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Pour réindustrialiser, acceptons d'augmenter l'empreinte carbone de la France

Tout en baissant l'empreinte carbone mondiale

Les gouvernements successifs depuis plusieurs décennies ont voulu à la fois réindustrialiser la France et diminuer son empreinte carbone. Ces deux objectifs sont-ils conciliables ? En théorie, quand bien même la réindustrialisation induirait une augmentation de l’empreinte carbone de notre production intérieure de 2,6 téqCO2 par habitant (tonne équivalent CO2), cela pourrait se traduire aussi par une diminution de 1,3 téqCO2 par habitant, de notre empreinte carbone totale grâce à la baisse des importations.

La France dispose d’une énergie particulièrement décarbonée par rapport aux autres pays d’Europe, encore plus par rapport à la Chine et le reste du monde, et cela, en grande partie grâce au nucléaire. Or, la part de l’industrie dans le PIB de la France ne cesse de diminuer, et l’empreinte carbone de la France est donc marquée par d’importantes émissions liées aux importations.

Source [1]

Si la part des importations est aussi importante dans l’empreinte carbone française c’est parce que, non seulement la production en France est particulièrement peu carbonée, mais également la France importe plus qu’elle n’exporte (elle a une balance commerciale très déficitaire), et ses importations proviennent de pays particulièrement émetteurs de CO2 (la Chine en est l’exemple type).

A ce titre, il peut être intéressant d’essayer de déterminer si l’empreinte carbone de la France diminuerait dans l’hypothèse où elle se réindustrialiserait et importerait donc moins de biens et produits de l’étranger.

En France, l’empreinte carbone est donc de 9,2 tonnes de CO2 équivalent (téqCO2) par habitant en 2018. Parmi ces 9,2 tonnes, on compte 7,5 tonnes de « demande finale ». Ces 7,5 tonnes sont réparties de la manière suivante : les importations y représentent 4,8 tonnes tandis que la production intérieure représente 2,6 tonnes.

D’après les données de la Banque mondiale, la part de l’industrie dans le PIB de l’Allemagne était de 27,3% en 2018.[3] S’agissant de la France, elle n’était que de 17,2% en 2018.[4]

On utilise ici les dernières données de l’INSEE sur l’empreinte carbone française, qui se répartissent comme suit en France en 2018 : [2] 

L’empreinte carbone française est donc de 2,6 téqCO2 pour la production intérieure, avec une part de l’industrie dans le PIB de 17,2%.

1% du PIB dédié à l’industrie émet donc 0,151 téqCO2 (on fait 2,6/17,2).

Ainsi, si la France avait la même part d’industrie dans le PIB que l’Allemagne (soit 27,3%), l’empreinte carbone de sa production intérieure serait de 4,12 téqCO2 (on fait 0,151*27,3).

Une augmentation de 10,1 points de pourcentage de la part de l’industrie dans le PIB entraînerait donc une augmentation de 58% de l’empreinte carbone de la production intérieure française (4,12 = 158% de 2,6).

En supposant (supposition purement théorique), que l’empreinte carbone des importations venait alors à diminuer dans les mêmes proportions (donc de -58%), cette dernière passerait de 4,8 à 2,016 téqCO2.

L’empreinte carbone française en « demande finale » serait donc désormais de 4,12 (production intérieure) + 2,016 (importations) = 6,136 téqCO2.

7,5 – 6,136 = 1,364. L’empreinte carbone française en « demande finale » diminuerait donc de 1,364 téqCO2 si la France venait à se réindustrialiser à hauteur de 27,3% du PIB et que cela se traduisait par une diminution de l’ordre de 58% de son empreinte carbone liée à l’importation.

Néanmoins, il convient de préciser que ce calcul est purement théorique. En pratique, si la production intérieure augmentait, la répercussion sur les imports ne peut être diminuée dans les mêmes proportions, et ce principalement en raison de l’utilisation de matières premières ou autres que nous serions toujours obligés d’importer, notamment pour soutenir une industrie plus importante. En effet, la notion d’importations dans l’empreinte carbone n’est pas un bloc monolithique qui diminue mécaniquement quand la production intérieure augmente, mais c’est une variable composée de plusieurs branches :

Source [5]

Il est impossible d’estimer précisément dans quelles proportions les émissions de CO2 diminueraient ou augmenteraient pour chaque branche si la France se réindustrialisait à hauteur de 27,3% du PIB. On peut néanmoins calculer que, si la France venait à se réindustrialiser à cette hauteur, la répercussion sur l’empreinte carbone des importations devrait être d’au moins -29,6% pour que cela ait un impact positif sur l’empreinte carbone française totale. En effet, si l’empreinte carbone des importations venait à diminuer dans des proportions moindres que 29,6%, alors l’empreinte carbone « demande finale » demeurerait à 7,5 téqCO2, voire serait supérieure à 7,5.

En conclusion, l’idée selon laquelle relocaliser la production en France serait nécessairement bénéfique pour le climat, et cela de manière absolue, est à prendre avec des pincettes. En réalité, il est probable que cela ait peu d’influence sur l’empreinte carbone, bien que cela puisse, suivant les branches de production développées, éventuellement amener à une diminution de notre empreinte carbone.

La volonté des Gouvernements successifs à la fois de réindustrialiser et d’atteindre une neutralité carbone (qui relève du fantasme pour l’instant) apparaît donc comme une injonction contradictoire. La France doit impérativement se réindustrialiser, mais pour cela l’Etat doit accepter de mettre de côté des objectifs climatiques trop strictes et déconnectés de la réalité des conséquences qu’implique une éventuelle augmentation de la production intérieure.


[1] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-01/datalab-essentiel-204-l-empreinte-carbone-des-francais-reste-%20stable-janvier2020.pdf

[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6474294

[3] https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NV.IND.TOTL.ZS?locations=DE

[4] https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NV.IND.TOTL.ZS?locations=FR

[5] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-01/datalab-essentiel-204-l-empreinte-carbone-des-francais-reste-%20stable-janvier2020.pdf