Responsabilisation des demandeurs d’emplois : l'exemple allemand
Alors que le gouvernement allemand planche sur une réforme de son "RSA", il semble bon de rappeler que notre voisin affiche un taux de chômage plus bas que le nôtre depuis 2009 et cela, grâce aux réformes Hartz. Adoptées de 2003 à 2005, ces réformes ont fortement responsabilisé les demandeurs d'emplois via des contrôles réguliers et des sanctions baissant progressivement le montant des allocations et des aides. En plus d'avoir un meilleur taux d'emploi, l'Allemagne consacre également à ses politiques de soutien à l'emploi une part moindre de son PIB : 0,50% aux allocations chômage et 0,54% à son équivalent "RSA" contre, pour la France, 2,40% et 0,93% du PIB, respectivement.
Vers la fin de Hartz-IV ?
En Allemagne, la coalition gouvernementale menée par le chancelier social-démocrate Olaf Scholz a adopté, en mai dernier, une loi établissant un moratoire d’un an sur les sanctions à destination des bénéficiaires de « Hartz-IV », prestation sociale non contributive équivalente au RSA français. Ce moratoire représente une étape avant la fin annoncée de Hartz-IV et son remplacement par un « revenu citoyen » (Bürgergeld) qui devrait disposer (les négociations doivent se poursuivre jusqu’à la fin de l’année) d’un montant d’indemnisation supérieur et d’une conditionnalité moins exigeante. Un élan redistributif rendu possible par 15 années de rigueur en matière de prestations sociales et de contrôle des chômeurs, dans un pays dont les finances publiques étaient en excédent budgétaire de 2015 à 2020 et en situation de plein emploi : le taux de chômage est à 4,9% en avril 2022, contre 7,3% en France.
Sources : INSEE pour la France ; Statista pour l’Allemagne
En Allemagne, le minima social dit « Hartz-IV » est créé en 2005 et est versé aux personnes dont les cotisations à l’assurance-chômage sont insuffisantes ou qui ont épuisé leurs droits. Il s’agit d’une indemnité forfaitaire unique, indépendante du salaire antérieur : au 1er janvier 2022, le montant de base était de 449€ pour une personne seule[1].
Ce sont les Jobcenter qui organisent le suivi des bénéficiaires et c'est pour eux que les sanctions et les contrôles étaient auparavant les plus stricts : Tout emploi y était considéré comme convenable et devait être accepté. Et une réduction de l’allocation pouvait être prononcé dès le premier manquement, qu’il s’agisse du refus d’un emploi, d’une formation ou de l’absence à une convocation du Jobcenter. Les travaux de Krebs et Scheffel publiés en 2014 démontrent que la réforme Hartz IV a directement permis de faire baisser le chômage, passant de près de 12% en 2005 à 7% en 2014, et aurait augmenté la probabilité de réinsertion professionnelle de 15%[2].
Les sanctions et les règles encadrant les bénéficiaires de Hartz-IV ont cependant évolué au cours des dernières années. Si jusqu’en 2019, la loi allemande prévoyait des décotes allant de 30% dès le premier manquement, puis 60 jusqu’à 100% en cas de récidive, la Cour constitutionnelle allemande a décidé de plafonner cette baisse à 30% dans sa décision du 5 novembre 2019, jugeant que des sanctions supérieures à ce seuil étaient inconstitutionnelles car contraires à la garantie d’un niveau de vie digne[3].
En mai 2022, le gouvernement allemand a fait adopter un moratoire d’un an sur les sanctions à destination des bénéficiaires de « Hartz-IV ». Ainsi, un premier manquement n’entrainera dorénavant plus de sanction et un second manquement ne représentera plus qu’une réduction de 10% sur un an. De plus, le refus d’un emploi jugé convenable ou d’une reconversion professionnelle ne feront plus l’objet d’aucune sanction. L’objectif de ce moratoire est de préparer le remplacement de « Hartz-IV » par un « revenu citoyen » dont les modalités seront discutées cet été au Parlement. Le ministre du Travail, Hubertus Heil, a déjà suggéré que le montant serait supérieur à celui de « Hartz-IV », avec une conditionnalité moindre.
Synthèse des sanctions passées et en vigueur dans le système Hartz-IV en Allemagne (équivalent RSA)
Droits | Hartz-IV | |
---|---|---|
Conditions d’éligibilité
| Cotisations insuffisantes pour l’assurance chômage / épuisement des droits à l’assurance chômage | |
Durée d’indemnisation | Durée de base de 12 mois, renouvelable indéfiniment | |
Montant de l’indemnisation | 449€ pour une personne seule au 1er janvier 2022 | |
Sanctions* | Avant la décision de la Cour constitutionnelle allemande en 2019 | Avec le moratoire sur les sanctions jusqu’en 2023 |
Refus d’offre d’emploi convenable ou de formation professionnelle n°1 | Réduction de l’allocation de 30% | Pas de sanction
|
Refus d’offre d’emploi ou de formation n°2 | Réduction de l’allocation de 60% | Pas de sanction |
Refus d’offre d’emploi ou de formation n°3 | Réduction de l’allocation de 100% | Pas de sanction |
Refus d’offre d’emploi convenable ou de formation professionnelle > 3 | // | Pas de sanction |
Absence à une convocation du Jobcenter n°1 | Réduction de l’allocation de 10% | Pas de sanction |
Absence à une convocation n°2 | Réduction de l’allocation de 10% | Réduction de l’allocation de 10% |
Recherche d’emploi insuffisante | Réduction de l’allocation de 30% | Pas de sanction |
*chaque réduction est en vigueur pour une durée de 3 mois |
Pour l’Etat allemand, les dépenses d’allocations « Hartz-IV » s’élèvent à 18,1 milliards en 2020 (incluant les remboursements de frais de logement et de chauffage)[4]. Cela représente environ 0,54% de son PIB. En 2020, près de 5,4 millions d’Allemands bénéficiaient de « Hartz IV »[5] et seul un tiers des allocataires de « Hartz-IV » sont considérés comme demandeurs d’emplois[6]. Cela car l’Allemagne a multiplié les dispositifs pour que les personnes en situation de précarité professionnelle puissent conserver une activité, même limitée : ainsi, les minijobs sont des emplois (temps partiel) rémunérés à hauteur de 450€ par mois et les “jobs à 1€” s’assimilent à des travaux d’intérêt général.
A titre de comparaison, en France, en 2020, l’Etat a versé 12 milliards d’euros d’allocations au titre du RSA pour 2,1 millions de foyers bénéficiaires, au sein desquels vivent plus de quatre millions de personnes, auxquels s’ajoutent 9,6 milliards pour la prime d’activité[7], soit un total de 21,6 milliards représentant 0,93% de son PIB, une part supérieure à l’Allemagne. Par ailleurs, les dépenses de RSA ont augmenté de près de 40% entre 2009 et 2019[8]. Or, les moyens mis au service du RSA n’ont pas de conséquences visibles, ni en termes d’encadrement des allocataires, ni en termes de retour à l’emploi. Parmi les allocataires ayant intégré le dispositif du RSA entre 2009 et 2011, 34% uniquement en sont sortis et occupaient un emploi sept ans plus tard (dont seulement un emploi sur trois de manière stable)[9].
L’allocation chômage allemande, une rigueur intacte
Si la conditionnalité du versement de Hartz-IV a vocation à être allégée, les moyens de contrôle des bénéficiaires de l’Arbeitslosengeld I (« indemnisation-chômage I »), eux, restent inchangés.
Sont ainsi éligibles à l’allocation chômage tous ceux ayant cotisé au moins 12 mois au cours des 30 derniers, ce qui ouvre des droits pour une période allant de 6 à 12 mois, et jusqu’à 24 mois pour les plus de 50 ans. Le montant d’indemnisation varie entre 60 et 67% du salaire de référence net en fonction de la situation familiale.
Les chômeurs de courte durée s’engagent sur un “contrat d’insertion” personnalisé fixant les obligations à respecter et les sanctions en cas de manquements :
- Ils doivent attester d’une recherche active de retour à l’emploi et ont l’obligation d’accepter toute offre d’embauche, à quelques rares exceptions près.
- Une offre d’emploi est définie comme « convenable » si le temps de trajet est inférieur à 2h30.
- La politique allemande en termes de niveau de salaire de refus légitime est contraignante : alors qu’une décote de 20% est imposée dès l’ouverture des droits, cette réduction est portée à 30% au quatrième mois, jusqu’au septième mois où le montant de l’allocation chômage lui-même devient le seuil salarial de refus.
- Les refus d’emplois jugés convenables ou de formation professionnelle sont sanctionnés, et ce, dès le premier manquement.
Le versement des indemnités est suspendu pendant 3 semaines lors du premier manquement, puis pendant 6 semaines lors du second et enfin pendant 12 semaines pour le troisième. Au-delà de trois manquements, la fermeture définitive des droits est envisagée. Une absence à une convocation entraîne une suspension d’indemnités d’une semaine, tandis qu’une recherche d’emploi insuffisante engendre une suspension de deux semaines[10].
A titre de comparaison, en France, les sanctions sont progressives et entrainent 1, 2 puis 4 mois de suspension d’indemnités à chaque refus supplémentaire[11]. D'ailleurs, contrairement aux règles appliquées en France, en Allemagne chaque jour de suspension d’indemnité réduit d’autant la durée totale de couverture. Au-delà de la sévérité même des sanctions, c’est surtout leur certitude qui importe. Ainsi, en 2017, alors que Pôle emploi ne formulait qu’1 sanction pour 125 inscrits en moyenne par mois, ce nombre était de 1 sanction pour 12 inscrits en Allemagne [12].
Les dépenses d’assurance chômage représentaient 2,4% du PIB français en 2020, en hausse de 0,7 point de pourcentage par rapport à l’année précédente. 55,7 milliards d’euros[13] ont ainsi été dépensés au profit de 3,3 millions de bénéficiaires. La même année, l’Allemagne a dépensé 16,9 milliards d’euros au titre de son assurance chômage Arbeitslosengeld I, total équivalent à 0,5% de son PIB, soit plus de 2 points de pourcentage de moins que la France[14].
Comparaison des droits à l'assurance chômage, en France et en Allemagne
| Conditions d’éligibilité | Durée d’indemnisation | Montant de l’indemnisation |
France | 6 mois de cotisation sur les 24 derniers mois | 6 à 24 mois pour les moins de 53 ans | 57% du salaire journalier de référence |
Allemagne | 12 mois de cotisation sur les 30 derniers mois | Entre 6 et 12 mois pour les moins de 50 ans | Entre 60 et 67% du salaire de référence |
Syntèse des sanctions en vigueur dans le système d'Assurance chômage en Allemagne
Sanctions | ||||||
---|---|---|---|---|---|---|
Refus d’offre d’emploi convenable ou de formation professionnelle n°1 | Refus d’offre d’emploi ou de formation n°2 | Refus d’offre d’emploi ou de formation n°3 | Refus d’offre d’emploi convenable ou de formation professionnelle > 3 | Absence à une convocation de l’agence pour l’emploi n°1 | Absence à une convocation n°2 | Recherche d’emploi insuffisante |
Pas de sanction | Radiation d’1 mois | Radiation de 2 mois | Radiation de 4 mois | Radiation d’1 mois | Radiation de 2 mois | Radiation d’1 mois |
Suspension de l’allocation pour 3 semaines | Suspension de l’allocation pour 6 semaines | Suspension de l’allocation pour 3 mois | Fermeture des droits | Suspension de l’allocation pour 1 semaine | // | Suspension de l’allocation pour 2 semaines |
[1] „Hartz 4 Satz 2022: Regelsatz Beim Arbeitslosengeld II.”, Hartz4.org, 29 avril 2022
[2] « Macroeconomic evaluation of labor market reform in Germany.Krebs », Martin Scheffel. IMF Economic Review, 2013
[3] BVerfG, Décision du premier Sénat du 5 novembre 2019, - 1 BvL 7/16 -, Article. 1-225
[4] Bundesagentur für Arbeit
[5] Statista, « Hartz IV: Anzahl der Leistungsempfänger von Arbeitslosengeld II und Sozialgeld im Jahresdurchschnitt von 2012 bis 2022 », mai 2022
[6] Becher, Lena, « Hartz-IV-Empfänger: Nur Ein Drittel Ist Offiziell Arbeitslos », www.o-Ton-Arbeitsmarkt.de, 9 mars 2020
[7] IFRAP, « RSA et Prime d’Activité : Plus de 21 Milliards de Dépenses En 2020. », www.ifrap.org, 17 novembre 2021
[8] Rapport de la Cour des comptes, « Le Revenu de Solidarité Active (RSA) », 13 janvier 2022
[9] Ibid
[10] “Sperrzeit Beim ALG 1: Wann Droht Die Sperre? | Hartz IV.”, Hartz4.org
[11] “Les allocations chômage peuvent-elles être supprimées ?”, www.service-Public.fr
[12] Clouet, Hadrien, « Contrôle des chômeurs : un « modèle allemand » ? Pourquoi les chômeurs allemands sont plus sanctionnés que leurs homologues français », Savoir/Agir, 2018, pp. 75-86.
[13] Rapport financier de l’Unédic, 2020
[14] Bundesagentur für Arbeit