliaire d’assurance-maladie-invalidité (CAAMI) qui vérifie à posteriori que les soins administrés par les médecins prescripteurs relèvent de l’AMU et notamment sur caractère urgent. Il existe donc une jurisprudence de la CAAMI permettant de définir de façon pointilliste la liste des soins exclus du champ de l’AMU.
Lorsque le médecin de la CAAMI émet un avis négatif, le médecin exécuteur sera sanctionné financièrement et empêchera le remboursement des soins aux structures chargées d’octroyer les soins (CPAS) ; mais en dernière analyse le principe d’appréciation souveraine du médecin reste premier[5].
Les mineurs étrangers ont le même niveau de protection (protection renforcée) que les nationaux quant aux droits à l’assurance santé.
L’AMU contrairement à l’AME française est un dispositif très largement décentralisé. L’AMU est définie au niveau fédéral mais gérée localement par les CPAS[6]. Ce sont ces centres qui ont pour mission de rendre effectif le droit constitutionnel de « mener une existence conforme à la dignité humaine ». Ce sont ces centres qui peuvent accorder un certain nombre d’aides sociales, toujours sur la base d’une enquête individuelle. C’est à ce titre qu’ils doivent garantir le droit « aux soins nécessaires » aux individus en situation irrégulière. En pratique cependant plusieurs obstacles ont été relevés :
La procédure d’administrative est complexe et peu connue des migrants ; le taux de recours de l’AMU par les illégaux est de l’ordre de 10% à 20% ;
La procédure est lente : l’enquête sociale préalable à l’issue de laquelle le CPAS octroie l’autorisation d’accès aux soins peut prendre plus de 30 jours. Le délai est allongé si le bénéficiaire change de lieu de résidence et doit alors en référer à un nouveau CPAS qui procèdera à une nouvelle enquête sociale.
L’accès aux soins est très hétérogène selon les CPAS (seuils de détermination de l’insuffisance des ressources, champ des soins pris en charge, durée de validité de l’AMU, qui peut aller de 1 à 30 jours voir 92 jours (généralement) ou 1 an.
Il existe généralement un ticket modérateur qui reste à la charge du patient sauf pour les hospitalisations. Les CPAS ont toute latitude pour fixer des règles dans leur zone de compétence (prise en charge de toute ou partie du ticket modérateur, voir aucune prise en charge).
L’AMU belge ne vise pas que les migrants illégaux Le bénéfice de l’AMU en Belgique ne s’adresse pas uniquement aux étrangers séjournant illégalement dans le Royaume. Elle bénéfice également aux autres catégories d’étrangers qui sont exclus du droit à l’aide sociale :
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L’Etat fédéral belge est compétent en matière de santé publique et de protection sociale sans intervention des entités fédérées. En conséquence l’AMU est octroyée par l’Etat fédéral sur base d’un pilotage local (CPAS). Il s’agit donc de l’application du principe de subsidiarité. L’Etat est le payeur final de l’AMU et son financeur tandis que les CPAS sont le pivot avec les professionnels de santé et le bénéficiaire. Si l’Etat fédéral fixe le cadre légal les CPAS jouissent d’une autonomie de décision pour arrêter les définitions locales de ces conditions d’accès et le pouvoir d’octroi leur revient finalement (indépendamment du panier de soin définit par le médecin prescripteur). L’AMU est donc une allocation fortement territorialisée. Les CPAS sont tenus au secret professionnel et ne doivent pas communiquer aux autorités fédérales les informations issues de l’enquête sociale.
Danemark : aucune procédure n’est formalisée - uniquement l’urgence
Au Danemark, le droit d’accès au service de santé est dépendant d’un critère de résidence, via l’inscription au registre de la population (Folkeregistret). Néanmoins, l’article 7 de la loi sur la santé, précisé par l’ordonnance n°293 du 27 mars 2013 sur le droit à un traitement hospitalier prévoit une exception : les personnes non enregistrées[7] ont un accès limité aux services de santé public reposant sur une évaluation médicale du patient :
Le droit de subir un traitement hospitalier aigu dans la région de résidence en cas d’accident, de maladie apparue subitement, d’accouchement ou d’aggravation d’une maladie chronique. Le traitement est alors accordé selon les mêmes conditions que les résidents danois à savoir de façon inconditionnelle et gratuite.
Lorsqu’il n’est pas jugé raisonnable de diriger la personne vers un traitement dans son pays d’origine : cette appréciation étant laissée au Conseil régional de la région de résidence. Celui-ci peut exiger le paiement de ces derniers traitements ou les accorder gratuitement « lorsque cela est jugé raisonnable compte tenu des circonstances. »
Un panier de soin extrêmement réduit sauf « urgence » pour les illégaux La loi danoise ne prévoit pas de cas particulier pour le suivi de la maternité et de l’enfance, ni d’accès à la vaccination et aux traitements des maladies contagieuses pour les non-résidents. Il faut donc que des cas considérés comme « aigus » soit identifiés pour bénéficier des exceptions prévues par la loi : complications et naissances hors terme par exemple. Les enfants nouveaux nés n’ont pas théoriquement droit aux examens médicaux et aux vaccinations qui sont réalisés pour les enfants résidents. Par ailleurs la loi n’autorise pas les personnes sans domicile enregistré au Danemark à :
Le Danemark est donc le seul pays scandinave à n pas proposer de soins de santé autres que ceux d’urgence pour les femmes enceinte et les enfants en situation irrégulière. Depuis le 1er juillet 2019 tous les traitements hospitaliers urgents sont facturés en 1ère étape pour les personnes non-résidentes au Danemark. Les remboursements intervenants ensuite. |
A noter cependant que l’article 42 de la loi sur l’immigration précisée par l’ordonnance n°239 du 10 mars 2019 précise que les personnes ayant déposé une demande d’asile et les « étrangers » n’ayant pas le droit de résider au Danemark mais s’étant fait connaître aux autorités (dont sortant de la clandestinité) forment une catégorie à part :
Leurs frais d’entretien (vêtements, hygiène, nourriture) et de santé sont couverts par le service de l’immigration ;
Leurs enfants bénéficient des mêmes prestations que les enfants résidents ;
Le périmètre des prestations est limité aux soins « nécessaires » c’est-à-dire urgents[8] et/ou visant à soulager la douleur.
En pratique les conditions d’accès aux soins et leurs conditions financières sont « floues » et dépendent de l’appréciation des médecins/hôpitaux et des régions qui les gèrent. Le Danemark étant un pays très décentralisé. Le ministère de la Santé fixe les orientations de la politique de santé qui est mise en œuvre par les 5 régions et les 98 communes du pays :
Les régions en effet ont pour charge les hôpitaux et des professionnels de santé libéraux ;
Les municipalités ont la charge du médicosocial, de la prévention, de la rééducation, de l’éducation (du périscolaire au collège) et de l’aide social eu sens large.
Pour autant, les municipalités ne peuvent fournir une assistance sanitaire et sociale qu’aux personnes qui ont une base légale de résidence au Danemark. Ainsi seuls les bénévoles et privés peuvent fournir une aide sanitaire aux personnes en situation irrégulière.
Un guide de la loi sur la santé considère cependant que les régions « peuvent considérer qu’il est raisonnable de fournir un traitement gratuit à titre exceptionnel » dont font partie les migrants non enregistrés. Les personnes irrégulières doivent signaler à l’hôpital qu’elles font partie de ces cas exceptionnels ce qui revient à se faire connaître des autorités[9] – bien que les professionnels de santé soient tenus eux-mêmes au secret professionnel.
Accès aux soins urgents | Accès aux soins non urgents | Participations financières |
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De façon inconditionnelle en cas d’accident, maladie subite, aggravation d’une maladie chronique. Pas pour les accouchements intervenus à terme, sans complication. | Uniquement lorsqu’il est considéré déraisonnable de rediriger cette personne vers son pays d’origine. Les cas pris en charge dépendent des établissements de santé et des autorités sanitaires locales (régions). | Aucune en principe pour les soins urgents. Au cas par cas pour les soins non urgents, en fonction des établissements de santé et des autorités sanitaires locales (régions). |
Espagne : un accès sans restriction pour les illégaux de plus de 3 mois enregistrés
Le décret-loi 7/2018 du 27 juillet 2018 instaure un droit d’accès des étrangers « ni enregistrés[10], ni autorisés à résider » au système de santé et à des soins gratuits (financés sur fonds publics), « dans les mêmes conditions que les personnes de nationalité espagnole. » Il s’agit d’un rétablissement puisque ce droit avait déjà été introduit par l’article 3ter de la loi 16/2003 relative au système de santé national qui avait ensuite été fortement limité aux soins urgents, à la maternité et aux mineurs de moins de 18 ans par le décret du 20 avril 2012.
Le décret-loi 7/2018 rétablit le principe d’un droit universel aux soins de santé. Il s’agissait pour le Gouvernement espagnol de décharger les urgences hospitalières, qui étaient devenu le dernier recours des sans-papiers. Néanmoins, 3 conditions ab initio cumulatives sont requises pour bénéficier de l’accès gratuit au système de soin espagnol :
La personne ne doit pas disposer d’une couverture santé découlant des dispositions de l’UE (règlement UE de sécurité sociale), ou d’accord bilatéraux ;
La personne ne doit pas pouvoir exporter un droit à la couverture maladie depuis son pays d’origine ;
Il ne doit pas exister de tiers « obligé de payer » c’est-à-dire que l’intéressé ne doit pas avoir souscrit d’assurance-maladie valide en Espagne (mutuelle, assurance privée) ;
Le ministère de la Santé a enjoint aux communautés autonomes (CCAA) la mise en œuvre de ce droit qui suppose plusieurs conditions additionnelles matérielles :
Un document accréditant l’identité : pièce d’identité officielle, en leur absence, un document avec une photographie délivrée par l’administration générale de l’Etat.
Une résidence préalable d’au moins 90 jours[11] : cette condition de résidence peut être attestée par un certificat d’enregistrement auprès d’une commune de résidence[12]. Pour les illégaux sans domicile fixe, une attestation de résidence effective préalable peut être obtenue en fournissant des documents officiels émis par n’importe quelle administration d’Etat (inscription des enfants à l’école, auprès des services sociaux locaux etc…). Pour les greffes la condition de résidence est portée à 2 ans.
La non-exportation du droit : voir les trois points liminaires supra. La non disposition d’une couverture maladie de son Etat d’origine ou de provenance pouvant être prouvée grâce à un certificat de non-exportation de droit (pour les ressortissants de l’UE) et d’une déclaration sur l’honneur de l’absence de tiers obligé de payer (quel que soit le pays d’origine).
Le traitement se fait au sein de l’administration du service de santé régional avec un délai maximal de traitement des demandes d’accès aux soins de 3 mois. Ce délai court à partir du moment où le dossier est considéré comme complet (il s’agit donc d’un délai d’instruction). Pendant ce temps le demandeur reçoit un document temporaire de 3 mois qui permet l’accès au système de soin de la même durée.
En cas d’acceptation, le demandeur est inscrit dans la base de données de la population de la Communauté autonome et reçoit un numéro d’identification régional (CIPA) lui permettant d’être inscrit dans la base de données du Service national de santé. Cette inscription doit être renouvelée tous les 2 ans.
En cas de refus, la personne est informée de la possibilité de souscrire un contrat d’assistance sanitaire payant. Tous les recours ne sont pas éteints. S’ils ne peuvent faire la preuve de résidence de 3 mois, les migrants irréguliers doivent se rendre auprès des services sociaux de la communauté autonome compétente qui instruiront leur demande et leur délivreront un carnet autorisant l’ouverture de l’accès aux soins.
Un panier de soins XXL mais territorialisé pour les illégaux sans domicile fixe La décentralisation du système de santé emporte des conséquences pour les migrants illégaux sans domicile fixe prouvé de plus de 3 mois : ce sont les régions qui sont responsables des modalités de mise en œuvre et de financement. Ces derniers ne peuvent se faire soigner que dans les structures situées dans le ressort de la région autonome qui leur a livré leur carnet d’ouverture de droits d’accès aux soins En revanche pour les autres, leur numéro d’identification CIPA leur donne accès à une carte de santé de portée nationale. S’agissant des droits, le panier de soins pour les étrangers en situation irrégulière est identique à celui des bénéficiaires espagnols (ou résidents légaux) du système national de soins pour une durée de 2 ans (renouvelable). Cependant les médicaments prescrits sont soumis à un ticket modérateur de 40% du prix de vente au public, montant identique à celui applicable par principe au reste de la population. L’exemption du ticket modérateur applicable aux migrants réguliers ne s’appliquant pas aux migrants irréguliers. Cette exemption est par ailleurs valable pour les segments les moins aisés de la population résidente. |
Italie, un panier de soin très large mais restreint pour les européens
L’article 32 de la Constitution italienne dispose que « La République protège la santé comme droit fondamental de l’individu et intérêts de la collectivité. » Ce principe intangible a par ailleurs été reconnu tant par la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat italien, en faisant primer ce principe sur l’intérêt de l’Etat à expulser les étrangers sans titre de séjour[13]. Le droit à la Santé est donc un droit universel posé par la Constitution de 1948, qui ne fait jouer aucun principe de réciprocité (il est inconditionnel).
D’après un décret législatif n°286 du 25 juillet 1998 « les ressortissants étrangers présents sur le territoire national qui ne respectent pas les règles en matière d’entrée et de séjour bénéficient, dans les établissements accrédités, de soins médicaux ambulatoires et hospitaliers urgents ou, en tout état de cause, essentiels bien que continus pour cause de maladie et d’accident. » Et ce, malgré la non-inscription au SSN (service sanitaire national[14]).
La circulaire n°5 du 24 mars 2000 précise l’interprétation du décret législatif :
Les « soins urgents » sont des « soins qui ne peuvent être différés sans danger pour la vie ou sans dommages pour la santé de la personne. »
Les « soins essentiels » sont des « prestations de santé, de diagnostic et de traitement liés à des maladies non dangereuses dans l’immédiat et à cour terme, mais qui, à terme pourraient entraîner des dommages majeurs pour la santé ou un risque pour la vie (complications, « chronicisation » ou aggravation) »
L’adjonction de soins essentiels aux soins urgents permettant d’inclure dans une certaine mesure des maladies chroniques dans le périmètre de pathologies prises en charges.
Le principe de continuité des soins « dans le sens de garantir aux malades le cycle complet du traitement et la réadaptation en vue de la possible résolution de l’événement morbide. »
Ils disposent également du bénéfice de programmes de médecine préventive individuelle et collective, ce qui débouche pour ces personnes sur la prise en charge à interprétation très large :
Des soins relatifs à la grosses et à la maternité, « dans des conditions d’égalité de traitement avec les citoyens italiens » en vertu de la loi du 29 juillet 1975 n°405 et du 22 mai 1978 n°194 ainsi que du décret du ministre de la Santé du 6 mars 1995.
De la protection de la santé de l’enfant en application de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 ratifiée par la loi du 27 mai 1991 n°176 ;
Des vaccinations conformément à la réglementation et dans le cadre des campagnes de prévention collective autorisées par les régions ;
Des interventions de prophylaxie internationale ;
Du diagnostic et du traitement des maladies infectieuses et le cas échéant de la résorption des foyers infectieux correspondants.
Par ailleurs, toutes ces prestations sont fournies au demandeur gratuitement s’il ne dispose pas des ressources financières suffisantes, et de l’application d’un ticket modérateurs[15] aux prestations demandées aligné sur celui demandés aux résidents légaux en Italie, lorsqu’il existe. Enfin, le décret législatif n°286 du 25 juillet 1998, article 35 précise qu’aucun type de notification à l’autorité – sauf dans le cas où le signalement est obligatoire (notamment en cas de pandémie ou de maladie contagieuse) – n’est applicable dans l’accès aux services de santé pour l’étranger en situation irrégulière.
Lors du 1er recours à la prestation le bénéficiaire se voit attribué un code d’étranger temporaire présent (STP[16]) valable pendant 6 mois et renouvelable si l’étranger demeure sur le territoire national. Le numéro STP est utilisable sur l’ensemble du territoire national. Le code STP sert :
Pour signaler le remboursement (par les régions) des structures accréditées du service de santé national (SSN) ayant réalisés les prestations demandées.
Pour la prescription des médicaments par les pharmacies affiliées.
Un panier très large mais resserré progressivement par les régions Chaque année, le CIPE (comité interministériel pour la programmation économique) attribue aux régions une part du FSN (Fonds national de la santé) destinée à l’assistance sanitaire des étrangers dépourvus de titre de séjour. Le ministère de la Santé finance également a posteriori sous forme de remboursement, les frais des soins hospitaliers urgents et essentiels fournis par les autorités sanitaires locales compétentes en matière de santé (ASL, AO et AOU[17]) formant les USL. La concurrence entre l’Etat et les régions s’agissant de la prise en charge sanitaire des migrants a dans un premier temps conduit à des législations plus larges et favorables dans certaines régions (Toscane (2009), Pouilles et Campanie etc.). Mais au fil du temps « l’augmentation du phénomène et son poids croissant sur les finances locales ont eu raison de cette approche ouverte ». C’est ainsi principalement pour des raisons financières que les régions et municipalités sont devenues désormais beaucoup plus restrictives dans l’offre de soins aux migrants irréguliers. En effet, la jurisprudence a confirmé l’interdiction d’expulsion des étrangers en situation irrégulière en Italie qui ont besoin de soins urgents et non reportables. |
L’état d’indigence est attesté au moment de l’attribution du code régional STP par la signature d’une déclaration d’indigence valable 6 mois. Cette déclaration permet d’accéder à des soins gratuits dans la limite des prestations définies par le panier retenu en vertu du décret de 1998. Les frais de santé sont pris en charge par l’Unité sanitaire locale (USL) du lieu de prise en charge qui en obtient remboursement :
Du ministère de la santé (à compter de 2016, de celui de l’intérieur auparavant) pour les prestations « urgentes ou en tout état de cause, essentielles ».
Du Fonds national de la Santé (FSN) pour les autres prestations, la charge correspondante étant compensée par une réduction à due concurrence des programmes d’intervention d’urgence gérés par les régions.
Le code STP (sorte de carte sanitaire spécifique pour les étrangers irréguliers) témoigne du fait qu’en Italie, un bénéficiaire ne peut rester anonyme afin de pouvoir évaluer les responsabilités des prestataires de soins et des agents de santé, mais aussi pour pouvoir signaler à l’autorité consulaire de l’Etat d’origine les signalements de maladies infectieuses et diffuses qui font l’objet d’une notification obligatoire.
Les mineurs étrangers européens moins bien traités que les extra-européens Depuis 2017 les mineurs étrangers présents sur le territoire national doivent être inscrits au SSN. Les mineurs ont donc droit à un panier de soins identique aux mineurs nationaux en vertu de la définition des « niveaux essentiels de soins » (LEA) pour l’ensemble de la population. Cette inscription doit être réalisée par la personne exerçant l’autorité parentale ou le responsable du 1er accueil. Cependant en sont exclus les mineurs enfants de citoyens de l’UE en situation irrégulière, qui n’accèdent aux soins de santé par l’attribution d’un code ENI (European Non-Enrolled). Ces codes n’ont de validité que régionalement et non au niveau national contrairement au code STP. Il existe donc une discrimination objective car la non-inscription au SSN entraine la perte de droit au libre choix du pédiatre et donc de n’être soigné que dans des centres de consultation ou dispensaires STP/ENI. En pratiquez cependant, il existe de nombreuses disparités dans les régions pour les mineurs étrangers en situation irrégulière : absence d’enregistrement des mineurs de 14 à 18 ans, mineurs sans code fiscal qui est généralement requis pour l’attribution de la carte sanitaire d’enregistrement. Ainsi les mieux couverts sont les mineurs nés en Italie qui disposent automatiquement d’un code fiscal pour s’inscrire au SSN. En cas d’absence de CF, les codes STP/ENI sont utilisés de façon « élargie » avec possibilité d’accès au pédiatre ou au médecin généraliste librement choisis uniquement pour les extra-européens ou pour tous mais dans le cadre de leur région d’enregistrement. La Lombardie a choisi d’inscrire directement dans le SSN en utilisant un code STP au lieu d’un C.F. |
Le Royaume-Uni : hors urgences, il faut payer pour être soigné
L’accès aux soins des migrants en situation irrégulière au Royaume-Uni est défini par l’immigration Act (2014), le Charging Regulations (2017) et des orientations du National Health Service (NHS). L’articulation des dispositifs mis en place en faveur des migrants irréguliers s’effectue suivant une logique à deux niveaux :
Les soins de 1er recours sont gratuits pour tous indépendamment de la régularité du séjour ;
Sauf exception les personnes non-résidentes contribuent au financement de leur prise en charge hospitalière.
Cette dichotomie recoupe largement la gradation des soins où l’on distingue les soins primaires fournis par les médecins généralistes et les soins secondaires spécialisés fournis principalement en milieu hospitalier.
Ainsi l’accès aux soins est gratuit pour une liste restreinte de traitements :
Les traitements immédiatement nécessaires pour le patient : sauver leur vie, prévenir l’apparition d’une maladie susceptible de porter atteinte à leur vie ou d’avoir un impact irréversible sur la santé du traitement ;
Les traitements urgents qui sans être nécessaires immédiatement ne peuvent raisonnablement pas attendre le temps que la personne quitte le territoire. Plus la personne doit rester au Royaume-Uni, plus le spectre de soins pris en charge gratuitement est large[18].
La charge de l’identification de l’urgence ou de la non-urgence et de la nécessité immédiate revient au praticien. Celui-ci un rôle de tri de 1er niveau central d’autant que tout patient doit être enregistré auprès d’un médecin généraliste pour en obtenir une consultation.
Par ailleurs, si les médecins généralistes « ne peuvent refuser une demande d’enregistrement d’un patient (…) [et] n’est pas davantage habilité à vérifier la régularité du séjour d’un patient sollicitant cet enregistrement (…) il peut demander un justificatif de résidence » afin de vérifier que le patient réside bien dans sa zone de rattachement.
Toutefois si le médecin refuse l’enregistrement il doit prescrire gratuitement tous les traitements nécessaires à la demande du requérant, et ce, pendant un délai maximum de 14 jours.
Pour les autres soins réputés « non-urgents » ou « non immédiatement nécessaire », le principe qui s’applique aux migrants en situation irrégulière se répartit comme suit :
Pour les femmes enceintes, les demandeurs d’asile et les mineurs, l’accès aux soins sera gratuit quelle que soit leur situation sur le territoire (irrégulière ou non) ;
Pour les autres migrants en situation irrégulière l’accès aux services de soins est payant à hauteur de 150% du coût du service rendu (Immigration Health surcharge (IHS)). Son paiement s’effectue en vertu du principe de l’upfront charging, c’est-à-dire que le soin n’est administré qu’une fois le paiement ou la vérification de la capacité du patient à payer est réalisé.
Pour limiter les créances non recouvrables, les étrangers s’ils ne peuvent pas payer doivent normalement fournir une promesse écrite de paiement. Si celle-ci ne peut pas être produite, le traitement peut leur être refusé ou être réorientés vers le secteur privé. Toutefois si l’urgence médicale est établie par le praticien, l’avance des frais n’est pas requise, le recouvrement s’effectuant a posteriori. Par ailleurs :
Sont exemptés de l’acquittement des frais hospitaliers, les citoyens des pays d’origine ayant conclu un accord bilatéral de sécurité sociale avec le Royaume-Uni, tout comme les réfugiés, les demandeurs d’asile, certains déboutés du droit d’asile, ainsi que les enfants et les étrangers en situation irrégulière ayant fait une demande de titre de séjour depuis plus de 6 mois pendant l’examen de leur demande.
Certains soins hospitaliers délivrés par le NHS sont gratuits : diagnostic et traitement des maladies infectieuses, traitement des maladies sexuellement transmissibles, planning familial (sauf IVG). Les soins d’urgence sont également gratuits mais pas les soins de suite.
Tous les soins deviennent payants s’il est établi que la personne est venue au Royaume-Uni dans le but de les recevoir (« tourisme » médical sauvage).
Des mesures contraignantes pour limiter l’accès au NHS aux migrants irréguliers Les mesures arrêtées pour freiner l’afflux de migrants sans papiers vers le NHS ont été de trois ordres : renforcement du paiement ex ante des frais de santé, recouvrement amélioré, reporting des irréguliers auprès des services de l’Immigration. Un reporting auprès des services de l’immigration : en 2017 le ministère de l’Intérieur a passé une convention avec le NHS précisant que les docteurs devraient lui transmettre les informations « non-cliniques » des patients (dernière adresse connue, date de naissance etc.) dans le but de faciliter le renvoi en dehors du territoire britannique. Cette disposition a toutefois été abandonnée en 2018. Toutefois même si des lieux spécifiques existent pour les migrants irréguliers afin de bénéficier des traitements (NHS Trusts, hôpitaux publics, maternités), les migrants se rabattent vers les centres associatifs gérés par des ONG (Médecins du monde etc.). Une modification pour les soins hospitaliers de « second recours » : la réglementation sur la facturation des visiteurs étrangers du NHS England du 6 avril 2015 précise que les hôpitaux dans ce cadre sont désormais « dans l’obligation de déterminer si un patient doit être facturé pour les soins qu’il reçoit. » Les établissements disposent d’agents dédiés aux patients étrangers (overseas vistor managers) qui évaluent l’éligibilité à la grauité des soins ou des perspectives de recouvrement. En 2017 cette approche a encore été renforcée :
Un recouvrement amélioré : les hôpitaux du NHS peuvent effectuer un signalement au Home Office lorsqu’un patient étranger est débiteur d’une créance d’au moins 500£ et si elle n’est pas réglée dans les 2 mois suivant l’acte médical. Dans ce cas le Home Office est fondé à rejeter toute demande de visa ou de titre de séjour tant que le patient débiteur ne s’est pas acquitté de sa dette. Symétriquement, comme le NHS ne dispose d’aucun document déterminant de façon univoque si un patient est éligible ou non à la gratuité des soins, et que cette faculté peut évoluer en fonction du statut migratoire du demandeur, notamment s’il ne dispose d’aucun document d’identité, le NHS peut solliciter le Homme Office afin de disposer d’informations sur le statut migratoire du patient (démarche bottom up). Le risque évident résultant de ces pratiques est l’accroissement du renoncement aux soins des migrants. |
Suède : un dispositif aligné sur celui des réfugiés mais en voie de durcissement
Les dispositions relatives aux migrants sans papier se retrouvent dans la loi n°2013-407 sur les soins de santé pour certains étrangers résidant en Suède sans les autorisations nécessaires, qui énonce les obligations s’imposant aux conseils de comté responsables pour la politique de santé, ainsi que par les dispositions de la loi n°2017-30 sur la santé et les soins médicaux et la loi n°1985-125 sur les soins dentaires.
Tout d’abord, le droit du travail suédois interdit de travailler sans permis de travail. En conséquence, les personnes sans papier sont soit sans activité, soit exercice une activité illégale. Précisons par ailleurs que les citoyens de l’UE/EEE sont exemptés des règles de visa et n’ont pas besoin d’un permis pour séjourner en Suède pendant une durée maximale de 90 jours. Au-delà de cette limite ils deviennent eux aussi des illégaux.
Doivent être cependant offerts à ces personnes gratuitement :
Lorsqu’elles ont moins de 18 ans, l’ensemble des prestations de droit commun ;
Lorsqu’elles ont plus de 18 ans : les soins qui ne peuvent attendre et les soins de santé maternelle et d’avortement, ainsi que des conseils sur la contraception.
Il n’y a pas de délai de carence, la couverture intervenant dès l’arrivée sur le territoire national ou l’expiration du titre de séjour et s’applique pour une durée indéfinie si le statut n’est pas régularisé.
C’est ce qui relève en dernière analyse du principe du likvärdig vård [19], c’est-à-dire du droit de tout à chacun de disposer de soin de même qualité, quelle que soit la condition économique, sociale ou la régularité du séjour du patient sur le territoire national. Précisons par ailleurs que dans la législation actuelle s’applique également le principe du secret médical (tystanedsplikt) et de confidentialité des échanges avec le patient (patientssekretess).
La conception de « soins qui ne peuvent pas attendre » est précisé par le commentaire de loi n°2012-13 :109 proposé par le Gouvernement au Parlement le 14 mars 2013 : il s’agit des « soins et traitement des maladies et des blessures dans les cas où même un retard modéré aurait des conséquences graves pour le patient. Par ailleurs des traitements consécutifs associés y sont adjoints : traitement anti-tiberculeux, contrôle par rayons X de la guérison d’une fracture, enlèvement d’un plâtre, pose d’une prothèse dentaire en cas d’extraction dentaire, pose d’une prothèse de membre en cas d’amputation.
Ces soins doivent être prodigués à un stade précoce, lorsque ces traitements peuvent prévenir le développement d’une maladie plus grave et la nécessité d’un traitement plus étendu.
Un principe de faveur existe permettant aux comtés d’offrir aux étrangers de + de 18 ans révolus des prestations supérieures à celles définis au niveau étatique (c’est le cas dans 6 comtés sur les 21 existants). Le comté fixe alors les conditions de règlement des frais correspondants. Ce principe de faveur n’est cependant pas absolu et ne paralyse pas l’action du Gouvernement qui peut en moduler à la baisse le contenu : le gouvernement ayant toutes latitudes pour édicter des règlements sur les frais de soins de santé et sur les produits pharmaceutiques et autres produits.
Par ailleurs le commentaire de loi susmentionné précise que les soins offerts aux personnes résidentes sans permis doivent être subventionnés. Ainsi en sens inverse un comté peut facturer des frais à sa convenance mais de façon plafonnée puisqu’ils ne doivent pas « dépasser les frais applicables aux demandeurs d’asile.[20] »
Un tournant en cours dans la générosité du système suédois Le Gouvernement du Tidö l’actuelle coalition de droite et d’extrême droite au pouvoir souhaite limiter le droit des réfugiés et des sans-papiers aux soins d’urgence gratuit. L’ensemble des autres soins étant financés par les patients eux-mêmes. En particulier les soins les plus coûteux que sont les soins dentaires d’urgence et les soins dentaires « ne pouvant attendre » seraient retirés de la liste des prestations offertes aux réfugiés et aux personnes en situation irrégulière[21]. Il veut également obliger les communes et les administrations à signaler au Ministère de l’Immigration (Migrationsverket) les personnes en situation irrégulière sur le territoire suédois. Cette obligation d’information portant sur l’ensemble des agents du secteur public : professeurs, travailleurs sociaux, bibliothécaires ou même les professions de santé, mais des négociations sont en cours à ce sujet à raison du secret médical. Les régions sont favorable à cette exception pour ces derniers. Cette volonté pourrait se heurter à la CEDH ainsi qu’au droit de l’UE et en particulier à l’article 19 de la directive 2013/33/UE fixant les normes minimales pour les soins délivrés aux réfugiés. Ces soins correspondant à minima aux « soins d’urgence et les soins nécessaires au traitement des maladies ainsi qu’aux troubles psychiques graves », ce qui a été transposé en droit suédois sous la formule des « soins qui ne peuvent attendre », ce qui a été interprété par le Conseil de la Protection sociale (Socialstyrelsen) comme comprenant entre autres « la prise en charge contraceptive, maternelle, abortive et infectieuse, ainsi que les examens cliniques nécessaire au diagnostic pathologique. » Une liste exhaustive n’ayant jamais été définie par les autorités publiques. Ce sont aux professionnels de santé eux-mêmes qu’il appartient d’en user au cas par cas. Dans les faits, on observe des difficultés d’accès des sans-papiers aux centres de santé et aux établissements de santé qui en refusent régulièrement la prise en charge au motif qu’ils ne sont pas rattachés au système de santé suédois. |
S’agissant de l’accès aux soins sans paiement (urgence) : tous les migrants sont accueillis gratuitement aux urgences depuis la loi du 1er juillet 2013. Ils peuvent alors bénéficier des soins médicaux et dentaires lorsqu’ils sont considérés comme « urgents ou nécessaires ». Ces soins comprennent également les soins de maternité, d’avortement, de planning familial et un contrôle de santé. Les soins sont financés par des subventions de l’Etat aux régions en fonction du nombre de résidents.
S’agissant de l’accès aux soins payant dans les services d’urgence : un étranger malade peut se rendre dans un centre de santé (vårdcentral) ou un centre de soins spécialisé dans n’importe quelle région de Suède. Il peut être orienté vers un spécialiste via un médecin référent (remiss). Mais les tickets modérateurs s’appliquent :
50 couronnes suédoises (4,36€) pour une consultation chez un médecin dans un centre de santé, une consultation dentaire auprès d’un professionnel agréé, des soins médicaux prodigués par un médecin spécialiste sur référence, pour des médicaments (les frais pouvant être élevés en cas de non respect du parcours de soin). Une visite sans adressage d’un centre de santé coûte 400 couronnes (34,86 €) par consultation.
25 couronnes suédoises (2,18 €) pour les soins de santé autres que médicaux qui sont prodigués chez un paramédical (infirmier, kiné etc.) après adressage d’un centre de santé.
Ainsi les étrangers en situation irrégulière sont pris en charge lorsqu’ils ont besoin de soin par les régions qui sont responsables de l’offre de soin. Ils doivent se tourner vers les soins primaires (vårdcentral) où l’infirmière régulatrice procède à l’orientation au besoin vers une prise en charge spécialisée. Ils doivent indiquer leur numéro de réserve (numéro d’immatriculation temporaire) en l’absence de numéro permanent de sécurité sociale. La région de Stockholm propose une carte spéciale aux sans-papiers.
Enfin, si les dépenses à la charge du patient (hors soins d’urgence non couverts par la gratuité) excèdent les 400 couronnes dans les 6 mois, celui-ci peut bénéficier d’un remboursement de la part de l’Agence des Migrations (Migrationsverket).
La Suisse : un système avant tout assurantiel même pour les illégaux
La loi fédérale suisse sur l’Assurance maladie (LAMAI) du 18 mars 1994 stipule que toute personne vivant en Suisse plus de 3 mois et ne disposant pas d’une assurance maladie dans un autre pays a le droit et le devoir de souscrire une « assurance-maladie de base » (Grundversicherung). Cette disposition s’applique aux sans-papiers.
L’assurance-maladie de base couvre les soins primaires et secondaires si une personne tombe malade ou est accidentée, ainsi que les soins de maternité, la psychothérapie, les contrôles et tests préventifs ainsi que les mesures de réhabilitation. Les sans-papiers doivent donc payer une police d’assurance de base dont les coûts sont significatifs tous les mois :
Prime d’assurance mensuelle (en fonction du canton) ;
Une franchise annuelle pour chaque individu couvert (les enfants et les femmes pour les soins prénataux et obstétricaux payent des franchises réduites) ;
La contribution du patient de 10% aux coûts de tous les services de soins de santé consommés annuellement (ticket modérateur) dans la limite d’une franchise de 700 CHF/an.
Des frais d’hospitalisation de 15 CHF/jour (sauf en cas de maternité, des enfants et jeunes en formation) ;
Ces coûts peuvent être en partie pris en charge pour les personnes modestes via une demande de subvention auprès du Canton de résidence afin de pouvoir payer les primes d’assurance. D’après la loi fédérale :
Les cantons accordent une réduction de primes aux assurés de conditions modestes. Ils versent directement le montant correspondant aux assureurs concernés ;
Pour les bas et moyens revenus, les cantons baissent les primes des enfants de 80% et de 50% celles des jeunes adultes en formation ;
La Fédération accorde des subsides annuels aux cantons afin de réduire les primes : les subsides fédéraux correspondant à 7,5% des coûts bruts de l’assurance obligatoire des soins.
Les cantons sont libres de fixer leur politique en matière de subventions de primes. 11 cantons (sur 26) ne prévoient cependant aucun dispositif de prise en charge pour les personnes n’ayant aucune autorisation de séjour ni aucune donnée fiscale… ce qui exclut les sans-papiers du dispositif.
Les cantons ont par ailleurs une obligation de contrôle : ils doivent affilier d’office toute personne tenue de s’assurer et qui n’a pas donné de suite à cette obligation en temps utile. Les cantons délèguent cette obligation aux communes qui s’assurent de la couverture maladie des nouveaux résidents. « Les sans-papiers sans couverture d’assurance sont (…) signalés aux autorités compétentes » dès qu’ils recourent à une prestation de soin car « ils sont déclarés par le fournisseur de prestations traitant » qui constate que la couverture des frais de traitement n’est pas garantie. En effet tout résident doit s’inscrire dans une commune dès son arrivée et chaque commune a ainsi une liste précise de l’ensemble de ses habitants. A défaut le signalement est immédiat.
Une couverture minimale d’urgence via l’article 12 de la Constitution fédérale Toutefois l’article 12 de la Constitution fédérale stipule que « toute personne qui est dans une situation de détresse peut obtenir de l’aide notamment des soins médicaux indispensables à sa survie, quel que soit son statut. » Chaque canton étant libre de définir les soins couverts par les prescriptions de l’article 12. L’Office fédéral de la Santé a rappelé aux Canton de « veiller à l’obligation d’assurance et d’accès aux soins de base pour tous ses résidents, y compris les sans-papiers. » Tous les établissements de soin et les médecins sont tenus de prodiguer une assistance en cas d’urgence. En cas d’urgence la prise en charge des soins est effectuée pour le non-assuré soit par la commune, soit par le canton, soit par le service social de l’hôpital, soit par 2 ou 3 de ces intervenants selon une clé de répartition propre à chaque canton et à chaque situation. Pour des raisons de protection des données, les hôpitaux, assurances, services sociaux, gouvernements cantonaux n’ont pas le droit de communiquer les données personnelles des sans-papiers aux autorités et services officiels chargés des questions migratoires. Cependant un centre de soin qui souhaite obtenir un remboursement pour les soins pratiqués auprès des sans-papiers se retourne vers les autorités cantonales pour en demander le paiement, ce qui aboutit à un signalement de fait susceptible de déclencher une procédure d’expulsion en aval. Les cantons et communes ont toutefois toute latitude pour une prise en charge plus large des sans-papiers en vertu de l’article 12. Cependant aucun canton n’a ouvert de possibilité de prise en charge systématique. Dans certains cantons, « l’obligation définie à l’article 12 est plus étendue » : les hôpitaux publics ayant le devoir d’assurer une prise en charge médicale de base aux illégaux y compris certaines situations ne relevant pas d’un caractère d’urgence. Ainsi, des cantons et communes fournissent des dotations financières aux associations (MSF etc.) ; dans des grandes villes des hôpitaux universitaires sont dotés de fonds d’aide sociale propres qui peuvent ainsi prendre en charge les coûts en complément des cantons/communes. Des structures dédiées existent pour les soins en dehors des cas d’urgence, fournissant des soins gratuits ou à bas coût :
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En pratique lorsqu’une personne a été prise en charge sans que son affiliation ne soit vérifiée a priori– notamment en situation d’urgence – les fournisseurs de prestations peuvent couvrir les coûts occasionnés par les personnes non-assurées via :
Un report de tout/partie des charges sur les personnes concernées elles-mêmes ;
L’admission de la personne traitée auprès d’une assurance-maladie avec effet rétroactif ;
Une prise en charge partielle ou totale des coûts par le canton ou la commune (via dispositifs d’aide sociale et d’aide d’urgence) ;
Une prise en charge des coûts par le prestataire (voir supra encadré) aux moyens de fonds spéciaux tels que le service social d’un hôpital ou du budget cantonal des débiteurs insolvables.
Les cantons ont par ailleurs plusieurs possibilités de remboursement des prestataires engagés :
Une prise en charge directe par le canton du coût des prestations médicales des non-assurés ;
Uniquement les coûts irrécouvrables des prestations médicales d’une nécessité absolue ;
Seuls les frais de traitement des cas médicaux graves, si l’hôpital peut fournir un plan de remboursement pour une partie des coûts (cofinancement) ;
Le canton prend en charge les coûts irrecouvrables des hôpitaux qui les ont comptabilisés comme des pertes sur débiteurs insolvables ;
La commune de séjour ou de domicile prend en charge les frais de traitement de manière subsidiaire (après l’ensemble des autres moyens de couverture).
[1] La loi sur la protection contre les infections (IfSG) oblige les autorités sanitaires à assurer la détection précoce, la surveillance épidémiologique, la prévention et le traitement des maladies contagieuses et ne comporte bien entendu aucune exception pour les personnes en situation irrégulière.
[2] En pratique ce sont les services d’action sociale (Sozialämter) des Länder ou par délégation des communes qui sont compétents.
[3]https://www.iris-france.org/179480-vers-un-durcissement-de-la-politique-migratoire-allemande/
[4] L’enquête sociale peut elle-même donner lieu à vérification par le corps d’inspection du Ministère de la Protection sociale qui peut prendre une décision de non-remboursement si la procédure définie au niveau fédéral n’a pas bien été appliquée au niveau local.
[5] C’est ce qu’a confirmer l’arrêt 22/2022 de la Cour constitutionnelle belge qui estime que la fonction de premier médecin lui permet de disposer d’une appréciation souveraine. L’appréciation ultérieure du médecin contrôle de la CAAMI doit « s’en tenir à l’appréciation des conditions d’éligibilité, et non de celle de la situation médicale de l’étranger en séjour irrégulier ». Son appréciation doit être procédural et non sur le cas d’espèce.
[6] Centres publics d’action sociale ou Openbaarcentrum voor maatschappelijk (OCMW).
[7] Les migrants sont considérés comme « migrants non enregistrés » c’est-à-dire non enregistrés aux registre CPR donnant accès à la couverture complète des services publics de santé.
[8] Par exemple en raison d’un risque de blessure, de développement, de progression grève ou de chronicisation de la pathologie.
[9] Via les personnels non soignants administratifs qui doivent formaliser la demande pour obtenir des remboursements.
[10] Non-inscrits au fichier central des étrangers.
[11] Si les étrangers sont en situation de séjour temporaire (<90 jours) l’accès aux soins est autorisé sous réserve d’un rapport préalable favorable des services sociaux de la région compétente, c’est-à-dire celle où se trouve le demandeur.
[12] Au registre nominal des habitant de la commune de résidence.
[13]Corte di Cassazione, Sezione Prima Civile, Sentenza del 24 gennaio 2008 n°1531 et Cons. di Stato, Sentenza n.5286 del 20 settembre 2011 mais aussi Corte di Cassazione, sezioni Unite Civili, sentenza del 5 giugno 2012.
[14] C’est-à-dire le service de santé italien (Servizio Sanitario Nazionale).
[15] Il existe une exemption de tout ticket modérateur pour les enfants de 0 à 6 ans, étrangers ou non, irréguliers ou non.
[16] Le code STP (straniero temporaneamente prestente) est composé de 16 caractères : 3 (STP), 6 identifiants la province de la structure publique fournissant les services (code ISTAT) et 7 caractères portant numéro d’attribution de la prestation.
[17] Respectivement établissements de santé locales (aziende sanitarie locali), établissements hospitaliers (aziende ospedaliere) et établissements hospitaliers universitaires (aziende ospedaliere universitarie).
[18] Le NHS a constitué une liste non limitative des traitements pris en charge gratuitement : soins prodigués dans les services d’urgence (ophtalmologie, dentaire etc…), diagnostics et traitement des maladies contagieuses, soins des femmes enceintes (hors IVG et traitements d’infertilité), traitement suite aux atteintes physiques ou mentales liées à des tortures et des violences domestiques ou de mutilations ; soins palliatifs ou d’accompagnement en fin de vie.
[19]https://www.boras.se/hallbarutveckling/halsaochvalmaende/mojlighettilllikvardigvard.4.5d707cfb1844c59ae81546bc.html
[20] Jusqu’en 2012 les personnes résidantes sans permis devaient assumer la totalité du coût des soins dentaires proposés par les conseils de comté.
[21] Structurellement, ils y sont obligés puisque les prises en charges et leurs facturation éventuelles sont calibrées pour les sans-papier sur celui des demandeurs d’asile. Notamment en vertu de la loi 2013-407.