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TVA à 5.5% dans la restauration : le bilan

Une triple perspective : les prix, l'emploi et les mesures sociales

Alors que l'heure est aux économies et que sont particulièrement visées les niches fiscales, des voix s'élèvent en faveur de la remise en cause de la baisse de la TVA à 5.5% dans la restauration. Comme déjà l'an dernier, un discours simpliste et de mauvaise foi résume l'affaire : cadeau de 3 milliards aux restaurateurs, les consommateurs n'ont pas vu la baisse, 50% des restaurateurs n'ont pas joué le jeu…. Qu'en est-il en réalité ? Pour tenter de porter un éclairage objectif, l'iFRAP s'est penché sur les chiffres de l'INSEE avec une triple perspective : les prix, l'emploi et les mesures sociales.

Pour ce qui est des prix, le constat est simple : sur la période 2009/mai 2010 dernier indice connu, alors que l'IPC - indice des prix des services- code 639202- a augmenté de 2.5% -118.4/121.4- pour la restauration- code 639022-, il reste stable à 129.3 à comparer à 129 : baisse effective relative par rapport à l'IPC de 2.5% sur 17 mois.
Au passage, si l'on retient l'hypothèse que la baisse des prix ne concerne que la moitié des établissements, ceux qui ont joué le jeu l'ont donc mieux joué encore ! De surcroît, cette baisse correspond à un transfert de l'ordre de 600 M€ en faveur des clients.

Témoignage

Étant restauratrice, je peux vous dire que durant l'hiver 2009/2010, suite à la conjoncture économique, j'aurais licencié 2 personnes. Grâce à la baisse de TVA, ce personnel est resté dans l'entreprise.

Pour ce qui est de l'emploi, les statistiques ne vont qu'au premier trimestre 2010, néanmoins il est intéressant de procéder à des comparaisons du secteur restauration / hébergement (1577250) avec la totalité du secteur services marchands (1577237), base en milliers :

Emplois en milliers et indice
TRIMSERVICESSERVICES %H/RH/R %
2010 T1 11120 97.8 933 101.4
2009 T4 11070 97.3 921 100
2009 T 3 11035 97 913 99.3
2009T2 11052 97.2 912 99.1
2009T1 11087 975 911 99
2008T4 11190 98.5 919 100
2008 T3 11270 99.2 914 99.3
2008 T2 11317 99.6 917 99.7
2008 T1 11362 100 920 100
2007 T4 11303 99.5 925 100.5
2006 T4 11052 97.2 901 97.9
2005 T4 10860 95.5 880 95.6
2000 T4 10267 90.3 792 86
1995 T4 8606 75.7 641 69.6
1990 T4 8151 71.7 587 63.8

La période 1990/2009 peut être divisée en trois parties : de 1990 à 2005 le rythme de croissance de l'emploi est plus élevé dans le secteur H/R que pour l'ensemble des services, de 2005 à T3 de 2008, l'évolution est la même en baisse de 1%, enfin, à partir de fin 2008 on constate à nouveau une reprise dans le secteur : on observe plus précisément que sur les 11 derniers trimestres connus, les effectifs « ensemble des services » ont baissé de 2,2 % et 42.000 emplois ont disparu alors que ceux du secteur H/R ont crû de 1,4% et de 13.000 emplois.

A y regarder de plus près, c'est à partir du dernier trimestre 2008 que se creuse l'écart, alors que l'abaissement de la TVA est en débat et que des signes assez encourageants apparaissent : le feu vert de la CEE sera donné en Avril. Ceci suggère une anticipation d'une décision à venir favorable d'un mouvement qui va se confirmer de Mars à Juillet et se confirmer comme le diagramme ci-après l'illustre bien.

Si le secteur avait suivi la tendance générale des services il se situerait à 900.000 emplois, soit 33.000 emplois de moins que constaté. Des emplois d'apprentis ont sans doute aussi été créés…

Comparatif de l'indice de l'emploi dans l'hôtellerie-restauration
et dans le reste du secteur des services

Enfin, des mesures sociales importantes ont été décidées en conclusion des négociations achevées en début d'année : augmentation des minima de 3 à 6 % de la grille salariale ce qui entraîne la disparition des salaires au SMIC, une prime allouée plafonnée à 500€ à attribuer en été, enfin une mutuelle doit être mise en place. Au total la masse salariale devrait s'accroître de l'ordre de 1 milliard € : 300 millions € pour les augmentations de salaires, 300 millions € de primes et 300 millions € pour les 13.000 emplois supplémentaires.

Si des emplois ont été créés c'est sans doute qu'est intervenue une hausse de l'activité : là encore les données INSEE permettent d'apporter une réponse en retenant les indices en euros courants et hors taxe :

Indice de l'évolution du CA hors taxes H/R
mois201020092008
décembre 118.5 112
novembre 100.6 95.5
octobre 125 116.4
septembre 113.9 106.4
août 118.2 107.8
juillet 137.8 130.6
juin 112 103.8 107.6
mai 116.7 105.8 112
avril 104.2 93.8 97
mars 103.9 96.2 102
février 86.9 80.7 90
janvier 88 83.4 87

Indice de l'évolution du CA hors taxes H/R (graphique)

Transformées en graphique comme ci-dessus, les données mettent en lumière le contraste entre les deux périodes séparées par juillet 2009 : jusqu'en juillet 2009, on observe une dégradation continue de l'activité avec un écart moyen de 6 points avec 2008 ; à partir de juillet - et le phénomène est marqué -, on constate l'inversion de la tendance qui se confirme jusqu'en juin 2010, dernière donnée disponible à ce jour.

Enfin, une dernière façon d'appréhender l'évolution d'un secteur est de considérer les défaillances et créations : pour les premières, sur les 3 premiers semestres de 2008 à 2010, leur nombre est passé de 2.980 à 3.270 puis 3.000, soit en stabilisation ; pour les secondes, l'évolution est la suivante : 11.450 puis 14.500 et enfin 15.400 en 2010 ; le secteur traditionnellement fragile - 50% de disparitions au bout de 3 ans - a donc retrouvé de la vitalité d'autant plus qu'il faudrait y rajouter les créations « auto-entrepreneur »

Aujourd'hui, un constat objectif plaide donc plutôt en faveur du secteur, même si tous n'ont pas joué le jeu : les prix en relatif ont baissé de 2,5%, 33.000 emplois directs ont été créés ou préservés, les salaires devraient être accrus sensiblement, si l'accord est bien respecté ; en l'absence d'indicateurs, on peut imaginer que des investissements auront aussi été réalisés.
Notons enfin que ce que nous constatons n'est guère différent de ce que l'enquête sur la TVA à 5,5% dans la restauration menée de façon bénévole début 2009 par des correspondants de l'iFRAP avait alors suggéré et qui avait fait l'objet d'une analyse coût / avantages dans Société Civile : la répartition des 10% de marge libérée envisagée par les restaurateurs conduisait à : 30% pour l'augmentation de la masse salariale, 30% pour les investissements, 15% pour les clients et 15% enfin pour l'amélioration des résultats. Le contrat de progrès négocié avec l'Etat a sans doute induit un effort supplémentaire en faveur de la baisse des prix.

Question : que peut-on-dire du résultat pour la collectivité « France » ? Certes, le budget de l'Etat a formellement perdu 2,5 milliards € de recettes (19,6% moins 5,5% sur un chiffre d'affaires de 18 milliards) desquelles il faut soustraire 500 millions, l'aide accordée par Jacques Chirac qui a été supprimée lors de la baisse de la TVA à 5,5%. En retenant 33.000 emplois de mieux par rapport à la tendance, auxquels il faut ajouter les emplois indirects créés ou maintenus (20% de plus pour cette profession), à raison de 20.000 € par chômeur, c'est environ 1 milliard € qui est ainsi épargné, sans compter des rentrées de TVA complémentaires liées aux investissements et aux 2,5% d'économie réalisée par les consommateurs, sous hypothèse très probable qu' ils consacrent celle-ci à des achats différents, frappés eux d'une TVA à 19,6. Enfin, les comptes sociaux auront aussi tiré bénéfice de l'opération à concurrence d'environ 400 millions €.

La « niche fiscale » TVA restauration s'avère au total coûter de l'ordre du milliard d'euros pour une quarantaine de milliers d'emplois préservés ou créés, sans compter les hausses de salaires et autres avantages sociaux accordés qui revalorisent cette profession, importante pour une France de plus en plus tournée vers le tourisme.

On peut critiquer ce coût mais en aucun cas n'est justifiée l'image véhiculée commodément d'un cadeau à des restaurateurs plus prompts à s'enrichir qu'à se comporter comme des entrepreneurs responsables.