Où en est la politique de croissance du gouvernement ?
La barre des 3 millions de chômeurs vient d'être franchie, le chômage des jeunes s'établit à un niveau record (22,7%), les perspectives de croissance s'obscurcissent. De nombreuses voix s'élèvent pour réclamer un report de l'objectif de retour aux 3%. Mais même en comptant sur un desserrement de nos engagements budgétaires, quels résultats attendre des mesures annoncées en faveur de la croissance ? Sont-elles vraiment à la hauteur des enjeux ?
Alors que le PLF sera annoncé vendredi et avec lui les mesures fiscales qui doivent permettre un retour à 3% de déficit public en 2013, des députés PS ne cachent plus leur inquiétude : le député Jérôme Guedj cité par Le Monde indique "Ce n'est ni réaliste ni souhaitable car il nécessite des efforts susceptibles d'aboutir à mourir guéri". Bref à trop vouloir revenir à l'équilibre budgétaire, il ne faudrait pas déprimer la consommation au risque de nous maintenir plus longtemps dans la crise. Des craintes qui méritent de regarder de près ce que prépare le gouvernement comme mesures de soutien à la croissance alors que l'Unedic prévoit un emploi total encore en recul pour 2013 à 26,17 millions d'emplois et un chômage qui continue sa progression à 3,2 millions de chômeurs.
Pour redresser l'activité à court terme, le gouvernement mise surtout sur les mesures de "sécurisation de l'emploi" et les emplois aidé pour amortir le choc de la crise. D'autres chantiers ont été annoncés qui concernent la stratégie à plus long terme : il s'agit de la mise en œuvre de la BPI et de la transition énergétique pour relancer l'activité et soutenir le développement des entreprises. Reste enfin un gros morceau, il s'agit de la réflexion sur la compétitivité et la réforme du financement de la protection sociale. Grâce à ces différents leviers, le chef de l'État assure pouvoir infléchir les courbes du chômage d'ici un an.
Pour les mesures à court terme, les pouvoirs publics comptent sur les partenaires sociaux pour trouver un compromis sur le dossier de la "sécurisation de l'emploi", intitulé assez large qui comprend la lutte contre la précarité au travail, l'anticipation de l'activité, l'amélioration des licenciements collectifs, le tout dans une "approche globale gagnant-gagnant" dixit le document d'orientation envoyé par Michel Sapin. Sauf que les syndicats ne veulent pas de la flexibilité demandée par le patronat, lequel refuse de son côté tout durcissement des règles sur les licenciements qualifiés de "boursiers" ou le recours aux contrats précaires. Le Président de la République a fixé jusqu'à la fin de l'année aux syndicats pour tomber d'accord sur une forme de "flexibilité" Cette négociation est très importante notamment pour les entreprises exposées durablement à la crise et qui pourraient avoir accès grâce à ces accords à des procédures simplifiées de chômage partiel qui restent pour l'instant très peu usitées. Un rapport de l'IGAS, s'appuyant sur des chiffres de l'OCDE, montre que sur la période 2008-2010, 251 000 emplois ont été sauvegardés en Allemagne grâce à ces mécanismes contre 18 000 en France.
Sur les emplois aidés aussi, les partenaires sociaux sont aussi à la manœuvre avec les contrats de génération qui doivent être présentés au Parlement en début 2013. Le Président de la République a promis de créer 500.000 de ces contrats grâce auxquels un jeune sera embauché en CDI et simultanément un salarié de plus de 55 ans sera maintenu dans l'emploi pour l'accompagner. Sur ce sujet, les économistes craignent un effet d'aubaine avec un coût non négligeable sur les finances publiques et un impact limité sur le chômage. L'autre mesure concerne les "emplois d'avenirs", contrats à durée déterminée ou indéterminée pour les jeunes de 16 à 25 ans peu ou pas qualifiés issus des ZUS, embauchés par le secteur public ou non lucratif avec une aide financière qui pourra représenter jusqu'à 75% du salaire minimum. Jean-Marc Ayrault l'a reconnu à l'occasion de l'université d'été du Medef : oui, c'est la croissance qui crée l'emploi, ce sont les entreprises qui créent l'emploi, mais face à la question brutale du chômage des jeunes, le gouvernement ne veut pas les laisser sans expérience professionnelle et c'est pour cela que le gouvernement s'est engagé au total dans le financement de 400 000 emplois et contrats aidés en année pleine.
Des effets à court terme incertains, une stratégie à long terme encore plus floue
Si l'on peut s'interroger sur les effets réels de mesures de soutien immédiates à l'emploi, la stratégie à plus long terme du gouvernement n'est pas clairement définie non plus. Elle s'appuie sur la mise en place de la Banque Publique d'Investissement (BPI) qui doit remédier aux difficultés de financement des entreprises, particulièrement les plus petites et les plus innovantes. Ces entreprises pourront trouver des nouveaux moyens financiers pour créer des emplois. La force de frappe de la BPI est évaluée à 30 milliards d'euros en mutualisant les moyens d'Oséo, de CDC-entreprises et du FSI, avec probablement une association avec la Coface. La gouvernance n'est pas sans poser problème avec le lobbying des régions pour des établissements décentralisés sur lesquels elles fixeraient les orientations. Comme nous l'avons dit dans une précédente note, cette solution est hasardeuse – cf. la déroute des banques locales allemandes ou espagnoles – et porteuses de risques pour les finances publiques si les régions se piquent de soutenir toutes les entreprises en difficulté de leurs territoires. Sur les objectifs de la BPI aussi les économistes s'interrogent : le Président a beau avoir déclaré que cet établissement servira les moyens d'une stratégie du redressement et de l'anticipation, la BPI n'est pour l'instant présentée que comme un guichet unique, ce qui ne constitue pas en soi une politique industrielle. Le gouvernement compte aussi sur le soutien à de nouvelles filières issues notamment de la transition énergétique. On peut tout de même observer que cette politique de relance est financée par l'argent public ou par des prélèvements forcés sur le consommateur au moment même où l'on cherche à réduire l'endettement public tout en épargnant le pouvoir d'achat.
Reste l'épineux chantier de la compétitivité : Louis Gallois devrait rendre sa copie au mois d'octobre tandis qu'un Haut conseil du financement de la protection sociale est mis en place aujourd'hui et rendra son avis d'ici la fin de l'année. Ce que tout le monde sait c'est que le financement de la protection sociale doit être revu car il pèse beaucoup trop sur le coût du travail et handicape les entreprises. Le consensus s'arrête là et personne ne sait quelle solution sera préconisée. Le gouvernement cèdera-t-il à ceux qui demandent de privilégier la demande plutôt que la compétitivité des entreprises ? Comme par exemple Henri Sterdyniak de l'OFCE qui indique "Faut-il ajouter à l'objectif de réduire le déficit public celui de donner un choc de compétitivité aux entreprises, soit 40 milliards d'euros de réduction de cotisations employeurs qu'il faudrait prélever sur les ménages par une hausse de 3,5 points de CSG au risque de peser lourdement sur la consommation ? La stratégie la plus prudente serait sans doute de retarder l'objectif de réduction du déficit…"
Pour l'instant rien ne dit que le gouvernement mettra en œuvre ce choc de compétitivité. C'est pourtant une question essentielle car la France se situe en tête des impôts et charges qui pèsent sur les entreprises, particulièrement face à l'Allemagne. Une entreprise française paie 47% de prélèvements de plus sur son résultat [1] conduisant à la baisse du taux de marge qui l'empêche d'investir, de se développer de créer de nouveaux emplois. Et ce n'est pas avec les impôts nouveaux pour financer les mesures de relance et des engagements présidentiels (retraite à 60 ans, taxe à 75%) que les choses vont s'arranger.
Dans son dossier spécial 100 jours pour réformer la France, la Fondation iFRAP avait recommandé des réformes équilibrées entre un "stimulus package" – un pacte de compétitivité – et des mesures d'économies budgétaires, ces deux aspects de la réforme devant être mis en œuvre simultanément. Le plan de croissance que nous avions proposé passait par des mesures de flexibilité en matière de droit social, une baisse des cotisations patronales et enfin des niches fiscales fléchées vers l'investissement à risque dans la création d'entreprises grâce à des exonérations renforcées sur l'ISF et l'IR et un statut pour les business angels. Nous avons bien noté que la mesure ISF-PME et l'avantage Madelin ne semblent pas pour l'instant remises en cause même si elles ne sont plus aussi incitatives. Pourquoi ne pas faire de même avec la taxe à 75% en rendant cet impôt intelligent comme le dit Pierre Moscovici et en proposant d'exonérer les contribuables qui déclarent plus d'un million d'euros de revenus et qui investissent dans les start-up ? C'est la proposition que défend la Fondation iFRAP.
[1] précisément sur son résultat courant avant impôts