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ZAN, PLU, SRU : ces normes qui empoisonnent les permis de construire

Assouplissement du DPE, extension du PTZ, réforme de la loi ZAN, renforcement des pouvoirs du maire sur l’attribution des HLM… dans son discours de politique générale, le Premier ministre a confirmé vouloir prendre le sujet du logement à bras le corps. Dans notre dernière étude sur la crise du logement nous mettions en avant le poids des réglementations : selon l’OCDE, la France est un des pays où la « fragmentation des pouvoirs administratifs » en matière de logement est la plus forte. C’est aussi ce que dit le dernier rapport de la Cour des comptes sur la délivrance des permis de construire qui souligne que la compétence urbanisme et aménagement du territoire est éclatée entre les différentes administrations, ce qui engendre un coût, un risque juridique et entrave l’acte de construire. Alors que le nombre de permis de construire en France était en recul de 15,3 %, sur un an, en juin 2024, le gouvernement ne doit pas se contenter de repousser les échéances réglementaires ou de multiplier les dérogations. C’est à une véritable simplification qu’il faut s’attaquer.

Le PLU, un document de référence difficile à construire

Référence en matière d’urbanisme, le plan local d’urbanisme communal (PLU) ou intercommunal (PLU(i)) est un document difficile à élaborer et couteux car il requiert de multiples documents préparatoires et est soumis à de nombreux risques de contentieux, au point même de conduire à leur annulation comme ce fut le cas de l’agglomération toulousaine. Ce n’est qu’une fois approuvé et publié, après une concertation publique où ce sont surtout les associations environnementales et les propriétaires fonciers qui se mobilisent, que les pétitionnaires (futurs demandeurs de permis de construire) vont découvrir les exigences du PLU qui fixe les règles d’aménagement et d’utilisation des sols. 

Compte tenu de la lourdeur du projet, la Cour constate que près d’un quart du territoire n’est pas couvert par un document d’urbanisme et reste soumis au RNU (règlement national d’urbanisme qui s’impose à tout le territoire français sans particularités). Seules 28% des communes possèdent un PLUi mais une enquête menée par la DGCL établit que seule une centaine de communes sur 34 965 ont délégué la signature aux présidents de leur intercommunalité[1], les maires restant très attachés à la compétence de délivrance des permis de construire. Leur délivrance est un pouvoir de police spéciale du maire qui est exigé pour la construction, l’extension ou la rénovation d’ampleur d’un bâti, même sans fondation, de plus de 20 m², sauf exception. Les travaux qui ne relèvent pas du permis de construire nécessitent en principe une simple déclaration préalable de travaux.

Le permis de construire s’inscrit dans un droit de l’urbanisme complexe et éclaté entre différentes compétences

Le PLU/PLUi doit être compatible avec le schéma de cohérence territoriale SCOT, outil de planification intercommunale qui définit les grandes orientations en matière d’urbanisme. 71,5% des communes sont concernées par un SCOT. Ce SCOT doit lui-même être compatible avec le SRADDET, schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires. Ces différents outils de planification n’ont pas parfois pas les mêmes rythmes de révision ce qui rend difficile leur articulation et augmente les risques juridiques. A cela s’ajoute les 10 000 actes de servitudes d’utilité publique sur le territoire national qui sont « portées à connaissance » par le préfet. 

Un empilement de règles

Il existe aussi des obligations édictées par des législations spécifiques, comme la loi « montagne » ou la loi « littoral », ou la « charte paysage » d’un parc naturel. Il faut prendre en compte les périmètres de prévention (risques naturels et risques technologiques) ou de protection de l’environnement et du patrimoine. La Cour dénombre 90 collectivités territoriales, réparties sur l’ensemble du territoire, dotées d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), qu’il s’agisse de métropoles (Paris, Lille, etc.) ou de plus petites communes (Figeac, Chinon, etc.), lequel se substitue au PLU dans le périmètre du site patrimonial. Le PSMV fixe les règles de restauration et de transformation de tous les immeubles. Tous les travaux sont soumis à l’accord de l’architecte des bâtiments de France. Le rapport de la Cour cite le cas du centre-ville ancien de Bordeaux soumis à un PMSV et a un PLUi qui ont chacun été plusieurs fois mis à jour. De plus, il n’existe pas de hiérarchie des normes entre le PLU(i) et les plans de prévention des risques (PPR). Mais si deux règles portent sur le même sujet, comme la constructibilité par exemple, en cas de dispositions contraires, la plus contraignante s’applique.

Cette multiplication des contraintes d’aménagement et urbanistiques conduit certaines communes à subir un empilement de règles. La Cour cite le cas de la commune de Royan, exposée à huit types de risques : tempêtes, inondations, submersion marine, sismique (risque faible), retrait gonflement d’argile, feux de forêt, risque technologique (transports de marchandises sur deux axes routiers à proximité très fréquentés et présence d’une canalisation de gaz, loi littoral.

Des modifications fréquentes sur les réglementations nationales

À ces contraintes s’ajoutent, dans certaines grandes agglomérations, les périmètres dans lesquels l’État reste compétent pour réaliser les aménagements, comme les opérations d’intérêt national et les projets d’intérêt général, ou des dispositions législatives plus prescriptives comme le zéro artificialisation nette (ZAN) ou la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) et qui peuvent être fréquemment modifiées. 

Par exemple, la loi SRU a subi une vingtaine de modification législatives et réglementaires depuis sa mise en œuvre en 2000. Les servitudes d’utilité publique évoluent au fil du temps, prenant en compte le changement climatique ou les conséquences d’une catastrophe, ce qui peut nécessiter une révision de la carte locale qui affecte immédiatement les documents d’urbanisme en vigueur. Dans le cas de la loi ZAN, celle-ci s’inscrit dans un objectif européen mais face à une forte mobilisation des élus locaux, le texte initial adopté dans le cadre de la loi Climat et résilience (2021) a été amendé par une loi au Sénat (2023) en octroyant des délais supplémentaires pour intégrer les objectifs.

Des normes extra légales

Outre les normes qui s’imposent du fait de dispositions législatives ou réglementaires, les constructeurs doivent parfois composer avec des exigences extra-légales. « Ce qui pouvait apparaître comme un phénomène anecdotique et marginal, semble être une pratique répandue » dit la Cour qui désigne ici les charte des promoteurs, charte de frugalité, charte de l’habitat et de la construction favorable à la santé, charte du cadre de vie, charte du développement durable, charte architecturale et paysagère, cahier de la qualité résidentielle, etc. Cette démarche est largement répandue, surtout dans les villes moyennes et grandes. Ces chartes sont vivement recommandées auprès des pétitionnaires même si parfois elles comportent des dispositions contraires au PLU. Le plus souvent il s’agit de hauteur d’immeubles ou de densité de construction. Le rapport cite la commune de Saint-Ouen. La municipalité qui souhaite développer des programmes qualitatifs a mis en place une charte qui restreint la hauteur maximale des bâtiments à quatre étages, en contradiction avec son PLU(i), qui indique sept étages, afin de dédensifier le tissu urbain. La commune reconnaît que « la hauteur des bâtiments est souvent le point de négociation le plus compliqué avec les promoteurs, car il détermine leur rentabilité pour un même foncier ». « Le PLU(i) détermine un plafond en termes de hauteur, pas une obligation pour les villes, on peut construire moins haut, surtout dans une ville déjà très dense comme Saint-Ouen. » Le rapport de la Cour cite aussi le cas de Grenoble qui dans le cadre de sa charte de l’habitat et de la construction favorable à la santé demande aux constructeurs d’exclure les fenêtres en PVC. La ville de Grenoble renforce ses demandes de pièces réglementaires non prévues par le code de l’urbanisme, comme une notice d’hygiène alimentaire, une notice d’hygiène habitat, une attestation énergie qui renforce les objectifs de production d’énergie renouvelable, ... L’objectif affiché est d’améliorer le projet même si ces documents génèrent des délais et des coûts supplémentaires. Autre exemple, à Rennes, le PLUi fixe une obligation de balcon ou terrasse pour toute construction neuve. 

La durée d’élaboration ou de révision des documents d’urbanisme n’est pas étrangère à l’instauration de textes extra légaux selon la Cour qui constate que, lorsqu’ils se retrouvent à devoir appliquer un PLU conçu par leurs prédécesseurs, les élus contournent l’obstacle du temps long en modifiant les règles. 

Au-delà des chartes existent aussi des labels comme le label « bâtiment frugal bordelais » qui « vise à promouvoir un bâtiment préservant les espaces de nature existants, adapté au territoire, tourné vers les filières locales, soucieux de l’usage et de la qualité de vie de ses occupants, tout en réduisant ses impacts climatiques ». Selon la chambre régionale des comptes Nouvelle Aquitaine, la prise en compte de ce label susciterait indirectement une hausse des prix de la construction (environ 35 % en quatre ans) possiblement répercutée sur le prix des biens. Selon la collectivité, le label serait, à terme, une source d’économie réalisée notamment sur la consommation énergétique. 

Les porteurs de projets admettent devoir le plus souvent se conformer à ces contraintes, pour éviter des difficultés « réputationnelles ». S’ils saisissent le tribunal pour faire valoir leur droit légitime, le temps de la décision judiciaire est rarement compatible avec la faisabilité ou la viabilité de leur projet. 

Un cadre normatif très lourd mais peu de contrôles

Comme le dit la Cour, paradoxalement, la politique de délivrance des autorisations d’urbanisme, strictement encadrée au plan normatif, est très peu contrôlée par les collectivités territoriales et les services préfectoraux, et peu évaluée du point de vue des coûts engendrés.  Autant les règles sont nombreuses et les démarches requiert des pré-validations importantes, autant les contrôles en début, en cours ou en fin de chantiers sont peu nombreux. Ainsi, le permis de construire et les autres autorisations d’utilisation du sol, ainsi que le certificat d’urbanisme sont obligatoirement soumis au contrôle de légalité, mais les services préfectoraux ne contrôlent pas, loin s’en faut, tous les actes d’urbanisme. Sont surtout contrôlées les opérations qui concernent des zones classées à risque ou bien des zones littorales. En ce qui concerne les contrôles de chantier, l’enquête de la Cour sur un échantillon de communes et EPCI contrôlés en Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle Aquitaine a permis d’établir que la quasi-totalité ne vérifie pas l’exécution des autorisations d’urbanisme alors que le pouvoir de police de l’urbanisme est un pouvoir de police spécial du maire. Idem pour la procédure de récolement des travaux ( contrôle de conformité), effectué par l’administration qui a délivré l’autorisation de travaux, pour laquelle une majorité des communes étudiées (entre 60 et 80 %) reconnait n’avoir réalisé que très peu d’opérations. 

Les infractions au code de l’urbanisme prévoient des sanctions sévères : la majeure partie des infractions aux règles d’urbanisme sont des délits punis d’une amende possiblement complétée d’une peine d’emprisonnement inférieure à 10 ans. Les infractions concernent notamment la réalisation de travaux sans autorisation ou non conformes à l’autorisation obtenue. Le délai de prescription est de 6 ans. La commune peut aussi saisir le juge pour faire ordonner la démolition ou la mise en conformité. Toutefois les mesures de destruction sont rarement décidées. Une mesure de démolition des constructions irrégulières a ainsi été prononcée 928 fois entre 2015 et 2022, représentant 0,06% des autorisations accordées.

Conclusion

Comme on le voit au travers des nombreux exemples relevés par la Cour, la multiplication, l’empilement, et les fréquents changements de règles urbanistiques et d’occupation des sols entraînent une insécurité juridique et majore les coûts pour les demandeurs de permis de construire. Cette situation est aussi difficile à affronter que le demandeur (pétitionnaire) soit un particulier ou un promoteur. Comme le rappelle la Cour, bien que les demandes d’autorisation de permis de construire émanant des particuliers soient les plus nombreuses (60 % en 2022), les plus structurantes sur le plan de l’urbanisme, de l’économie ou du social, sont celles des promoteurs, puisqu’elles représentent 80 % des surfaces construites. Le poids de cette règlementation pèse au final sur l’activité et le coût du logement et participe à la crise que l’on connaît aujourd’hui.

Même si des améliorations ont été apportées (dématérialisation, accord tacite) pour accélérer les délivrances de permis de construire beaucoup reste à faire pour alléger un cadre réglementaire lourd et complexe. Dans son rapport la Cour pointe du doigt la solution de facilité qui consiste à choisir la voie dérogatoire plutôt que de simplifier ou d’adapter le droit en vigueur. C’est encore le cas pour les dernières déclarations de Michel Barnier qui veut pour la loi ZAN faire évoluer de manière pragmatique et différenciée la réglementation ou pour les DPE dont il est question de repousser les échéances.

Repousser les échéances ou autoriser des dérogations n’est pas une solution satisfaisante : cela ne lève pas totalement les incertitudes pour les constructeurs, investisseurs, propriétaires ou chefs d’entreprise. De plus cela ne change pas l’enchevêtrement des compétences entre les différentes strates.

La Fondation IFRAP recommande de revoir les réglementations foncières qui contribuent à renchérir le coût du logement avec un véritable objectif de simplification. Il faut par ailleurs, décentraliser la politique du logement pour que les régions gèrent les grandes orientations en matière d’aménagement du territoire, de zonage, de construction de logements sociaux, de gestions des équilibres entre terres agricoles, industrialisation, construction de logements. Enfin, la compétence logement (autorisation des permis de construire et autorisations de droits du sol) devrait être gérée prioritairement au niveau des bassins de vie (EPCI), particulièrement au niveau du Grand Paris. 

Le déroulement de l’instruction des PC

L’analyse que dresse la Cour du déroulement de l’instruction d’un permis de construire montre que les pétitionnaires (demandeurs) sont plutôt satisfaits de la qualité du service. La Cour identifie cependant un certain nombre de problèmes :

  • Dématérialisation : depuis le 1er janvier 2022, les communes de plus de 3 500 habitants et les EPCI en charge de l’instruction des dossiers d’urbanisme sont dans l’obligation de fournir un service dématérialisé de dépôt des dossiers d’autorisation d’urbanisme. Un grand nombre de collectivités, en particulier en zone rurale, a pris du retard dans la mise en oeuvre de cette disposition
  • Démarche de précaution : compte tenu de la complexité et de l’hétérogénéité des règles, les pétitionnaires sont de plus en plus tentés à demander des notes d’urbanisme, dont les associations d’élus souhaitent la suppression puisque ces notes engagent les collectivités en cas d’erreur et à sont à leur charge exclusive. Les demandeurs sont encouragés à demander plutôt des certificats d’urbanisme. Pour le pétitionnaire, l’intérêt principal est de « cristalliser » la situation juridique et fiscale du terrain concerné. Pour autant, cette cristallisation peut s’effacer si on lui oppose un sursis à statuer pour cause d’une révision ou d’une modification des documents d’urbanisme.
  • Droit de préemption : les propriétaires d’un bien situé dans une zone définie (droit de préemption urbain) par une collectivité (commune ou établissement public de coopération intercommunale) doivent, en priorité, proposer la vente du bien à cette collectivité. Cette pratique légale permet à la Commune d’une part de disposer d’un observatoire des prix des transactions sur son territoire, et d’autre part d’exercer une forme de pression sur la spéculation potentielle, qui par ricochet peut impacter tout le territoire communal. Pour le porteur d’un projet, ce droit de préemption constitue une inconnue qui pèse sur son dossier.
  • Cout de l’instruction : La loi ALUR a mis fin à l’instruction gratuite des autorisations par les services de l’État, pour les communes appartenant à des agglomérations de plus de 10 000 habitants. De nombreuses intercommunalités ont proposé aux communes membres de prendre le relai et de mettre en place un service d’instruction commun. Les tarifs varient par type d’acte selon le nombre d’heures passées à instruire : À Saint-Étienne, la métropole facture une déclaration préalable à la commune pour 210 €, un permis de construire simple pour 300 €, un permis d’aménager pour 360 €, un certificat de conformité pour 110 € et une autorisation de travaux (accessibilité) pour 200 €. Cette facturation a représenté en 2021 pour la ville de Saint-Étienne un coût de 235 000 €. Dans le cas d’une autre commune, celle de Lormont, l’instruction d’un permis pour une maison individuelle est estimée à 467 €, la demande de permis de construire présentée par un promoteur à 779 €, un dossier considéré comme complexe à 3 115 €, et la déclaration préalable à 78 €. On voit que les tarifs varient donc fortement entre communes. S’y ajoute les moyens humains mobilisés. Le nombre d’agents affectés aux services de l’urbanisme (planification et instruction des autorisations du droit des sols) des collectivités territoriales varie selon la taille de la collectivité. Le taux élevé d’agents experts de catégorie A de la filière technique territoriale explique que les dépenses de personnel par ETP soient plus élevés que la moyenne de l’emploi territorial. 
  • Le permis tacite : le permis est tacitement accordé si aucune décision n’est notifiée au demandeur à l’issue du délai d’instruction. Les contrôles effectués montrent que dans les petites communes, mal dotées en services instructeurs, la pratique du permis tacite représente jusqu’à 80 % des réponses. Le permis tacite peut aussi naître à l’expiration du délai d’instruction, d’une demande abusive de pièces complémentaires ne respectant pas les pièces listées ou ne respectant pas le délai réglementairement prévu pour la demander. Mais le permis tacite n’est pas sans poser problème, notamment lorsqu’il s’agit de prouver à un tiers que l’on en dispose ou bien que toutes les pièces ont été régulièrement communiquées (Conseil supérieur du notariat).

Trop de zonages ?

Trois principaux zonages existent : le zonage dit 123, le zonage dit ABC, et le zonage « zones tendues », dit également TLV, car relatif au champ d’application de la taxe sur les logements vacants. 

  • Le zonage 123 permet de moduler les allocations logement et de fixer les plafonds de loyers des logements PLUS et PLAI pour tenir compte des écarts entre les loyers de marché et les revenus des ménages. 
  • Le zonage ABC en fonction du déséquilibre local entre offre et demande de logements, pour l’éligibilité aux dispositifs d’investissement locatif. 
  • Le zonage TLV définit une liste de communes où s’applique la TLV. Ces zonages sont peu cohérents par rapport aux territoires, et entre eux. Ils sont mis à jour  de manière irrégulière, la coexistence de plusieurs notions de « zones tendues » est source  de complexité (extrait CPO).

[1] la planification urbaine est toutefois de la compétence de la communauté urbaine ou de la métropole de par la loi