Travail dissimulé : entre 6,5 et 9,5 milliards en 2020
Le Haut Conseil au financement de la protection sociale vient de publier une note d’actualisation sur le travail dissimulé en 2020. Il s’agit bien entendu d’une année atypique, si bien que l’on doit sans doute majorer de façon substantielle les montants publiés. En revanche l’étude est plus exhaustive que les précédentes, bien qu’elle n’arrive pas à évaluer la fraude aux cotisations sociales des particuliers employeurs (mais en reste au niveau du sondage). Il apparaît que l’effet du travail dissimulé (manque à gagner) s’agissant des cotisations sociales sur l’ensemble du secteur privé représenterait entre 6,4 et 8,1 milliards d’euros en y incluant les cotisations chômage. S’y ajoutent des effets simulés sur les prestations sociales et l’IR qui ressortent pour 10 milliards de masse salariale non déclarée d’après l’ACOSS à un manque à gagner que l’on peut estimer comme compris entre 120 millions et 1,96 milliard d’euros. Sur ce champ, les sommes éludées en matière de prélèvements obligatoires atteindraient entre 6,5 et 9,5 milliards d’euros et les prestations versées indûment entre 20 millions et 600 millions d’euros.
Les effets du travail dissimulé sur les cotisations sociales
Tout d’abord l’année 2020 est une année atypique en matière de contrôle de la fraude sociale par les ASSO (administrations de sécurité sociale). La crise sanitaire ayant par exemple fait suspendre le principe des contrôles aléatoires pour préserver la mise en place de contrôles ciblés dans les secteurs ou auprès des entreprises jugées « à risque ». En conséquence, la fraude détectée et estimée au sein du secteur privé non agricole est en baisse par rapport aux années précédentes :
Effet du travail dissimulé sur les cotisations sociales (secteur privé non agricole) | ||||
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Année de référence (évaluation présentée en …) | Montant de cotisations éludées / montant total des cotisations déclarées et éludées | Régime général | Unédic | Régime général et Unédic |
2012 (2015) | 2,2 à 2,6% | 4,5 à 5,5 Md€ | 0,7 à 0,8 Md€ | 5,2 à 6,3 Md€ |
2016 (2018) | 2,0 à 2,5% | 4,4 à 5,5 Md€ | 0,7 à 0,9 Md€ | 5,1 à 6,4 Md€ |
2018 (2019) | 2,2 à 2,7% | 5,1 à 6,4 Md€ | 0,6 à 0,8 Md€ | 5,7 à 7,2 Md€ |
2019 (2020) | 2,2 à 2,7% | 5,2 à 6,5 Md€ | 0,5 à 0,6 Md€ | 5,7 à 7,1 Md€ |
2020 (2021) | 2,2 à 2,7% | 4,7 à 6,0 Md€ | 0,5 à 0,6 Md€ | 5,2 à 6,6 Md€ |
Source : Observatoire du travail dissimulé (HFiPS) 2021.
Par rapport à 2019, le millésime 2020 fait apparaître une baisse de la fraude estimée du régime général hors UNEDIC (jugée constante) d’environ 500 millions d’euros.
Si l’on cherche à raffiner les chiffres pour l’exercice 2020, ceux-ci font apparaître un poids du travail dissimulé (LCTI) correspondant à un manque à gagner en termes de cotisations de l’ordre de 4 à 5 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter ceux liés aux redressements et aux restitutions, soit un total supplémentaire de 1,3 à 1,5 milliard d’euros.
En 2020 (% et Md€) | en taux | Champ URSSAF hors assurance chômage | Unédic | Champ URSSAF y compris assurance chômage |
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Travail dissimulé (LCTI) | 1,6% à 2,1% | 3,6 à 4,5 | 0,4 à 0,5 | 4,0 à 5,0 |
Hors travail dissimulé (CCA) | 0,5% à 0,6% | 1,1 à 1,4 | 0,1 à 0,2 | 1,3 à 1,5 |
dont Redressements | 0,7% à 0,8% | 1,6 à 1,7 | 0,1 à 0,2 | 1,7 à 1,9 |
dont Restitutions | -0,2% à -0,1% | -0,42 à -0,33 | -0,02 à -0,03 | -0,45 à -0,35 |
Manque à gagner total | 2,2% à 2,7% | 4,7 à 6,0 | 0,5 à 0,6 | 5,2 à 6,6 |
Source : Observatoire du travail dissimulé (HFiPS) 2021.
Mais il faut ajouter également le manque à gagner du secteur agricole estimé par la CCMSA à 0,5 milliard d’euros (chiffre 2019), montant qui sera remis à jour en 2022. On ne dispose donc pas de chiffres plus récents pour 2020.
Il faut également évaluer le manque à gagner en termes de cotisations s’agissant des indépendants. Sur ce champ, l’Observatoire du travail dissimulé propose une articulation à 2 niveaux :
- Les effets du travail dissimulé pour les micro-entrepreneurs que l’organisme estime en matière de cotisations sociales entre 0,6 et 0,9 milliard d’euros. Ce chiffre comprend les premières estimations de travail dissimulé via les plateformes numériques de type market places (Amazon, Rakuten, etc.) Pour des écarts de chiffres d’affaires détectés par l’Urssaf s’élevant à 523,3 millions d’euros (2020), les cotisations afférentes éludées représenteraient 82,2 millions d’euros ;
- Les indépendants « classiques » (commerçants, etc.) dont le travail dissimulé procurerait un manque à cotiser compris entre 75 et 105 millions d’euros. Cependant « cet exercice ne couvre a priori qu’une part minoritaire du manque à gagner dans la mesure où les contrôles aléatoires sur les travailleurs indépendants sont effectués sur la base de contrôles partiels sur pièces, par définition moins poussés que les contrôles comptables d’assiette. »
Toujours pas d’estimation du manque à gagner sur les particuliers employeurs En revanche s’agissant des particuliers employeurs, il n’existe pas encore d’évaluation disponible du montant de la fraude aux cotisations sociales. Le rapport dresse bien les conclusions d’un sondage IPSOS commandé par l’ACOSS recoupant largement les résultats d’une enquête précédente diligentée par le CREDOC et datant de 2015. Le sondage permet cependant de mettre en évidence l’importance et la persistance du phénomène sans pour autant permettre aucune extrapolation à ce stade en matière de chiffrage :
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Soit l’estimation totale suivante, qui fait ressortir une fraude aux cotisations sociales de l’ordre de 6,4 à 8,1 milliards d’euros :
Effet du travail dissimulé sur les cotisations sociales en 2020 (Md€) | |
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Secteur privé non agricole | 5,2 à 6,6 |
Secteur privé agricole | 0,5 |
Indépendants | 0,675 à 1 |
Particuliers employeurs | inconnu |
Total | 6,4 à 8,1 |
Source : Observatoire du travail dissimulé (HCFiPS) 2021
L’impact du travail dissimulé sur les prestations sociales et l’IR
Par ailleurs, outre la perte de cotisations sociales potentielles (salariales et patronales), le travail dissimulé engendre également des conséquences indirectes sur le système de protection sociale et en matière fiscale que l’étude de l’Observatoire cherche à mettre en évidence. En 2017 la CNAF avait mis en lumière que la non-déclaration de masse salariale pouvait aboutir à des sur-prestations puisque les revenus sont artificiellement minorés. Les rapports étaient de 200 millions de sur-dépense pour 1 milliard de revenus non déclarés, et de 1 milliard pour 5 milliards de masse salariale non déclarée.
La DREES et la CNAF ont donc généré deux scénarios calibrés sur un volume total de masse salariale éludée de 5 milliards d’euros alors même que l’ACOSS estime que celle-ci doit représenter le double (10 milliards d’euros) :
- Un scénario où l’ensemble du travail dissimulé reposerait sur une dissimulation totale de l’activité ;
- Un scénario où l’ensemble du travail dissimulé reposerait sur une dissimulation partielle de l’activité.
Chacun des scénario donnant lieu à des estimations en fonction du niveau de revenus dissimulés (totalement ou partiellement) variables allant jusqu’à 1,5 SMIC ou concernant l’ensemble des salariés, et sur base proportionnelle de dissimulation (en cas de dissimulation partielle) ou pour des montants forfaitaires.
Scénario n°1 : Impact sur les finances publiques d'une sous-déclaration totale des revenus d'activité | |||||
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Scénario | A-1 | A-2 | A-3 | A-4 | A-5 |
Salaire net imputé | 0,5 SMIC | 0,8 SMIC | 1 SMIC | 1,2 SMIC | 1,5 SMIC |
Nbre d'individus concernés | 570 000 | 356 500 | 285 400 | 237 700 | 190 200 |
Masse salariale totale dissimulée | 5 Md€ | 5 Md€ | 5 Md€ | 5 Md€ | 5 Md€ |
Total des prestations M€ | -210 | -140 | -100 | -10 | -60 |
Prime d'activité | 470 | 480 | 510 | 490 | 400 |
RSA | -510 | -480 | -460 | -400 | -360 |
Aides au logement | -140 | -130 | -120 | -100 | -100 |
Prestations familiales | -30 | -10 | -30 | 0 | 0 |
Impôt total dû (M€) | -50 | -50 | -50 | -50 | -60 |
Source : Observatoire du travail dissimulé (HCFiPS) 2021
Scénario n°2 Impact sur les finances publique d'une sous-déclaration partielle des revenus d'activité | ||||
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Scénario | Salariés ayant un revenu inférieur à 1,5 SMIC | Tous les salariés | ||
B-1 | B-2 | B-3 | B-4 | |
montant proportionnel | montant forfaitaire | montant proportionnel | montant forfaitaire | |
Salaire net imputé | = revenu*1,63 | = revenu + 0,75 Smic | = revenu*1,41 | = revenu +0,75 Smic |
Nbre d'individus concernés | 409 700 | 409 700 | 409 500 | 409 500 |
Masse salariale totale dissimulée | 5 Md€ | 5 Md€ | 5 Md€ | 5 Md€ |
Total des prestations M€ | -390 | -440 | -220 | -300 |
Prime d'activité | -240 | -250 | -120 | -160 |
RSA | -10 | -20 | -10 | -10 |
Aide au logement | -80 | -110 | -40 | -70 |
Prestations familiales | -60 | -60 | -60 | -70 |
Impôt total dû (M€) | -490 | -510 | -750 | -680 |
Source : Observatoire du travail dissimulé (HCFiPS) 2021
L’étude précise bien qu’il ne faut pas additionner les deux scénarii pour obtenir un montant estimatif de la fraude globale aux prestations et à l’IR induite par le travail dissimulé. Cependant, il est possible de donner une fourchette comportant l’estimation a minima et l’estimation a maxima. Par ailleurs on constatera deux éléments contre-intuitifs qui se dégagent des scénarii proposés :
- D’une part les fraudes aux prestations sont d’autant plus faibles que les salaires dissimulés sont élevés, notamment parce que les fraudes induites aux RSA et aux aides au logements minorent à leur tour le déclenchement de la prime d’activité s’agissant du scénario de dissimulation totale. Les effets en matière fiscale étant constants globalement ;
- D’autre part parce qu’en retenant le scénario de dissimulation partielle cette fois, celui-ci est nettement plus abrasif pour les prestations. Dans ce cas, les fraudes à la prime d’activité sont importantes, ce qui induit à des sur-dépenses massives lorsque le revenu sous-déclaré représente 0,75 SMIC dans la limite d’un revenu global de 1,5 SMIC en cas de montant éludé forfaitaire. Par ailleurs les pertes fiscales croissent significativement si l’on sous-déclare partiellement ces revenus, et significativement lorsque la simulation représente un montant forfaitaire de 0,75 SMIC mais couvrant l’ensemble de la population salariée.
Au total si l’on rapproche les versions des deux scénarios minimaliste et maximaliste, et qu’on les extrapole pour 10 milliards de masse salariale partiellement ou totalement éludée, les pertes totales (soit en sur-dépense soit en perte fiscale sur l’IR) sont estimées entre 120 millions et 1,96 milliard d’euros, dont 20 à 600 millions d’euros de prestations et 100 millions à 1,36 milliard de pertes de recettes d’IR.
Extrapolation à 10 milliards d’euros | A-4 | B-4 |
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Salaire net imputé | 1,2 SMIC | Montant forfaitaire |
Nbre d'individus concernés | 475 400 | 819 000 |
Masse salariale totale dissimulée | 10 Md€ | 10 Md€ |
Total des prestations M€ | -20 | -600 |
Prime d'activité | 980 | -320 |
RSA | -800 | -20 |
Aides au logement | -200 | -140 |
Prestations familiales | 0 | -140 |
Impôt total dû (M€) | -100 | -1360 |
Pertes totales dépenses + IR | -120 | -1960 |
Source : Observatoire du travail dissimulé (HCFiPS) 2021, calculs Fondation iFRAP novembre 2021
Conclusion
Les estimations de l’Observatoire du travail dissimulé montrent bien les efforts qu’il reste à accomplir afin de mieux cerner l’ampleur financière des conséquences du travail dissimulé en matière de fraude sociale. Spécifiquement, s’agissant du secteur agricole et des particuliers employeurs. Par ailleurs les effets « fiscaux » et la fraude aux « prestations » qui en résultent mériteraient d’être rapidement approfondis et documentés. Enfin, la question de la fraude induite aux contributions (CSG, CRDS, autres) devrait être affinée dans le cadre des résultats du contrôle URSSAF, afin de bien faire le départ entre les erreurs et omissions intervenant dans des entreprises régulières sur des activités déclarées et celles relevant d’activités occultes, dissimulées et tout ou partiellement non déclarées. Reste que 2020 est une année très atypique. Il faudra attendre 2022 pour voir les effets frauduleux sur le plan social de la relance et du quoi qu’il en coûte sur l’année 2021. Encore une fois ces données, bien que très partielles, militent pour un rapprochement en matière de contrôle fiscal et social de la DGFiP et des URSSAF, et plus largement du partage des données fiscales et sociales (mais aussi locales (CCAS, prestations extra-légales, etc.) afin d’améliorer leurs recoupements algorithmiques entre autres.